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Philip Dick: Coulez mes larmes, dit le policier

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Philip Dick Coulez mes larmes, dit le policier

Coulez mes larmes, dit le policier: краткое содержание, описание и аннотация

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Jason Taverner est un homme comblé : toutes les semaines, 30 millions de Fans regardent son show télévisé. Mais il se réveille un matin dans une chambre d'hôtel sordide pour s'apercevoir que son identité s'est évanouie sans laisser de trace : même sa maîtresse, la belle Heather Hart, ne se souvient plus de lui. Une situation pour le moins inconfortable, dans un Etat ultra-policier où tout défaut de papiers d'identité suffit à vous faire expédier dans un camp de travail… Seulement voilà : ce n'est pas un homme comme les autres. Produit d'une expérience secrète, Taverner est un un mutant aux nerfs d'acier qui mènera une lutte sans merci, sous les yeux d'un sentimental, contre la folie où vient de basculer le monde…

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Ces mésaventures avaient laissé des cicatrices mais, maintenant, il n’y paraissait plus. Comme tous les six, elle avait d’énormes facultés de récupération. Ce don était conféré à tous les six. Parmi beaucoup d’autres choses. Des choses que Jason lui-même, à quarante-deux ans, ne connaissait pas toutes. Il avait connu pas mal de péripéties, lui aussi. Essentiellement sous forme de cadavres. Les cadavres des autres artistes qu’il avait piétinés au cours de la longue ascension qui l’avait porté au pinacle.

— Ces cravates tape-à-l’œil… commença-t-il.

Mais le téléphone sonna. Il décrocha. C’était probablement Al Bliss qui l’appelait pour lui communiquer les indices d’écoute du show.

Ce n’était pas lui. Une voix féminine, stridente et aiguë, lui vrilla le tympan.

— Jason ?

— Oui. (Plaquant sa main sur le pavillon, il dit à Heather :) C’est Marilyn Mason. Pourquoi diable lui ai-je donné le numéro de l’aéromobile ?

— Qui est Marilyn Mason ?

— Je te l’expliquerai plus tard. (Il enchaîna.) Oui, mon petit, Jason en personne. Réincarné. Que se passe-t-il ? Tu as l’air d’être dans tous tes états. Serais-tu encore expulsée ? (Il lança à Heather un clin d’œil accompagné d’un sourire torve.)

— Débarrasse-toi d’elle, lui souffla-t-elle.

À nouveau, Jason obtura le microphone.

— C’est ce que je fais. J’essaye. Tu ne vois pas ? Allez, Marilyn, vide ton sac. Je suis là pour ça.

Marilyn Mason était depuis deux ans sa protégée, en quelque sorte. En tout cas, elle voulait être chanteuse – célèbre, riche, aimée – comme lui. Il l’avait remarquée un jour en se baladant dans le studio pendant une répétition. Un petit visage crispé et soucieux, des jambes courtes, une jupe qui l’était encore davantage – selon son habitude, il avait tout enregistré du premier coup d’œil. Et une semaine plus tard, il lui avait obtenu une audition avec un directeur artistique des Disques Columbia.

Si cette semaine-là avait été fertile en événements, cela n’avait pas grand-chose à voir avec la chansonnette.

— Il faut que je te voie, couina Marilyn d’une voix perçante. Sinon, je me tuerai et tu porteras la responsabilité de ma mort jusqu’à la fin de tes jours. Et je dirai à cette bonne femme, Heather Hart, que nous couchons ensemble depuis le début.

Jason soupira intérieurement. Bon Dieu, il était déjà terriblement fatigué, épuisé par le show où, une heure durant, il avait dû sourire, sourire, sourire.

— Je suis en route pour la Suisse où je dois passer le reste de la nuit, dit-il d’une voix ferme comme s’il parlait à une gosse hystérique.

D’ordinaire, quand Marilyn piquait une de ses crises inquisitoriales, quasi paranoïaques, cela marchait. Mais pas cette fois naturellement.

— Il ne te faudra que cinq minutes pour faire le trajet dans ta Rolls d’un million de dollars, lui corna-t-elle aux oreilles. Je ne te retiendrai que cinq secondes. J’ai quelque chose de très important à te dire.

Elle est probablement enceinte, songea Jason. À un moment ou un autre, elle avait dû volontairement – ou peut-être involontairement – oublier de prendre sa pilule.

— Que veux-tu me dire en cinq secondes que je ne sache déjà ? répliqua-t-il sèchement. Dis-le-moi tout de suite.

— Je veux te voir ici, répondit Marilyn avec le total manque d’égards qui lui était habituel. Il faut que tu viennes. Il y a six mois que je ne t’ai pas vu et, pendant ce temps, j’ai beaucoup réfléchi à nous. Et en particulier à la dernière audition.

— OK, concéda-t-il, plein d’amertume et de ressentiment. (Lui qui avait essayé de fabriquer une carrière à cette fille dénuée de tout talent, voilà sa récompense ! Il raccrocha brutalement et se tourna vers Heather.) Je suis heureux pour toi que tu ne sois jamais tombée sur elle. C’est vraiment une…

— Pas de boniments ! Je ne suis pas « tombée sur elle » parce que tu t’es toujours débrouillé pour que ça ne se produise pas.

— Toujours est-il, continua-t-il en faisant faire demi-tour à l’aéromobile, toujours est-il que je lui ai fait avoir non pas une mais deux auditions et qu’elle s’est fait sacquer les deux fois. C’est moi qui serais cause de son échec. Tu vois le tableau ?

— A-t-elle de beaux nichons ?

— Le fait est. (Il sourit et Heather éclata de rire.) Tu connais mon point faible. Mais j’ai rempli mon contrat. Je lui ai obtenu une audition… et même deux. La dernière a eu lieu il y a six mois et je sais bien que, depuis, elle ne décolère pas. Je me demande ce qu’elle veut me raconter.

Il enclencha le module de contrôle pour que l’aéromobile mette le cap en pilotage automatique sur l’immeuble où habitait Marilyn et dont le toit constituait une aire d’atterrissage petite mais bien conçue.

— Elle est probablement amoureuse de toi, dit Heather tandis que Jason posait le véhicule à la verticale.

— Comme quarante millions d’autres filles, ajouta-t-il jovialement en faisant se déplier la passerelle.

Heather se carra confortablement dans le siège baquet.

— Ne reste pas trop longtemps. Sinon, je décolle sans toi.

— En me laissant avec Marilyn sur les bras ? (Ils s’esclaffèrent.) Je reviens tout de suite.

Il traversa la terrasse et appuya sur le bouton de l’ascenseur.

Dès qu’il fut entré dans l’appartement, il comprit que Marilyn était comme folle. Son visage crispé était grimaçant et son corps tellement recroquevillé sur lui-même qu’on aurait pu croire qu’elle essayait de s’auto-avaler. Et ses yeux ! Il n’y avait pas beaucoup de choses qui le troublaient chez les femmes. Mais, cette fois, il perdit contenance. Des yeux complètement ronds, à la pupille démesurée, qui le fouaillaient. Elle le regardait en silence, les bras croisés, dure et rigide comme un morceau de fer.

— Je t’écoute, dit Jason qui cherchait à prendre l’avantage.

D’habitude – pratiquement toujours en fait –, quand il avait affaire à une femme, il parvenait à être maître de la situation. En vérité, c’était même sa spécialité. Mais, aujourd’hui, il se sentait mal à l’aise. Elle ne disait toujours rien. Sa figure, sous le maquillage, était exsangue. Un véritable visage de cadavre.

— Tu veux une autre audition ? C’est ça ?

Marilyn fit signe que non.

— Bon. Dis-moi ce qu’il y a.

Il était las et embarrassé. Cependant, cela ne s’entendait pas dans sa voix. Il était beaucoup trop adroit, beaucoup trop expérimenté pour se trahir en lui laissant deviner sa gêne. Dans une confrontation avec une femme, il y a presque quatre-vingt-dix-neuf pour cent de bluff. Des deux côtés. Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on fait, c’est comment on le fait.

— J’ai quelque chose pour toi.

Marilyn fit demi-tour et disparut dans la cuisine. Il l’y suivit d’un pas nonchalant.

— Tu me reproches toujours le fiasco des deux…

Elle l’interrompit.

— Tiens…

Elle prit un sac en plastique sur l’évier, resta un moment immobile, la main levée, le visage toujours aussi pâle et rigide, les yeux exorbités, le regard fixe. Puis elle ouvrit le sac et, le balançant à bout de bras, revint prestement vers lui. Tout se passa trop vite. Instinctivement, Jason recula, mais trop tard et trop lentement. L’espèce d’éponge gélatineuse qu’était la callisto se colla à lui avec ses cinquante tubes suceurs s’ancrant dans sa poitrine. Déjà, il sentait les tubes sonder sa chair, son torse.

D’un bond, il ouvrit le placard supérieur, empoigna une bouteille de scotch à moitié pleine, en dévissa le bouchon d’une main maladroite et aspergea d’alcool la créature caoutchouteuse. Ses pensées étaient on ne peut plus lucides, transparentes. Sans paniquer, il resta immobile à inonder la chose de whisky.

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