Le Batteur sursauta en montant dans l’outrigger. Sa peau nue se couvrit de chair de poule ; elle était blanche et ridée sous la lueur des étoiles. « Il y a une pile de couvertures sur le siège avant ! » cria Trilobite. Le Batteur scruta les eaux sombres et clapotantes où disparaissait une remorque. Il laissa le canot attaché à une bouée, se ramassa en boule et attendit, tandis que la petite mache en forme de pelle lui faisait traverser les trois kilomètres d’océan.
« Il n’a absolument rien sur lui, pas même ce sachet de pilules. Fais descendre le télésiège, tandis que je lui prépare un bol de ragoût chaud, épais et bien assaisonné, » dit ARNOLD.
— « Entendu ! »
Sur le pont, le Néchiffe nu fut accueilli par Trilobite et un centaure.
« ARNOLD t’a préparé quelque chose de chaud dans la cabine. Viens. »
Ils passèrent devant les énormes optiques du bateau, en direction de la cabine, d’où parvenait l’arôme de la viande et des légumes.
« Je suis venu vous mettre en garde, » dit le Batteur. « N’ayez aucune relation avec la fourmilière. On ne peut pas lui faire confiance. Elle ne désire que gagner du temps pour pouvoir étudier vos points faibles afin de mieux vous écraser ensuite. »
Larry se contenta de sourire. « C’est drôle, mais nous sommes dans les mêmes dispositions. Connaître tous les points faibles de la fourmilière, pour l’écraser une nouvelle fois ! »
Brusquement, Trilobite se mit à danser devant le petit Néchiffe bedonnant et le frappa au cou du bout de sa queue d’un mètre. Le sang gicla. Le Batteur s’effondra sur le pont, en suffoquant.
Larry se dressa sur ses pattes de derrière et s’interposa entre le vieillard et le cyber. Le Batteur essaya de ramper, mais ses mains glissaient dans les flaques de sang.
« Une Médi-équipe ! » hurla Larry. « Mon Dieu ! Que fais-tu, Trilobite ? Tuer un humain… »
— « Je l’ai sauvé ! » dit la mache, en essayant de se glisser de sous le sabot qui la maintenait au sol. « J’ai coupé le mécanisme de déclenchement. Il est piégé. Il y a un optique dans son œil et une bombe dans son abdomen ! »
ARNOLD se précipita hors de la cabine et berça dans ses bras son image paternelle. Il appliqua une compresse sur la déchirure du cou. « Une bombe ? »
— « Oui, » dit la mache. « Rorqual l’a détectée quand il est passé devant son optique. En deux secondes, il a compris ce dont il s’agissait. Comme le détecteur de mensonge est en zone V, il savait que le Batteur n’était pas au courant. Quand le signal de destruction a été donné par la fourmilière, il a fallu que j’intervienne. »
La Médimache remplaça le sang perdu et sutura la blessure. Le Batteur revint à lui et demanda un analgésique.
« Quelle bombe ? » interrogea-t-il, incrédule.
Larry lui expliqua. « Et les électrodes sont dans tes fémurs. »
Le Batteur rit. « Vous vous trompez. J’ai été opéré ; on m’a placé une prothèse bilatérale. Quant à mon œil, ce n’est qu’un cristallin synthétique. On m’a opéré de la cataracte. C’est tout. »
Larry secoua la tête. « Je regrette, mais Rorqual ne commet pas d’erreur de ce genre. Tu as des hanches artificielles, c’est vrai ; mais récemment on les a garnies, d’argent à droite et de plomb à gauche. Le taux de ces métaux dans ton sérum est en augmentation ; il a voisine un micromole par litre. »
Sur l’écran s’imprimèrent les chiffres :
½ Pb ++ E°= + 0,126 K = 1,3 X 10 2
Ag+ E°= – 0,800 K = 3,5 x 10- 14
« Tu ferais une bonne batterie, » dit Larry. « Ces potentiels oxydation-réduction sont suffisamment espacés. »
— « Furlong ! » cracha le Batteur. « Il avait dû piéger également ce pauvre Ode. Bon sang ! Et c’est moi qui ai entraîné Ode là-dedans ! »
— « Ne t’en fais pas, » dit le géant, d’une voix d’une douceur inhabituelle. « Notre Médi-équipe va t’examiner et retirer ce truc de là-dedans. »
— « Il vaudrait mieux l’emmener plus à l’arrière. Il n’est pas loin du cerveau du bateau ici. Si jamais il explosait… »
ARNOLD se rappela les dégâts faits sur le radeau. On édifia en zone neutre un abri aux parois minces. Une solide Mache de Guerre était plantée devant, avec des plateaux de rafraîchissements, cependant que la Médi-équipe commençait les recherches. Les humains étaient rassemblés dans la cabine avant et parlaient par intercom.
« Il s’agit bien d’une bombe. Il nous faudrait un Épurateur de Sang pour nous débarrasser de ces ions avant l’opération. Le filtre cardiopulmonaire nous prendra plus de temps. »
— « Prenez tout le temps qu’il vous faudra, » dit ARNOLD. « Faites attention. Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose. »
Le Méditech ne dit rien, mais il était conscient qu’une explosion l’emporterait en même temps que le patient.
« Autant repartir vers les îles, » dit Larry. « Le Batteur n’a plus besoin de rentrer à la fourmilière, maintenant. Il est beaucoup plus en sécurité avec nous. »
— « Hissez le canot. Un capitaine en a toujours besoin ! » cria ARNOLD.
Des images apparurent sur l’écran, ternes et floues.
« Voici donc ce que capte la caméra-espion dans mon œil. Pourquoi est-ce si trouble ? Je n’ai pas la vue aussi faible. »
— « Vous vous servez de vos deux yeux. Il y a un ptérygion sur cette cornée : un réseau de vaisseaux microscopiques. De plus, c’est un très petit optique, moins de vingt-cinq mille points, » expliqua l’Électro-tech. Il agrandit plusieurs des images enregistrées, à titre d’échantillon. Les visages étaient des masques anonymes. Les paysages, des contours vagues.
— « Ces pauvres Océanides sur le radeau d’Ode… Je suis sûr que Furlong ne savait pas qui ils étaient. Il a dû voir deux ou trois visiteurs costauds, et il espérait que l’un d’eux était ARNOLD quand il a appuyé sur le gros bouton noir. »
Le tech hocha la tête. « Je suis convaincu qu’il n’a pu identifier personne à l’aide des seuls optiques, mais il y a aussi un dispositif sonore. Le transmetteur se trouve dans la partie droite du thorax, aussi la plupart des sons que j’entends sont produits par votre cœur et vos poumons. Mais je pense que Furlong a pu comprendre des fragments de vos conversations. Ça, plus les optiques, lui a appris que vous étiez près du poste de commandes de Rorqual quand il a appuyé sur le bouton. »
— « Ma cible : le cerveau du navire. Bon sang ! »
Rorqual jeta l’ancre près d’une île, du côté sous le vent. Les tests se poursuivaient. On localisa huit paires de fioles grâce aux rayons X. Elles étaient fixées au corps vertébral, derrière l’épine dorsale, et partaient du niveau des artères rénales pour aboutir au pelvis, entre la prostate et le sacrum. Les Électrotechs étaient en train de construire une réplique des circuits pour les étudier avant de s’attaquer à la bombe réelle.
« Prends un peu de détente, Larry. Ils ne seront pas prêts à couper le circuit avant demain. Mes épouses vont à terre chercher des légumes frais. Veux-tu les accompagner ? C’est assez rocailleux et elles pourraient avoir besoin d’aide pour le transport. »
Larry accepta. L’ascenseur amena un essaim de filles robustes, parmi lesquelles se trouvait Ventre Blanc. Elles portaient des sacs vides, et attendirent contre le bastingage, bavardant et riant.
« Amenez le canot du capitaine ! » cria Larry.
L’île était un conglomérat d’éboulis, de cinq kilomètres sur deux, avec quelques arpents de gazon ça et là. Un édifice antique d’avant la fourmilière marquait le point culminant. Au nord de cette construction s’étendait un marais d’un hectare, en une dépression circulaire. Le canot trouva une crique abritée et s’ancra contre un quai désagrégé. Il y avait des escaliers de pierre qui ne menaient nulle part.
Читать дальше