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Poul Anderson: L'autre univers

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Poul Anderson L'autre univers

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Plus loin, les hommes de Scipion étaient encerclés et se battaient sans espoir. Everard s’arrêta, inspirant l’air dans ses poumons desséchés, et tenta d’y voir à travers le mince rideau de pluie. Des armures mouillées brillaient, des cavaliers romains galopaient, de la boue jusqu’aux naseaux de leurs chevaux. Ce devait être le fils, le futur Scipion l’Africain, qui accourait au secours de son père. Le bruit des sabots sur le sol évoquait le tonnerre.

— Là-bas.

Van Sarawak leva la main. Everard s’accroupit sur place, la pluie dégoulinant de son casque sur son visage. Une petite troupe de Carthaginois avançait à cheval vers la bataille qui se livrait autour des aigles ; à leur tête se trouvaient deux hommes avec la stature et les traits grossiers des Neldoriens. Ils portaient la cuirasse d’ordonnance, mais chacun d’eux était armé d’un fusil à mince canon.

— Par ici !

Everard pivota sur les talons et fonça vers eux. Le cuir de son armure grinçait pendant qu’il courait.

Ils étaient tout près des nouveaux venus quand on les vit. Un visage carthaginois se tourna vers eux et lança un avertissement. Everard le vit rire dans sa barbe. Un des Neldoriens fronça les sourcils et braqua son désintégrateur.

Everard se plaqua au sol et le rayon blanc bleu brûla l’endroit où il était l’instant d’avant. Il lâcha une décharge et un des chevaux africains tomba dans un fracas métallique. Van Sarawak resta sur place et tira posément. Deux fois, trois fois, quatre – et un Neldorien se retrouva dans la boue !

Les hommes s’entrehachaient autour des Scipions. L’escorte des Neldoriens hurlait de terreur. On avait dû leur faire la démonstration des désintégrateurs, mais ces coups invisibles, c’était une autre affaire. Ils s’enfuirent. Le second des bandits maîtrisa son cheval et voulut s’enfuir.

— Occupez-vous de celui que vous avez descendu, haleta Everard. Emmenez-le à l’écart du champ de bataille… il faudra le questionner…

Il se remit péniblement debout et se dirigea vers un cheval démonté… Avant même de s’en être rendu compte, il était en selle et aux trousses du Neldorien.

Ils foncèrent à travers le chaos. Everard poussait sa monture, mais se contentait de garder sa distance. Une fois qu’ils seraient hors de vue, un saute-temps pourrait descendre et n’aurait pas de mal à arrêter sa proie.

Le vagabond du temps dut avoir la même pensée, car il freina sa monture et visa. Everard vit l’éclair éblouissant et sentit un picotement à la joue ; il avait été manqué de peu. Il régla son pistolet sur large champ et continua d’avancer en tirant.

Une seconde langue de flamme atteignit son cheval en plein poitrail. L’animal tomba et Everard vida les étriers. Ses réflexes amortirent la chute, il rebondit sur ses pieds, un peu étourdi, et s’avança gauchement vers son ennemi. Il avait perdu son paralyseur ; pas le temps de le chercher. Peu importait ; il le retrouverait après, s’il était en vie. Le faisceau élargi n’avait pas manqué la cible ; il n’était pas assez puissant pour assommer un homme, mais le Neldorien avait lâché son arme et sa monture vacillait sur ses jambes, les veux clos.

La pluie battait le visage d’Everard. Il pataugea jusqu’au cheval. Le Neldorien sauta à terre et tira une épée. La lame d’Everard jaillit aussi.

— Comme tu voudras, dit-il en latin. L’un de nous restera sur le terrain…

La lune s’éleva au-dessus des montagnes et éclaira soudain faiblement la neige. Loin au nord, un glacier fragmentait les rayons lumineux et un loup hurlait. Les hommes de Cro-Magnon chantaient dans leur caverne et leurs voix parvenaient affaiblies jusqu’à la véranda.

Deirdre se tenait dans l’ombre, regardant au-dehors. La lune éclairait partiellement son visage, révélant ses larmes. Elle sursauta quand Everard et Van Sarawak arrivèrent derrière elle.

— Vous êtes déjà de retour ? demanda-t-elle. Vous n’êtes arrivés ici pour m’y laisser que ce matin.

— Il n’a pas fallu longtemps, dit Van Sarawak. (Il avait appris le grec attique par hypno.)

— J’espère… (Elle tenta un sourire.) J’espère que vous avez accompli votre tâche et que vous pouvez vous reposer de vos efforts.

— Oui, dit Everard. Oui, nous avons fini.

Ils se tinrent côte à côte un instant, regardant le monde hivernal.

— C’est vrai ce que vous avez dit ? Que je ne pourrai jamais rentrer chez moi ? demanda Deirdre.

— J’en ai peur. Les sorts…

Everard haussa les épaules et échangea un coup d’œil avec Van Sarawak.

Ils avaient obtenu l’autorisation officielle de dire à la jeune fille tout ce qu’ils voudraient et de l’emmener où ils pensaient qu’elle vivrait le mieux. Van Sarawak soutenait que c’était sur Vénus à son époque et Everard était trop las pour discuter.

Deirdre respira lentement.

— Ainsi soit-il donc, dit-elle. Je ne vais pas gâcher ma vie à pleurer pour cela… mais que Baal fasse que les miens vivent en paix, chez moi.

— Je suis sûr que ce sera le cas, dit Everard.

Soudain, il n’en pouvait plus. Il ne souhaitait que dormir. A Van Sarawak de la mettre au courant comme il le fallait et de recueillir les éventuels lauriers.

Il adressa un signe de tête à son compagnon.

— Je vais me coucher. Bon courage, Van.

Le Vénusien prit la jeune fille par le bras. Everard se rendit lentement à sa chambre.

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