Sa main trouva, puis agrippa la lance. Il se redressa désespérément, en donnant une forte secousse sur le javelot ; il sentit le poids de l’homme descendre vers lui ; un instant après, le javelot était dans sa main, libre, et il eut l’impression d’un violent déplacement d’air lorsque Sadler plongea en hurlant.
À l’aide de l’arme qui était fort longue, Jared localisa une minuscule fissure dans la paroi opposée. Il y introduisit la pointe du javelot et assura l’autre extrémité contre la roche au-dessus de sa tête.
La panique qui avait envahi le Niveau Supérieur cessa aussi brusquement qu’elle avait commencé. Les envahisseurs avaient sans doute atteint leur but, puis s’étaient retirés.
Après s’être assuré que la lance était bien calée, Jared se hissa, trouva une prise sur le rebord du puits, et se retrouva au-dehors.
— Jared ! Tu es libre !
Les échos du bruit de ses pas lui apportèrent des impressions fragmentaires de Della qui courait vers lui. Il perçut aussi le bruit léger de la corde qu’elle portait sur l’épaule et qui frottait contre son bras.
Il essaya de s’orienter. Mais le vacarme était trop confus pour lui indiquer la direction de l’entrée. Della le prit par la main.
— Il m’a fallu longtemps pour trouver une corde.
Impulsivement, il partit droit devant lui. Elle lui fit faire demi-tour.
— Non ! L’entrée est de ce côté-ci ! Tu la zives ?
— Oui, je la zive maintenant.
Il resta légèrement en arrière, la laissant le devancer d’un ou deux pas et le guider par la main.
— Nous allons passer à l’extérieur, le long de la rivière, proposa-t-elle. Nous atteindrons peut-être le passage avant qu’ils ne mettent le projecteur central en marche.
Jared avait espéré tout le contraire. Mais il avait oublié que les échos qui lui auraient permis d’entendre son chemin auraient également eu pour effet de trahir leur présence.
Il trébucha contre une petite saillie rocheuse qu’il n’avait pas entendue, se remit debout avec l’aide de la jeune fille et continua en boitillant. Puis, réprimant son angoisse, il recouvra son sang-froid et fit appel à tous les stratagèmes qu’il avait appris au cours de gestations d’entraînement : détecter le rythme subtil d’un cœur qui bat, le silence susurrant d’une rivière paresseuse dont le fond est agité par les mouvements d’un poisson, l’odeur et les mouvements à peine perceptibles d’une salamandre qui passe sur une pierre humide.
Ayant repris confiance, il chercha des sons, n’importe quels sons, car il savait que même le bruit le plus insignifiant peut être utilisé. Voilà ! Ce léger changement de rythme dans la respiration de Della signifiait qu’elle abordait une côte ; quand il y arriva à son tour, il était prêt.
Il écouta attentivement tous les bruits produits par Della. Le pouls était trop faible pour créer des échos valables. Il y avait aussi des objets qui remuaient dans le sac qu’elle portait ; il discerna les odeurs de divers aliments ; Della avait emporté une grande quantité de vivres, et une partie du contenu de son sac était secouée à chaque pas. Ces bruits pourraient lui fournir des échos suffisants, s’il écoutait avec beaucoup d’attention. Il parvint à les percevoir, perdus dans les sons variés venus du reste du monde mais assez nets pour lui rendre audible ce qui se trouvait devant lui.
Il était à nouveau sûr de lui.
Ils quittèrent le bord de la rivière et coupèrent à travers la plantation de mannes ; ils avaient presque atteint l’entrée lorsque quelqu’un mit le projecteur central d’échos en marche.
Il perçut immédiatement la pleine signification de quelques vagues impressions qui l’inquiétaient déjà depuis quelque temps : un garde venait de prendre son poste près de l’entrée.
Un instant plus tard, l’homme donna l’alarme.
— Quelqu’un essaie de sortir ! Ils sont deux !
Jared fonça en avant. D’un coup d’épaule, il envoya la sentinelle rouler à terre. Della le rattrapa et ils entrèrent dans le passage en courant. Il la laissa le précéder jusqu’au premier tournant, puis sortit ses pierres et prit la tête.
— Des pierres à échos ? demanda-t-elle, étonnée.
— Bien sûr. Si nous rencontrons des gens du Niveau Inférieur, ils pourraient se demander pourquoi je n’en utilise pas.
— Oh, Jared ! Pourquoi n’allons-nous pas… non, rien.
— Qu’allais-tu dire ?
Il se sentait parfaitement à l’aise maintenant qu’il avait le son familier de ses pierres pour le guider.
— J’allais dire : pourquoi n’allons-nous pas vers le monde des Ziveurs, puisque c’est notre place.
Il s’arrêta net. Le monde des Ziveurs ? Pourquoi pas ? Puisqu’il était à la recherche d’une chose que le fait de ziver diminuait, où pourrait-il la trouver mieux que dans un monde où une multitude de Ziveurs zivaient sans cesse ? Mais était-ce vraiment possible ? Pourrait-il se faire passer pour l’un d’entre eux dans un monde de Ziveurs, qui, de plus, seraient sans doute hostiles ?
— Il m’est impossible d’abandonner le Niveau Inférieur en cette période critique, répliqua-t-il enfin.
— C’est ce que je pensais. Tu ne peux pas partir au moment où ils ont tous ces ennuis. Mais une période, Jared, une période nous irons, n’est-ce pas ?
— Une période, oui.
Elle serra sa main plus fort, comme si elle avait peur.
— Jared ! Et si la Roue allait envoyer un coureur au Niveau Inférieur pour leur dire que tu es un Ziveur ?
— Jamais ils ne…
Il allait dire qu’ils ne le croiraient jamais ; mais, en pensant au Gardien qui faisait tout pour le discréditer aux oreilles des survivants, il en fut moins sûr.
Lorsqu’ils atteignirent son monde, il fut surpris de ne pas entendre de protecteurs postés à l’entrée. Les clac clairs et nets du projecteur central révélaient, néanmoins, que quelqu’un se tenait au bout du passage. Quand ils furent plus près, il discerna une forme féminine, au visage recouvert de cheveux. C’était Zelda.
Quand elle les entendit, elle sursauta. Puis, nerveusement, elle s’aida de pierres à échos afin de les localiser jusqu’à ce qu’ils arrivent dans le plein son du projecteur.
— Tu as mis une Radiation de long temps pour ramener une partenaire d’unification, dit-elle, non sans un soupçon de reproche dans la voix, lorsqu’elle reconnut Jared.
— Pourquoi ?
— Les monstres ont encore enlevé deux personnes, répondit-elle. Ils sont venus prendre un des protecteurs ; c’est pourquoi l’entrée n’est plus gardée. D’autre part, le Gardien a réussi à monter presque tout le monde contre toi.
— Je vais m’occuper de cela, déclara-t-il avec colère.
— Je ne crois pas que tu le pourras. Tu n’es plus Premier survivant. Romel a pris ta place.
Zelda toussa plusieurs fois, ce qui fit voler les cheveux qui couvraient son visage.
Jared s’avança à grandes enjambées vers la grotte officielle.
— Attends ! cria Zelda. Ce n’est pas tout. Ils sont tous très en colère contre toi. Écoute !…
Il tendit l’oreille vers la section résidentielle. Le monde résonnait d’innombrables toux.
— Ils te rendent responsable de l’épidémie, expliqua-t-elle. Ils se souviennent que tu as été le premier à en être atteint.
— Jared est de retour ! cria une voix dans la plantation.
Un autre survivant reprit le même cri, puis un autre.
Il put entendre une douzaine d’hommes quitter le verger où ils travaillaient. D’autres sortirent des grottes. Tous se dirigeaient vers l’entrée.
Jared entendit que Romel et le Gardien Philar marchaient en tête du petit groupe. De chaque côté, se tenaient des protecteurs.
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