— Je suis fatigué de vos jeux de mots, l’interrompit Kerk. Vous avez trouvé ces créatures et leur emplacement a été noté ?
— Sur la carte, dit Méta. Je pourrais y aller les yeux bandés.
— Bien, parfait, dit Kerk en se frottant les mains. Il faut faire un véritable effort pour se faire à l’idée qu’après toutes ces années la guerre pourrait bientôt être finie. Mais maintenant, c’est possible. Au lieu de tuer simplement ces légions diaboliques qui se reconstituent toujours, nous pouvons frapper plus haut. Traquer les chefs, lutter enfin directement avec eux – et effacer toute trace de cette engeance de la face de la planète !
— Rien de ce genre, dit Jason en faisant un effort pour s’asseoir. J’ai été bousculé de tous côtés depuis que je suis sur cette planète et j’ai risqué ma vie plus de dix fois. Pensez-vous que je l’aie fait uniquement pour satisfaire vos sanglantes ambitions ? Je suis à la recherche de la paix, pas de la destruction. Vous avez promis d’entrer en contact avec ces créatures, d’essayer de négocier avec eux. N’êtes-vous pas un homme d’honneur qui tient sa parole ?
— Je vais ignorer cette insulte, pour laquelle je vous aurais tué à tout autre moment, répondit Kerk. Vous avez rendu de grands services à notre peuple et nous n’avons pas honte de reconnaître une dette. Mais ne m’accusez pas de ne pas respecter des promesses que je n’ai jamais faites. Je me souviens de mes mots exacts. J’ai promis de seconder tout plan raisonnable tendant à mettre fin à cette guerre. C’est exactement ce que j’ai l’intention de faire. Votre plan de négociation n’est pas raisonnable. Nous allons donc détruire l’ennemi.
— Essayez de réfléchir ! Qu’est-ce qui ne vous plaît pas dans l’idée d’une négociation ou d’un armistice ?
Le compartiment était maintenant plein de monde. Kerk, qui cherchait à sortir, se retourna.
— Je vais vous dire ce qui ne me plaît pas. C’est une solution de lâche. Il vous est facile de la suggérer, vous êtes étranger et vous ne voyez rien de mieux. Mais pensez-vous honnêtement que je puisse envisager un seul instant une solution aussi défaitiste ? Je parle au nom de nous tous. Lutter nous est indifférent et nous sommes entraînés pour cela. Et si nous devons choisir entre la poursuite de la guerre et une paix de lâches – nous votons pour la guerre. Cette guerre ne sera terminée que lorsque l’ennemi aura été anéanti !
Les Pyrrusiens présents murmurèrent leur approbation et Jason dut crier pour se faire entendre.
— Vous êtes extraordinaire. Entendez-vous ces applaudissements dans les coulisses ? Ce sont les esprits de tous ces brandisseurs de sabre idiots qui ont un jour milité pour les causes nobles. Ils scandent avec vous le vieux slogan : « Nous sommes du côté des justes et l’ennemi est conduit par Satan. » Et ça n’a aucune importance que l’autre camp dise la même chose. Vous utilisez encore les mots qui ont tué des gens depuis la naissance de la race humaine. Une « paix de lâches », quelle idiotie ! La paix signifie ne plus être en guerre, ne plus combattre. Qu’espérez-vous cacher avec cette confusion sémantique ? Vos raisons véritables ? Je ne peux pas vous reprocher d’en avoir honte. Pourquoi cacher plus longtemps que vous continuez cette guerre parce que vous aimez tuer ? Vous et vos meurtriers êtes heureux de voir mourir ce qui vous entoure, tuer est devenu pour vous le bonheur même !
Ils attendirent tous la réponse de Kerk. Pâle de colère, ce dernier avait du mal à se contenir.
— Vous avez raison, Jason. Nous aimons tuer. Et nous allons tuer. Tout ce qui nous a jamais combattus sur cette planète va mourir. Et nous allons prendre un grand plaisir à le faire.
Il se retourna et partit, laissant flotter dans l’air ses paroles lourdes de menaces. Les autres le suivirent, surexcités.
Jason se laissa retomber sur sa couchette, épuisé et vaincu.
Lorsqu’il releva les yeux, ils étaient tous partis, sauf Méta. Elle avait la même expression d’espoir sanguinaire sur le visage, mais qui s’effaça lorsqu’elle le regarda.
— Alors, Méta ? Aucun doute ? Vous pensez aussi que la destruction est la seule façon de mettre fin à cette guerre ?
— Je ne sais pas, répondit-elle. Je ne suis pas sûre. Pour la première fois de ma vie, je me retrouve avec plus d’une réponse pour une seule question.
— Bravo ! répondit-il amèrement. C’est un signe de maturité !
Jason regardait les armes de mort que les Pyrrusiens chargeaient dans les soutes du vaisseau. Ils manifestaient une très bonne humeur en rangeant les fusils, les grenades et les bombes à gaz. Lorsque l’un d’entre eux monta à bord avec la bombe atomique portative, ils entamèrent un chant de triomphe. Ils étaient peut-être heureux, mais le proche carnage remplissait Jason d’une tristesse intense. D’une certaine façon, il se considérait comme traître envers la vie.
Les pompes de démarrage se firent entendre à l’intérieur du vaisseau et Kerk apparut à la porte de la tour de contrôle. Ils allaient partir dans quelques minutes. Jason se força à courir et intercepta Kerk à mi-chemin du vaisseau.
— Je viens avec vous, Kerk. Je les ai trouvés, vous me devez au moins ça.
Kerk hésita, cette idée ne lui plaisant pas beaucoup.
— C’est une mission opérationnelle. Il n’y a pas de place pour des observateurs et la charge utile du vaisseau ne le permet pas… Il est trop tard pour nous arrêter, Jason, vous le savez très bien.
— Vous êtes vraiment le plus fieffé menteur de tout l’univers, répondit Jason. Nous savons très bien tous les deux que ce vaisseau peut enlever dix fois le poids qu’il transporte aujourd’hui. Alors, me laissez-vous venir ou me l’interdisez-vous sans raisons ?
— Montez, dit Kerk. Mais ne vous trouvez pas sur notre chemin ou vous serez écrasé.
La destination étant connue, le vol fut beaucoup plus rapide cette fois-ci. Méta fit passer le vaisseau dans la stratosphère selon une trajectoire balistique qui les amena juste au-dessus des îles. Kerk se trouvait dans le siège du copilote, et Jason était assis derrière eux à un endroit d’où il pouvait surveiller les écrans. Les vingt-cinq volontaires qui formaient le groupe d’attaque se trouvaient dans la soute avec les armes. Tous les écrans du vaisseau étaient branchés sur le détecteur avant. Ils virent l’île verte apparaître et grossir, puis disparaître derrière les flammes des fusées de freinage. Méta posa le vaisseau en douceur sur un rocher plat, situé près de l’entrée de la caverne.
Jason se tint prêt à recevoir la vague de haine, mais ce fut encore plus douloureux que ce qu’il avait imaginé. Les mitrailleurs se mirent à tirer sur tous les animaux de l’île qui s’approchèrent du vaisseau. Ils furent des milliers à être abattus, mais ils continuèrent à attaquer.
— Est-ce absolument indispensable ? demanda Jason. C’est un meurtre, un carnage, une boucherie.
— C’est de l’autodéfense, répondit Kerk. Ils nous attaquent et nous nous défendons. Qu’y a-t-il de plus simple ? Maintenant fermez-la ou je vous jette dehors avec eux.
Une demi-heure s’écoula avant que le feu ne ralentît. Les animaux attaquaient toujours, mais les assauts massifs semblaient terminés. Kerk ouvrit un circuit de l’interphone.
— Le groupe d’attaque peut sortir, mais faites attention où vous mettez les pieds. Ils savent que nous sommes ici, et ils vont nous rendre la situation aussi intenable que possible. Emmenez la bombe dans la caverne et voyez jusqu’où va cette caverne. Nous pourrions faire exploser la bombe d’en haut, mais l’effet serait nul s’ils sont terrés dans le rocher. Laissez votre caméra en marche, lâchez la bombe et revenez immédiatement si je vous l’ordonne. Allez-y.
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