Un moment après, Stein avait gémi :
— Oh, Georgina ! Viens avec moi.
Elle s’était tournée vers lui. Elle était nue sur le sol élastique. La lumière qui entrait par le cockpit de la foreuse posait des ombres noires et pourpres sur sa peau.
— Steinie mon amour, dit-elle au géant qui pleurait entre ses gros seins ronds, j’ai trois enfants très beaux et, avec mon quotient génétique, je peux en avoir trois de plus si je le désire. Quand je joue avec eux, je suis aussi heureuse qu’une palourde à marée haute, autant que lorsque je perce là-dessous ou que je fais l’amour avec un homme qui n’a pas peur que je le dévore tout cru… Steinie : qu’est-ce que j’en ai à faire de l’Exil ? C’est ce monde que j’aime. Je peux m’y éclater dans trois millions de directions, Steinie ! Les Terriens sont en train de croître et de multiplier dans tous les coins de la galaxie. Toute notre race évolue de manière fantastique et sous nos yeux ! Est-ce que tu sais qu’un de mes gosses est en train de devenir méta ? Ça se passe partout, de nos jours. La biologie de l’homme, pour la première fois depuis l’Age de Pierre, évolue en même temps que sa culture. Non, mon chéri, je ne veux pas manquer ça. Oh, foutre non !
Il essuya ses larmes. Il avait honte de lui-même.
— Alors j’espère que je ne t’ai pas donné ma petite graine, mignonne, parce que je ne pense pas que nos gènes puissent s’accorder.
Elle prit son visage entre ses mains et l’embrassa.
— Je sais pourquoi il faut que tu partes, Yeux Bleus. Mais j’ai aussi vu ton profil psychosocial. Et toutes ces courbes n’ont rien à voir avec ton hérédité, quoi que tu en penses. Si tu avais été éduqué autrement, mon petit, tu t’en serais mieux sorti, crois-moi.
— Animal… Il m’a traité d’animal meurtrier, chuchota Stein.
Elle le berça doucement.
— Quand elle est morte, il a eu une peine affreuse. Et il ne savait pas que tu comprendrais ce qu’il disait. Essaie de lui pardonner, Steinie. Et essaie de te pardonner à toi-même.
La foreuse se cabra violemment sous un jet de gaz surgi des entrailles du Stromboli. Ils décidèrent de fuir en vitesse avant que les écrans thermiques à champ sigma ne finissent par craquer et ils quittèrent la poche de lave par une cheminée sous-marine éteinte. Quand ils émergèrent au fond de la Méditerranée, à l’ouest de l’île, la coque de la foreuse se mit à résonner sous une pluie de rocs.
Ils firent surface pour découvrir une nuit de cauchemar. Le Stromboli était entré en éruption, crachant des nuages de feu jaunes et rouges et des bombes de lave qui retombaient comme des fusées dans la mer.
— Nom d’un pétard ! s’exclama Georgina. C’est nous qui avons fait ça ?
La foreuse dansait sauvagement sur les vagues. Stein eut un sourire affreux et demanda en tendant les bras vers elle :
— Tu veux essayer la dérive continentale ?
Richard Voorhees prit le Métro Express de Unst à Paris, puis à Lyon. Pour la dernière partie de son voyage, il loua un œuf chez Hertz. Initialement, il avait eu l’intention de gagner l’Europe et de passer son temps à manger, à boire et à baiser avant de se jeter du haut d’une montagne, quelque part dans les Alpes, mais il avait rencontré quelqu’un sur le long-courrier qui l’avait amené d’Assawompset et qui lui avait parlé de cet étrange phénomène terrestre qu’était l’Exil.
Et Richard s’était dit aussitôt que c’était exactement le genre de sursis qu’il lui fallait. Un nouveau départ sur un monde primitif peuplé d’êtres humains pour qui il n’y avait plus de règles. Rien d’autre à affronter que quelques monstres préhistoriques, de temps en temps. Plus de créatures baveuses, plus de nains affreux, plus de Gi obscènes ni de Krondaku qui vous donnaient l’impression de revivre vos cauchemars d’enfant. Et surtout… surtout , plus de Lylmik.
Il connaissait divers moyens de tirer les ficelles et il commença dès qu’il eut franchi les contrôles et qu’il pût accéder à un télékiosque. La plupart des candidats à l’Exil s’inscrivaient des mois à l’avance sur la liste par l’intermédiaire de leur conseiller psychosocial et subissaient tous les tests requis avant de se présenter. Mais Voorhees, vieux combinard, connaissait un moyen d’accélérer les choses. La clé magique lui avait été donnée par une compagnie terrienne pour laquelle il avait accompli une mission délicate moins d’un an auparavant. En fait, ladite compagnie avait autant intérêt que lui à ce qu’il s’évanouisse le plus vite possible. Et il ne lui fallut guère d’efforts pour que l’organisation réservée aux personnalités importantes accepte d’intercéder en sa faveur afin de convaincre les gens de l’Auberge du Portail de bien vouloir faire subir un minimum de tests à Richard, ici-même, à l’astroport, avant de le diriger vers les Départs.
Ce soir-là, tandis qu’il survolait la vallée du Rhône en direction des Monts du Lyonnais, il éprouva malgré tout quelques angoisses. Il se posa à Saint-Antoine-des-Vignes, à quelques kilomètres de l’auberge, et décida de s’offrir un dernier repas tranquille. Le soleil d’août venait de disparaître derrière le col de la Luère et le petit village pittoresque était assoupi dans la chaleur du soir. Le café était minuscule, mais il y faisait sombre et frais et, dieu merci, l’endroit était plus confortable qu’élégant. En entrant, Richard nota avec satisfaction que la Tri-D était éteinte, que la musique était discrète et que ça sentait bon la cuisine.
Un jeune couple et deux hommes plus vieux, sans nul doute des agriculteurs du coin à en juger par leurs vêtements, étaient installés près des fenêtres, se gavant de saucisson et de salade.
Sur un tabouret, au comptoir, un homme corpulent et blond vêtu d’un complet scintillant de nébuline dégustait un poulet accompagné d’une sauce rose tout en buvant de la bière dans une énorme chope de deux litres. Après une brève hésitation, Richard s’approcha et se jucha sur le tabouret voisin.
Le géant blond lui jeta un bref coup d’œil, hocha la tête et continua d’engloutir son poulet. Le patron surgit de la cuisine. C’était un homme ventripotent, l’air jovial, avec un grand nez aquilin. Il salua chaleureusement Voorhees. Il avait instantanément reconnu un étranger à la Terre.
— J’ai entendu dire, dit Richard avec précaution, que la cuisine, dans cette partie de la Terre, n’est jamais faite avec des produits synthétiques.
— J’aimerais mieux qu’on m’enlève l’estomac plutôt que de m’infliger des algo-protéines, des bio-cakes et toutes ces saletés ! Vous n’avez qu’à demander autour de vous !
— Tu l’as dit, Louis ! ricana un des deux hommes âgés en brandissant sa fourchette.
Le patron se pencha par-dessus le comptoir.
— Voyez-vous, la France a connu bien des changements. Ses habitants se sont dispersés dans toute la galaxie et notre langue est en train de mourir. Notre sous-sol est une espèce de ruche industrielle et, en surface, ça ressemblerait plutôt à Disneyland avec toutes ces reconstitutions historiques… Mais il y a trois choses qui sont immortelles et qui n’ont pas changé : notre cuisine, nos fromages et nos vins ! Maintenant, je crois comprendre que vous venez de loin. (Il adressa à Richard un clin d’œil aimable.) Vous êtes peut-être comme cet autre monsieur, là. Vous avez encore du chemin à faire. Alors, si vous avez envie d’un repas cosmique… Eh bien, ma foi, nous sommes une maison modeste, mais notre cuisine et notre cave sont de classe quatre étoiles, si vous êtes prêt à y mettre le prix.
Richard eut un soupir.
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