Poul Anderson - L'autre univers
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- Название:L'autre univers
- Автор:
- Издательство:OPTA
- Жанр:
- Год:1956
- Город:Paris
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Il contempla prudemment ses nouveaux geôliers. L’un était un homme d’âge moyen, de taille moyenne, replet, vêtu d’une blouse de soie rouge, de vastes pantalons blancs et d’une toque d’astrakan ; il était entièrement rasé et ses cheveux étaient rassemblés en une tresse. L’autre, un peu plus jeune, était un géant blond mal dégrossi ; il portait une tunique à crochets de cuivre, des culottes à guêtres, un manteau de cuir et un casque à cornes. Ils avaient l’un et l’autre des revolvers à la ceinture et on les traitait avec déférence.
Everard examina les alentours. Ils étaient déjà hors de vue de la terre et prenaient une route au nord. La machine faisait vibrer la coque et l’écume embarquait quand la proue plongeait dans une vague.
L’homme le plus âgé parla tout d’abord en afallonien. Everard haussa les épaules. Ensuite le Nordique barbu essaya en premier lieu un dialecte totalement inconnu, puis il dit :
— Taelan thu Cimbric ?
Everard, qui connaissait l’allemand, le suédois et l’anglo-saxon, courut sa chance, et Van Sarawak tendit son oreille de Hollandais. Deirdre se tassa, les yeux grands ouverts, trop ahurie pour bouger.
— Ja , fit Everard, ein wenig. (Comme le blond semblait hésiter, il se reprit :) A little .
— Ah ! aen litt. Gode ! (Le gros homme frotta ses mains poilues.) Ik hait Boierik Wulfilasson ok main gefreond heer erran Boleslav Arkonsky .
Everard n’avait jamais entendu parler cette langue. Ce ne pouvait être du Cimbre primitif, après tant de siècles… mais le Patrouilleur parvenait à comprendre à peu près. La difficulté serait de parler… Il ignorait comment la langue avait évolué.
— What the hell erran thu maching, anyway , làcha-t-il. Ik bin aen man auf Sirius… the stern Sirius, mit planeten ok all. Set uns gebach or willen be der Teufel to pay !
Boierik Wulfilasson eut l’air peiné et suggéra de poursuivre la discussion à l’intérieur, avec la jeune femme pour interprète. Il les conduisit jusqu’à la cabine, petite mais bien meublée. La porte resta ouverte, avec un garde en armes aux aguets et d’autres à proximité.
Boleslav Arkonsky dit quelque chose à Deirdre en afallonien. Elle fit un signe de tête et il lui donna un verre de vin. Cela parut la réconforter, mais elle s’adressa à Everard d’une voix blanche :
— Nous sommes pris, Manslach. Leurs espions ont découvert votre retraite. Un autre groupe doit prendre votre machine – ils savent également où elle se trouve.
— Je m’en doutais. Mais qui sont-ils, au nom de Baal ?
Boierik éclata de rire en entendant la question et exposa longuement la haute opinion qu’il avait de lui-même. Son idée était de faire croire aux Suffètes d’Afallon que l’Hinduraj était responsable. En fait, l’alliance secrète du Littorn et du Cimberland avait organisé un service d’espionnage très efficace. Ils se dirigeaient pour le moment vers la résidence d’été de l’Ambassade du Littorn, à Ynys Llangollen (Nantucket), où l’on forcerait les sorciers à expliquer leurs enchantements, pour faire une surprise aux grandes puissances.
— Et si nous ne voulons pas… ?
Deirdre traduisit mot pour mot la réponse d’Arkonsky.
— J’en regretterai les conséquences pour vous. Nous sommes des civilisés et nous vous paierons largement, en or, votre collaboration volontaire ; mais l’existence de nos pays est en jeu.
Everard les regarda. Boierik paraissait mal à l’aise et malheureux, sa joie exubérante s’était évaporée. Boleslav Arkonsky tambourinait sur la table, les lèvres serrées, mais non sans une certaine prière dans le regard. Ne nous forcez pas à agir ainsi. Nous devons continuer à vivre dans notre peau .
Ils étaient sans doute pères et époux, ils devaient aimer boire un pot de bière en jouant aux dés, tout comme un autre homme ; peut-être Boierik élevait-il des chevaux en Italie et Arkonsky cultivait-il des roses sur les côtes de la Baltique. Mais rien de tout cela ne profiterait à leurs captifs, lorsque la Nation toute-puissante serait en conflit avec les voisins.
Everard prit le temps d’admirer la machination et se demanda ce qu’il allait faire. La vedette était rapide, mais il lui faudrait une vingtaine d’heures pour atteindre Nantucket, s’il se souvenait bien des distances. Il avait au moins ce temps devant lui.
— Nous sommes fatigués, dit-il en anglais. Pourrions-nous nous reposer un moment ?
— Ja, deedly , dit Boierik avec une grâce un peu lourde. Ok wir skallen gode gefreonds bin, ni ?
Le soleil se coucha dans un enfer rouge. Deirdre et Van Sarawak, accoudés au bastingage, contemplaient la vaste étendue des eaux. Trois hommes d’équipage, débarrassés de leur maquillage et de leurs vêtements asiatiques, se tenaient en alerte sur la poupe ; un homme gouvernait à la boussole ; Boierik et Everard arpentaient le pont en devisant. Ils portaient tous de lourdes capes pour se protéger contre la brise rude et cinglante.
Everard commençait à se débrouiller en cimbrien ; il faisait encore des erreurs, mais arrivait à se faire comprendre. Toutefois, il laissait Boierik faire les frais majeurs de la conversation.
— Ainsi vous venez des étoiles ? Je ne comprends pas ces choses-là. Je suis un homme simple. Si j’étais libre, j’administrerais paisiblement ma propriété en Cimberland et je laisserais le monde devenir fou à sa guise. Mais nous, les Gens, nous avons nos obligations.
Les Teutons semblaient avoir totalement remplacé les Latins en Italie comme les Saxons avaient pris la place des Bretons dans le monde d’Everard.
— Je comprends vos sentiments, dit le Patrouilleur. C’est étrange que tant d’hommes se battent alors que si peu le désirent.
— Mais c’est nécessaire. Vous ne comprenez pas. Carthagalann nous a volé l’Egypte, notre bien légitime.
— Italia Irredenta , murmura Everard.
— Comment ?
— Peu importe. Donc, vous les Cimbres, vous êtes les alliés du Littorn et vous espérez vous emparer de l’Europe et de l’Afrique pendant que les grandes puissances se battent dans l’Est.
— Pas du tout ! répliqua Boierik, indigné. Nous affirmons uniquement nos revendications territoriales, légitimes et historiques. Le roi lui-même a dit…
(Et ainsi de suite.)
Everard se campa pour résister au roulis.
— J’ai l’impression que vous nous traitez assez mal, nous autres, sorciers, déclara-t-il. Faites attention que nous ne nous mettions réellement en colère contre vous.
— Nous sommes tous protégés contre les malédictions et les sorts.
— Dans ce cas…
— Je voudrais que vous nous aidiez de votre propre gré, dit Boierik. Je serai heureux de vous démontrer que notre cause est juste, si vous avez quelques heures à m’accorder.
Everard hocha la tête et s’arrêta près de Deirdre. Son visage était indistinct dans le crépuscule, mais il perçut un défi dans sa voix :
— J’espère que vous lui dites ce qu’il peut faire de ses plans, Manslach.
— Non, fit lourdement Everard, nous allons les aider .
Elle était comme paralysée.
— Que dites-vous, Manse ? s’enquit Van Sarawak.
Everard le lui répéta.
— Non ! fit le Vénusien.
— Si.
— Bon Dieu, non ! Je vais…
Everard lui prit le bras et lui dit froidement.
— Tenez-vous tranquille. Je sais ce que je fais. Nous ne pouvons pas prendre parti en ce monde, nous sommes contre tout le monde, vous feriez bien de le comprendre. La seule chose à faire, c’est de feindre de marcher dans le jeu pendant un temps. Et ne le répétez pas à Deirdre.
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