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Philip Dick: Coulez mes larmes, dit le policier

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Philip Dick Coulez mes larmes, dit le policier

Coulez mes larmes, dit le policier: краткое содержание, описание и аннотация

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Jason Taverner est un homme comblé : toutes les semaines, 30 millions de Fans regardent son show télévisé. Mais il se réveille un matin dans une chambre d'hôtel sordide pour s'apercevoir que son identité s'est évanouie sans laisser de trace : même sa maîtresse, la belle Heather Hart, ne se souvient plus de lui. Une situation pour le moins inconfortable, dans un Etat ultra-policier où tout défaut de papiers d'identité suffit à vous faire expédier dans un camp de travail… Seulement voilà : ce n'est pas un homme comme les autres. Produit d'une expérience secrète, Taverner est un un mutant aux nerfs d'acier qui mènera une lutte sans merci, sous les yeux d'un sentimental, contre la folie où vient de basculer le monde…

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Il remonta sa manche et examina son avant-bras. Oui, le matricule d’identité tatoué, la plaque d’immatriculation somatique qu’il garderait toute sa vie et qu’il emporterait dans le refuge de la tombe.

Alors ? Les pols et les nats du point de contrôle mobile transmettraient son numéro à Kansas City. Ensuite… Ensuite ? Son dossier y était-il toujours ? Ou avait-il disparu, lui aussi, comme son certificat de naissance ? Et s’il n’y était pas, qu’en déduiraient les bureaucrates pol-nats ?

Qu’il y avait eu une erreur technique. Quelqu’un n’avait pas classé les microfilms à leur place. Mais il sera trop tard. J’aurai déjà passé dix ans de ma vie à travailler de la pioche dans une carrière de Luna. Faute de retrouver mon dossier, ils considéreront que je suis un étudiant en cavale. Car il n’y a que les étudiants à ne pas avoir de dossiers pol-nats. Sauf quelques-uns. Ceux qui sont importants, les meneurs.

Je suis au bas de l’échelle. Et je ne peux même pas atteindre le premier barreau, celui de la simple existence physique. Moi qui avais hier une audience de trente millions de spectateurs. Je les retrouverai un jour. Mais c’est encore prématuré. Il y a d’autres priorités. Le seul principe d’existence avec lequel naît tout homme, je ne le possède plus. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Un six n’est pas un individu ordinaire. Aucun individu ordinaire n’aurait survécu ni physiquement ni psychologiquement à l’épreuve que j’ai subie – et je pense en particulier à l’incertitude. Quelles que soient les circonstances extérieures, un six doit toujours l’emporter. C’est là notre définition génétique.

Il ressortit de sa chambre et descendit se présenter à la réception. Un homme d’âge mûr, nanti d’une fine moustache, lisait un exemplaire de Box Magazine.

Vous désirez ? demanda-t-il sans lever les yeux.

Jason sortit son paquet de billets et en posa un de cinq cents dollars sur le comptoir. L’employé jeta un coup d’œil, puis un second, les yeux écarquillés cette fois, après quoi il dévisagea Jason avec circonspection, l’air interrogateur.

— On m’a volé mes papiers, lui expliqua celui-ci. Ces cinq cents dollars sont à vous si vous me trouvez quelqu’un pour m’en faire d’autres. Si c’est oui, occupez-vous-en tout de suite. Je n’attendrai pas.

Pas question d’attendre pour se faire ramasser par un pol ou un nat, se dit-il, piégé ici dans ce petit hôtel miteux.

— Ou de se faire arrêter en sortant dans la rue, rajouta le réceptionniste. Je suis plus ou moins télépathe. Je vous accorde que cet hôtel n’est pas un établissement de grand luxe, mais il n’y a pas de cafards. Il nous est arrivé d’être infestés par des poux de sable de Mars mais ce n’est jamais allé plus loin. (Il empocha le billet.) Je vais vous conduire auprès de quelqu’un qui pourra vous rendre service. Vous êtes convaincu d’être une célébrité, ajouta-t-il après avoir scruté Jason avec attention. Que voulez-vous ? On reçoit toutes sortes de gens ici.

— Maintenant, rétorqua sèchement Jason. Ne perdons pas de temps.

— Tout de suite.

L’employé empoigna sa veste en plastique brillant.

3

Tout en conduisant son antique engin, poussif et bruyant, l’employé disait négligemment à Jason, assis à côté de lui :

— Je capte un tas de choses bizarres dans votre esprit.

— Laissez mon esprit tranquille, l’interrompit brutalement Jason, ulcéré.

Les télépathes curieux et inquisiteurs l’avaient toujours écœuré et celui-ci ne faisait pas exception à la règle.

— Laissez mon esprit tranquille et conduisez-moi auprès de la personne qui doit m’aider. Et, si vous tenez à la vie, je vous conseille de ne pas vous flanquer sur un barrage pol-nat.

— C’est une recommandation inutile, objecta l’employé d’une voix onctueuse. Je sais ce qui se passerait si on nous arrêtait. J’ai déjà fait ça bien des fois. Pour des étudiants. Mais vous n’êtes pas un étudiant. Vous êtes célèbre et vous êtes riche. Tout en n’étant ni célèbre ni riche. Tout en étant une non-personne. Légalement parlant, vous n’existez même pas.

L’homme éclata d’un petit rire ténu sans détourner les yeux du véhicule qui le précédait. Jason nota qu’il conduisait comme une vieille femme, les deux mains soudées au volant.

Ils étaient maintenant entrés dans les bas quartiers de Watts proprement dit. De minuscules et obscures boutiques bordant la rue encombrée, des poubelles débordantes, des fragments de bouteilles épars sur la chaussée, des enseignes délavées proclamant Coca-Cola en grosses lettres et, en dessous, le nom du dépositaire en petits caractères. À un carrefour, un vieux Noir traversa en boitillant, tâtonnant comme si l’âge l’avait rendu aveugle et, à cette vue, Jason se sentit bizarrement remué. C’est qu’il restait si peu de Noirs vivants depuis la fameuse loi Tidman sur la stérilisation adoptée par le Congrès pendant les jours tragiques de l’Insurrection. L’employé freina prudemment pour ne pas affoler le vieillard dont le costume brun chiffonné s’effrangeait. Manifestement, il était ému, lui aussi.

— Vous rendez-vous compte, dit-il à Jason, que si je le heurtais, je serais condamné à mort ?

— C’est normal.

— Ils sont comme les dernières grues couronnées, reprit l’employé en redémarrant maintenant que le vieux Noir avait atteint le trottoir sain et sauf. Il y a des milliers de lois pour les protéger. On n’a pas le droit de se moquer d’eux, on n’a pas le droit de leur flanquer un coup de poing sous peine d’être poursuivi pour agression avec dix ans de prison à la clé. Et pourtant, nous les tuons à petit feu. C’est ce que voulaient Tidman et, probablement, la majorité silencieuse mais… (il fit un geste et, pour la première fois, lâcha son volant). Je regrette les gosses. Quand j’avais dix ans, je me rappelle, j’avais un petit copain noir. Justement, on jouait pas bien loin d’ici. À l’heure qu’il est, il a sûrement été stérilisé.

— Mais avant, il avait eu un enfant, lui fit observer Jason. Sa femme a dû rendre aux autorités leur bon de procréation après la naissance de leur premier et unique enfant. Mais, cet enfant, ils l’ont eu. La loi les y autorise et leur sécurité est garantie par une légion de règlements.

— Un enfant par couple. Comme ça, à chaque génération, la population noire diminue de moitié. C’est ingénieux. Il faut reconnaître que Tidman a résolu le problème racial.

— Il fallait bien faire quelque chose.

Jason, rigide sur son siège, examinait la rue, guettant le panneau indiquant un point de contrôle ou un barrage pol-nat. Il n’en voyait aucun, mais combien de temps allait encore durer le voyage ?

— Nous sommes presque arrivés, lui annonça tranquillement l’employé en lui jetant un coup d’œil à la dérobée. Je n’aime pas vos opinions racistes. Même si vous me donnez cinq cents dollars.

— Pour ma part, je trouve qu’il y a suffisamment de Noirs vivants.

— Et quand les derniers seront morts ?

— Puisque vous lisez dans mes pensées, je n’ai pas besoin de vous répondre.

— Bon Dieu ! s’exclama l’employé qui se concentra à nouveau sur sa conduite.

Il prit un tournant à angle droit et s’engagea dans une ruelle étroite bordée de portes de bois fermées et verrouillées. Ici, plus de panneaux. Rien qu’un silence de plomb et des monceaux d’anciens détritus.

— Qu’y a-t-il derrière ces portes ? s’enquit Jason.

— Des gens comme vous. Qui ne se montrent pas à découvert. Pourtant, il y a une différence : ils ne possèdent pas cinq cents dollars… et même beaucoup plus si je vous lis correctement.

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