Il regarda Mu Ren et le bébé. Il avait pleinement conscience des dangers auxquels ils s’exposeraient dans les jardins. Il avait pu voir sur les chasseurs les effets de l’exposition au soleil.
« Voyagez de nuit, dit la Moissonneuse. Nous donnerons le change aux chasseurs pour vous protéger. Mais restez dans la végétation haute, en dessous des rives des canaux. N’emportez pas d’objets métalliques. Si vous couvrez plus de quinze kilomètres par jour, ils ne pourront pas connaître votre position. Je dois terminer maintenant, un champ de repérage tâte notre faisceau. N’attendez pas trop longtemps. »
Le Bricoleur retira lentement les écouteurs.
« Qui était-ce ? demanda Mu Ren en se redressant.
— Je n’en sais rien, mais nous allons le découvrir. Nous allons Dehors. »
La peur se lut sur son visage. Elle étreignit l’enfant.
« Nous obtiendrons la dispense ! » s’écria-t-elle.
Il alla auprès d’elle et lui caressa la tête. « C’est la seule chance pour nous… pour Junior, dit-il d’un ton apaisant. Nous allons prendre des précautions contre l’exposition et tâcher d’éviter les chasseurs. Je vais préparer ce dont nous aurons besoin. Ce ne sera pas si terrible. Nous avons des cartes.
— Personne ne peut survivre au-Dehors, éclata-t-elle. Les Inadaptés et les drogués à la R.M. sortent pour mourir. Si les chasseurs ne nous tuent pas, ce sera les Broncos. Ce sont des cannibales féroces. »
Il lui donna une étreinte non rituelle. « Il y a des Disciples d’Olga Au-Dehors. Ils nous protégeront. »
Elle n’était pas convaincue, mais il commença immédiatement les préparatifs. Il fit plusieurs voyages jusqu’à la base du puits pour se procurer un supplément de vêtements en textile d’ordonnance, de quoi les raccommoder, et des méditrousses, ainsi que de la literie. En prenant garde de ne pas y mettre d’objets métalliques, il apprêta les sacs à dos, les ceintures multi-usages et un porte-bébé. Il attacha ce dernier sur son dos afin de l’ajuster.
À l’improviste, deux hommes trapus surgirent sur le seuil : des neutres de la Sûreté.
« On part en voyage ? » demanda le capitaine d’une voix cruelle.
Le Bricoleur eut le réflexe de lui faire son sourire de Bon Citoyen.
« C’est ça. Une Escalade. Pour mes congés. Vous auriez dû vérifier avant de venir. »
Il était deux mille cent heures. La brigade avait dû être dépêchée sitôt qu’ils avaient eu localisé son faisceau dense. Mais il doutait qu’ils sachent exactement à quoi s’en tenir à son sujet. Ils hésitaient. Il entendit dans le boyau un autre homme de la Sûreté lancer un appel afin de vérifier ses dires. Il se pencha par la porte. Il y en avait trois autres près de la spirale, avec des bâtons et des filets de jet.
Mu Ren serrait son enfant contre elle, anxieuse. Un troisième neutre entra, avec un émetteur-récepteur.
« Il ment, pour l’Escalade. C’est une famille anti-S.T. L’enfant n’est pas autorisé. Lui est en grève. Elle, a ignoré les convocations de la clinique. Ils sont tous trois sous le coup d’un mandat d’amener. »
Le premier officier sortit une paire d’entraves pour les chevilles.
« On va emmener ces deux-là. Et en route on jettera le gosse dans le vide-ordures de synthétisation. Le Psych les renverra dans un centre d’orientation S.T. », dit-il, en s’avançant vers le Bricoleur.
Le visage de ce dernier était souriant. Mais il réfléchissait à toute vitesse. Trois neutres, aussi lourds que lui, mais qui n’avaient pas sa large carrure. Il recula contre son établi, poussa un commutateur. La pièce vibra sous les 160 décibels d’un signal sonore de 10000 hertz. À l’aide d’un flexible d’un mètre de long, il dispersa les gardes. Des gouttelettes rosées éclaboussèrent les murs. Des lambeaux de chair molle volèrent dans l’air. Il poussa Mu Ren en avant. Elle pressait l’enfant entre ses seins. Le boyau était obstrué à la sortie par les filets et les bâtons des neutres qui les observaient à travers les mailles serrées. Il en éloigna sa compagne. Une trappe d’accès leur permit de gagner l’obscurité de l’entre-murs. Une épaisse poussière spongieuse se collait à leur visage et à leurs mains. Des rats, dérangés, couinèrent et détalèrent. Après une longue ascension dans une manche d’aération, ils atteignirent la surface.
« Nos sacs, gémit Mu Ren. Nous les avons laissés là-bas. » À travers les volets, ils scrutèrent les jardins lumineux. Les fruits et les légumes formaient un kaléidoscope coloré qui les fascina. Même le Bricoleur n’avait jamais regardé Au-Dehors sans lunettes protectrices avant ce moment.
« Ne t’inquiète pas, dit-il en louchant. Nous sommes en sécurité ici. Nous pourrons attendre la nuit pour voyager. »
Ils se reposèrent et reprirent leur souffle. Le Bricoleur épousseta le porte-bébé et le réajusta plus étroitement sur son dos. Ils essuyèrent le visage du bébé et le laissèrent s’endormir.
« Il y a une chose dont nous n’avons pas à nous préoccuper, Dehors », dit-il.
Elle leva des yeux interrogateurs.
« Les savorisées ? »
« Passé aux Broncos ? Impossible ! Pas le Bricoleur ! » hurlait Val en arpentant l’appartement désert de son ami.
Le capitaine de la Sûreté était assis, une Médi-mache et un Méditech soignaient ses blessures.
« En tout cas, ils sont Dehors, et ça n’a rien à voir avec le C.I. ou la R.M. »
Val piétinait, fouillait dans le désordre de boîtes et de fils électriques.
« Ils n’avaient pas cinq orteils. Par définition, ce ne sont donc pas des Broncos.
— Quoi qu’il en soit, ils sont Dehors. Un homme du Conduit est venu, il a repéré leurs traces dans la manche d’aération. Les volets étaient cassés. »
Val inspecta le rafraîchisseur du Bricoleur. Il découvrit un rasoir droit et un affiloir.
« Le Comité des Objets Tranchants est-il au courant de ça ? dit-il en brandissant la dangereuse lame de dix centimètres de long.
— Je ne crois pas », murmura le capitaine, qui reculait, apeuré.
Val replia la lame.
« C’est bien du Bricoleur : laisser de côté le dépilatoire Kerato-Sol, si agréable d’emploi et sans danger, et fabriquer lui-même son rasoir. La polarisation l’a vraiment changé. »
L’un des techs de la Sûreté qui relevait les empreintes autour de la couchette se redressa. Il écarquillait les yeux. « Cinq orteils ! »
C’était l’empreinte du pied du bébé.
« Le mauvais gène, marmonna Val. Ils le portaient tous les deux. Cela explique ses actes anti-S.T. »
Le capitaine de la Sûreté se remit lentement sur pied.
« Vous allez envoyer des chasseurs ?
— Bien sûr, dit Val. Envoyez ce rasoir au Comité des Objets Tranchants », dit-il en le lui tendant, la lame refermée.
Chien Courant roula jusqu’au sphincter d’ouverture du Garage. Walter resserra les boucles de la combinaison de Val et lui tendit un casque Pelger-Huet : une sphère large et légère, à la surface extérieure granulaire, pourvue d’un hublot horizontal en forme de haricot.
« Penses-tu que ce soit sage d’aller seul à sa poursuite ? interrogea le vieux Walter. Ses cartes murales sont très détaillées, ajouta-t-il en les examinant. Il sait où il va. »
Val opina, l’air lugubre.
« Aucune raison d’envoyer une section entière. Il faut continuer les patrouilles de routine. De toute façon, on ne peut utiliser qu’un chasseur à la fois. Ils ont besoin de leur drogue pour sortir, et ils se chasseraient les uns les autres si on en larguait plusieurs. Je connais le Bricoleur. Je pourrai peut-être le persuader de rentrer.
— Et si tu n’y arrives pas ?
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