La porte qui était derrière la tapisserie s’ouvrait sur un petit bureau, avec une autre porte dans le fond. Il n’y avait aucune trace de coffre-fort. David fit sauter la serrure avec un levier de sa trousse à outils, mais il n’y avait là que la montagne de papiers habituelle. J’étais sur le point d’ouvrir la porte du fond quand j’entendis du bruit, une sorte de frottement ou de grattement, qui venait de derrière la porte.
Pendant une minute ou deux, personne ne bougea. J’avais toujours la main sur la poignée. Phaedria, derrière moi et à ma gauche, avait soulevé le tapis à la recherche d’une cache dans le plancher, et elle restait à quatre pattes, sa robe étalée comme une fleur noire autour d’elle. Quelque part au-dessous du bureau fracturé, j’entendais la respiration de David. Le frottement se fit de nouveau entendre, et une latte du plancher craqua. David murmura doucement : « C’est une bête. »
Je retirai ma main de la poignée et le regardai. Il tenait toujours le levier et son visage était blême, mais il sourit : « Une bête attachée là-dedans, et qui remue les pattes. C’est tout. »
« Comment peux-tu en être sûr ? » demandai-je.
« N’importe qui nous aurait entendus, particulièrement quand nous avons forcé le bureau. Une personne serait sortie, ou si elle avait peur, elle se serait cachée sans faire de bruit. »
« Je crois qu’il a raison », dit Phaedria. « Ouvre la porte. »
« Et si ce n’était pas une bête ? »
« C’en est une », dit David.
« Si ce n’en était pas une ? »
Je lus la réponse sur leur visage. David crispa les doigts sur son levier, et j’ouvris la porte.
La pièce qui s’ouvrait derrière était beaucoup plus grande que je ne m’y étais attendu, mais nue et sale. L’unique lumière provenait d’une haute fenêtre percée dans le mur du fond. Au milieu du plancher se trouvait une grande caisse de bois marron cerclée de fer, et devant cette caisse était posé ce qui ressemblait à un tas de chiffons. Quand je franchis le seuil, le tas de chiffons se mit à bouger et un visage, un visage triangulaire comme celui d’une mante, se tourna vers moi. Le menton était à moins de cinq centimètres du plancher, mais sous des sourcils épais, les yeux étaient de minuscules charbons ardents.
« Ce doit être ça », dit Phaedria. Elle ne regardait pas le visage, mais le coffre cerclé de fer. « David, tu crois que tu peux en venir à bout ? »
« Je pense », fit David ; mais comme moi, il avait les yeux fixés sur la chose en haillons. « Et ça ? » dit-il au bout d’un moment en faisant un geste vers elle.
Avant que Phaedria ou moi nous ayons pu répondre, la chose ouvrit une bouche où pointaient de longues et étroites dents jaunes : « Maaal », dit-elle.
Aucun de nous trois, je pense, n’avait imaginé qu’elle puisse s’exprimer. C’était comme si une momie s’était mise à parler. Dehors, une voiture passa, ses roues cerclées résonnant sur les pavés.
« Partons », fit David. « Allons-nous-en d’ici. »
« Vous ne voyez pas qu’il est malade » ? dit Phaedria. « Son propriétaire l’a amené ici pour le surveiller et s’occuper de lui. Il doit être très malade. »
« Et il a enchaîné son esclave à son coffre ? » David haussa les sourcils dans sa direction.
« Tu ne comprends pas ? C’est la seule chose qui soit assez lourde dans cette pièce. Tu n’as qu’à t’avancer et donner un bon coup sur la tête de cette malheureuse créature. Si tu as peur, passe-moi le levier et je le ferai moi-même. »
« J’irai. »
Je le suivis jusqu’à un mètre ou deux du coffre. Il brandit impérieusement le levier en direction de l’esclave : « Hé, toi ! Pousse-toi d’ici ! »
L’esclave émit une sorte de gargouillement et se traîna sur le côté, en tirant ses chaînes avec lui. Il était enveloppé dans une couverture crasseuse et déchirée, et ne semblait pas plus grand qu’un enfant. Mais je remarquai ses mains immenses.
Je me tournai et fis un pas vers Phaedria pour lui dire qu’il faudrait nous en aller si David ne réussissait pas à ouvrir le coffre d’ici quelques minutes, mais je me souviens qu’avant d’entendre ou de sentir quoi que ce soit je remarquai ses yeux béants, et je me demandais encore pourquoi quand la trousse à outils de David tomba par terre avec fracas et David lui-même s’écroula avec un cri étouffé et un choc sourd. Phaedria hurla, et les chiens du deuxième étage se mirent à aboyer.
Tout cela, naturellement, s’était passé en moins d’une seconde. Je me tournai pour regarder presque en même temps que David tombait. L’esclave avait lancé son bras et saisi mon frère à la cheville, et en une fraction de seconde avait rejeté sa couverture et bondi — c’est le seul terme que je trouve pour décrire cela — sur lui.
Je saisis l’esclave par le cou et le tirai en arrière, pensant qu’il s’agripperait à David et qu’il serait nécessaire de l’en arracher, mais dès l’instant où il sentit ma poigne, il lâcha David et se tordit comme une araignée dans mes mains. Je vis alors qu’il avait quatre bras.
Ils battaient l’air en essayant de m’attraper, mais je le lâchai en faisant un bond en arrière, comme si on m’avait lancé un rat à la figure. Cette réaction de dégoût instinctive me sauva la vie ; au même instant, il projeta ses pieds en arrière dans une ruade féroce qui, si j’avais continué à le maintenir solidement en lui donnant un point d’appui, m’aurait sûrement fait éclater la rate ou le foie.
Au lieu de cela, il fut projeté en avant, et moi haletant, en arrière. Je tombai et roulai en dehors du cercle que lui laissait sa chaîne. David s’était déjà traîné hors de sa portée, et Phaedria était à l’abri.
Pendant quelques instants, pendant que je frissonnais en essayant de me relever, nous le regardâmes sans rien dire. Puis, David cita tout de travers :
Je chante les armes et le héros qui, chassé par le destin
Et le ressentiment de la cruelle Junon,
Expulsé et exilé, quitta le rivage de Troie.
Cela ne nous fit pas rire ni Phaedria ni moi, mais elle poussa un long soupir et me demanda : « Comment ont-ils fait ça ? Comment ont-ils fait pour le rendre comme ça ? »
Je lui répondis que je supposais qu’ils avaient transplanté la paire de bras supplémentaire après avoir neutralisé la résistance naturelle de son corps à l’implantation de tissus étrangers, et que l’opération avait probablement remplacé quelques-unes de ses côtes par des tissus de l’épaule du donneur. « Je me suis exercé à faire la même chose avec des souris — sur un plan bien moins ambitieux, naturellement — et ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il paraît avoir l’usage complet des membres greffés. À moins de travailler sur de vrais jumeaux, les terminaisons nerveuses ne se raccordent presque jamais correctement, et celui qui a fait cela a probablement essuyé une centaine d’échecs avant d’arriver à ce qu’il voulait. Cet esclave doit valoir une fortune. »
« Je croyais que tu avais laissé tomber tes souris », dit David. « Tu ne travailles pas sur des singes maintenant ? »
Je n’avais pas encore commencé, mais j’espérais le faire bientôt. Cependant, il était clair que parler de tout cela ici ne nous mènerait à rien. J’expliquai cela à David.
« Est-ce que tu n’étais pas pressé de partir ? »
Je l’étais tout à l’heure, mais maintenant, je désirais quelque chose de beaucoup plus important. Je voulais examiner cette créature plus encore que David et Phaedria voulaient trouver l’argent. David aimait à penser qu’il était plus audacieux que moi, et je savais que quand je lui aurais dit : « Peut-être que tu veux t’en aller, David, mais ne me prends pas pour prétexte », la question serait réglée.
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