Il existe des sculptures à flanc de rochers, assez anciennes, sur une surface d’environ cinquante mètres carrés. Les aborigènes de la région prétendent n’en connaître ni l’origine ni le but. J’avais vu des photos mais je voulais voir la chose de mes propres yeux, prendre moi-même des photos, des empreintes et faire quelques fouilles.
Je m’étais abrité à l’ombre de ma tente, j’avais siroté des sodas et essayé d’avoir des pensées neuves en contemplant le travail sur le roc. Bien que je m’abandonne rarement à l’art du graffiti, verbal ou pré-, j’ai toujours eu quelque sympathie pour ceux qui escaladent des montagnes et laissent leurs marques dessus. Plus on remonte dans le passé, et plus l’acte devient intéressant. Bien sûr, il est peut-être vrai, comme certains l’ont affirmé, que la première impulsion ait été ressentie dans l’équivalent troglodyte des chiottes et que les sculptures des cavernes aient pris naissance de cette façon, comme une espèce de sublimation et d’évolution d’un moyen encore plus primitif de délimiter son territoire. Néanmoins, quand on commence à escalader des murs et des montagnes pour le faire, il me semble assez évident que l’événement se transforme alors de passe-temps en forme d’art. J’ai souvent pensé au premier type avec un mastodonte dans la tête, en contemplation devant une montagne ou un mur de caverne, en me demandant la raison pour laquelle il s’était soudain mis à grimper et à sculpter – ce qu’il avait ressenti. Peut-être l’avait-on suffisamment persécuté pour provoquer l’impulsion et l’enthousiasme à la base de tout cela. Ou peut-être que l’initiative et la hardiesse que cette entreprise exigeait étaient des qualités plus répandues alors, n’attendant que le stimulus approprié, et qu’on considérait l’excentricité comme une chose aussi ordinaire que de faire bouger ses oreilles. Impossible à dire. Difficile de ne pas s’en préoccuper.
Quoi qu’il en soit, j’avais pris des photos cet après-midi-là, creusé des trous le soir et le matin suivant. J’avais passé la plus grande partie du deuxième jour à prendre des moulages et encore des photos. J’avais continué à creuser ma tranchée jusqu’au crépuscule, découvert ce qui me semblait être les morceaux d’un ciseau de pierre émoussé. Je n’avais rien trouvé de plus intéressant le lendemain matin, alors que j’avais continué à creuser bien après l’heure que je m’étais assignée pour m’arrêter.
Je m’étais alors retiré à l’ombre pour soigner mes ampoules et restaurer l’équilibre des liquides de mon corps tout en notant mes activités de la journée, en même temps que quelques pensées nouvelles qui m’avaient traversé l’esprit concernant l’entreprise tout entière. Je m’étais arrêté pour déjeuner vers une heure et gribouiller dans mon carnet, après, pendant quelque temps encore.
Il était un peu plus de trois heures quand un aéromobile était passé au-dessus de ma tête, avait rebroussé chemin pour descendre. Cela m’avait un peu troublé, car je n’avais aucune autorisation officielle pour faire ce que je faisais. Sur un morceau de papier, une carte, une bande magnétique, ou sur tout cela à la fois, j’étais enregistré comme « touriste ». Je ne savais absolument pas s’il me fallait un permis de fouilles, mais je le soup-çonnais fortement. Le temps a une grande importance pour moi, la paperasserie en gâche, et j’avais toujours cru avec ferveur être en droit de faire tout ce qu’on ne m’empêchait pas de faire. Ce qui impliquait quelquefois de ne pas être surpris à le faire. Ce n’est pas aussi terrible que cela pourrait paraître, car je suis un type décent, civilisé et aimable. Ainsi, me protégeant les yeux de la lumière étincelante de l’après-midi, je cherchais déjà le moyen de convaincre les autorités de tout cela. Le mensonge, avais-je décidé, représentait sans doute la meilleure solution.
L’appareil avait atterri et deux hommes en étaient descendus. Leur allure n’avait rien d’officiel, mais en accord avec la politesse et les circonstances, je m’étais levé pour aller à leur rencontre. Le premier devait avoir à peu près ma taille – c’est-à-dire un peu moins d’un mètre quatre-vingts – mais il était solidement bâti et avait un début d’estomac. Les cheveux et les yeux clairs, il était légèrement hâlé et luisant de sueur. Son compagnon avait bien cinq centimètres de plus que lui, un bronzage de quelque ton plus foncé et des cheveux noirs rebelles qu’il repoussa de son front en s’avançant. Il était mince et avait l’air en pleine forme. Tous deux portaient des chaussures de ville et non des bottes, et le fait qu’ils n’aient rien sur la tête pour se protéger du soleil m’avait paru bizarre.
– Fred Cassidy ? s’était enquis le premier, en arrivant à quelques pas de moi, puis se détournant pour regarder le mur et ma tranchée.
– Oui, avais-je répondu.
Il avait sorti un mouchoir étonnamment délicat et s’était essuyé le visage.
– Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? m’avait-il demandé.
– Je ne cherchais rien de spécial, avais-je dit.
Il avait ricané :
– Il semble que vous vous êtes donné un mal fou pour quelqu’un qui ne cherche rien.
– Ce n’est qu’une tranchée de fouilles.
– Pourquoi faites-vous des fouilles ?
– Et si vous me disiez qui vous êtes et pourquoi vous voulez savoir ce que je fais ?
Il avait ignoré ma question et s’était penché pour regarder la tranchée. Il l’avait suivie tout au long, en se baissant plusieurs fois pour mieux l’examiner, Pendant qu’il se livrait à cette occupation, le second type s’était dirigé vers mon abri. J’avais protesté en le voyant prendre mon sac à dos, mais il l’avait ouvert quand même et en avait déversé le contenu par terre.
Le temps que je le rejoigne, il était en train d’explorer ma trousse de toilette. Je l’avais pris par le bras mais il m’avait repoussé. La seconde fois que j’avais essayé, il m’avait poussé rudement et j’étais tombé par terre. Avant de toucher le sol, j’avais décidé que ce n’était pas des flics.
Plutôt que de me relever pour une troisième tentative, je lui avais lancé un coup de pied d’où j’étais et l’avais atteint au tibia avec mon talon. Le résultat n’avait pas été aussi spectaculaire que lorsque j’avais touché Paul au bas-ventre mais plus que suffisant pour mes desseins. J’avais eu le temps de me mettre debout et l’avais cueilli au menton avec un gauche bien senti. Il s’était effondré et n’avait plus bougé. Pas mal pour un seul coup de poing. Si je pouvais faire ça sans une pierre dans la main, je serais une véritable terreur.
Mon triomphe n’avait duré que l’espace de quelques secondes. Un sac de boulets de canon m’était tombé sur le dos, ou du moins ce fut mon impression. Des bras m’avaient agrippé par-derrière et m’avaient jeté par terre de la manière la moins sportive qui soit. Le gros était beaucoup plus rapide que son apparence pouvait le faire croire, et pendant qu’il me tordait le bras derrière le dos et m’attrapait par les cheveux, j’avais commencé à réaliser que cette masse se composait plus de muscles que de graisse. Même son estomac était dur comme du bois.
– Bon, Fred, il me semble que c’est le moment d’avoir une petite conversation, avait-il dit.
Danse des étoiles…
Etendu là, avec mes bleus, mes contusions, mes douleurs et ma confusion, je décidai que le professeur Merimee avait presque atteint le cœur, paisible et froid, des choses, là où se cachent les définitions. Absurde, en effet, que le passé me tende une main secourable quand elle m’était le plus inutile.
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