Le Géant bascula en arrière. Le paysage se transforma, pendant sa chute et, lorsque le Géant s’immobilisa sur le sol, il y avait des arbres complexes, entremêlés tout autour. Une chauve-souris vint se poser sur le nez du Géant mort. Ender fit sortir son personnage de l’œil du Géant.
— Comment es-tu arrivé ici ? demanda la chauve-souris. Personne ne vient jamais ici.
Ender ne put répondre, naturellement. De sorte qu’il se baissa, prit une poignée de la matière constituant les yeux du Géant et l’offrit à la chauve-souris.
La chauve-souris s’en empara et s’envola, criant en s’éloignant :
— Bienvenue au Pays des Fées !
Il avait réussi. Il aurait dû explorer. Il aurait dû descendre du visage du Géant et prendre connaissance de ce qu’il avait finalement accompli.
Mais il abandonna, rangea le bureau dans le placard, quitta ses vêtements et tira la couverture sur lui. Il n’avait pas l’intention de tuer le Géant. Il s’agissait d’un jeu. Pas d’un choix entre une mort horrible et un meurtre tout aussi affreux. Je suis un assassin, même lorsque je joue. Peter serait fier de moi.
— « N’est-il pas agréable de savoir qu’Ender peut faire l’impossible ? »
— « Les morts du joueur ont toujours été écœurantes. J’ai toujours pensé que le Verre du Géant était la partie la plus pervertie du jeu, mais s’attaquer ainsi aux yeux – est-ce lui que nous voulons placer à la tête de nos flottes ? »
— « Ce qui compte, c’est qu’il a gagné une partie qu’il était impossible de gagner. »
— « Je suppose que vous allez le déplacer, à présent. »
— « Nous attendions de savoir comment il résoudrait le conflit qui l’opposait à Bernard. Il l’a parfaitement résolu. »
— « Ainsi, dès qu’il domine une situation, vous le placez dans une autre, qu’il ne domine pas. Il n’a donc jamais de repos ? »
— « Il aura un mois ou deux, peut-être trois, avec son groupe d’origine. C’est une longue période, pour un enfant. »
— N’avez-vous pas de temps en temps l’impression que ces garçons ne sont pas des enfants ? Je regarde ce qu’ils font, la façon dont ils parlent, et ils ne me font pas l’effet d’enfants. »
— « Ce sont les enfants les plus intelligents du monde, chacun à sa manière. »
— « Mais ne devraient-ils pas agir tout de même comme des enfants ? Ils ne sont pas normaux. Ils agissent comme… l’Histoire. Napoléon et Wellington. César et Brutus. »
— « Nous tentons de sauver le monde, pas de guérir les cœurs brisés. Vous êtes trop sensible. »
— « Le général Levy n’a pitié de personne. Toutes les vidéos le montrent. Mais ne faites pas de mal à ce petit. »
— « Est-ce que vous plaisantez ? »
— « Enfin, ne lui faites pas plus de mal que nécessaire. »
Alai était assis en face d’Ender, pendant le dîner.
— J’ai enfin compris comment tu as envoyé ce message. En utilisant le nom de Bernard.
— Moi ? demanda Ender.
— Allons, qui d’autre ? Il est certain que ce n’était pas Bernard. Et Shen n’est pas très fort avec l’ordinateur. Et je sais que ce n’était pas moi. Alors, qui ? Peu importe. J’ai trouvé comment créer un élève. Tu as simplement établi l’existence d’un élève nommé Bernard-point, B-E-R-N-A-R-D-espace, de sorte que l’ordinateur n’a pas établi la relation avec un élève existant.
— Il semble que cela pourrait marcher, accorda Ender.
— D’accord. D’accord. Ça marche. Mais tu as fait cela pratiquement le premier jour.
— Ou quelqu’un d’autre. Dap, peut-être, pour empêcher Bernard de devenir trop puissant.
— J’ai découvert autre chose. Je ne peux pas le faire avec ton nom.
— Oh ?
— Tout ce qui contient Ender est rejeté. Je ne peux pas non plus accéder à tes dossiers. Tu as réalisé ton propre système de sécurité.
— Peut-être.
Alai sourit.
— Je viens d’entrer quelque part et de déclasser les dossiers de quelqu’un. Il me suit de près et ne tardera pas à percer le système. J’ai besoin de protection, Ender. J’ai besoin de ton système.
— Si je te donne mon système, tu sauras comment faire et tu viendras déclasser mes dossiers.
— Moi ? demanda Alai. Moi, ton meilleur ami ?
Ender rit.
— Je vais te fournir un système.
— Tout de suite ?
— Puis-je terminer de manger ?
— Tu ne termines jamais de manger.
C’était vrai. Il restait toujours de la nourriture, sur le plateau d’Ender, après les repas. Ender regarda son assiette et décida qu’il avait terminé.
— Eh bien, allons-y.
Lorsqu’ils furent arrivés au dortoir, Ender s’accroupit près de son lit et dit :
— Va chercher ton bureau et apporte-le ici. Je vais te montrer.
Mais, lorsqu’Alai revint, Ender était assis, ses placards étant toujours fermés.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Alai.
En guise de réponse, Ender posa la main sur le scanner. « Accès non autorisé. » indiqua-t-il. Les placards ne s’ouvrirent pas.
— Tu t’es fait doubler, mon petit vieux, dit Alai. On t’a mangé la laine sur le dos.
— Es-tu sûr de vouloir mon système de sécurité, à présent ?
Ender se leva et s’éloigna du lit.
— Ender, dit Alai.
Ender se retourna. Alai avait un morceau de papier à la main.
— Qu’est-ce que c’est ?
Alai le regarda.
— Tu ne sais donc pas ? C’était sur ton lit. Tu devais être assis dessus.
Ender prit le morceau de papier.
ENDER WIGGIN
AFFECTÉ À L’ARMÉE DE LA SALAMANDRE
COMMANDÉ PAR BONZO MADRID
EFFET IMMÉDIAT
CODE VERT-VERT-MARRON
AUCUN EFFET TRANSFÉRABLE
— Tu es malin, Ender, mais tu n’es pas meilleur que moi dans la salle de bataille.
Ender secoua la tête. Il ne pouvait imaginer de décision plus stupide que celle qui consistait à le transférer à ce moment-là. Personne n’était promu avant ses huit ans. Ender n’avait pas encore sept ans. Et les groupes passaient généralement d’un seul bloc dans les armées, presque toutes les armées ayant un nouveau au même moment. Il n’y avait pas de feuille de transfert sur les autres lits.
Juste quand les choses finissaient par s’arranger. Juste quand Bernard s’entendait avec tout le monde, même Ender. Juste quand Ender et Alai devenaient véritablement amis. Juste au moment où sa vie devenait enfin vivable.
Ender tendit le bras et fit lever Alai.
— De toute façon, l’Armée de la Salamandre est en crise, dit Alai.
L’injustice du transfert mit Ender dans une colère telle que les larmes lui montèrent aux yeux. Faut pas pleurer, se dit-il.
Alai vit les larmes, mais eut la gentillesse de ne rien dire.
— C’est des merdeux, Ender, ils ne veulent même pas te laisser emporter ce qui t’appartient .
Ender ricana et, finalement, ne pleura pas.
— Crois-tu que je devrais me déshabiller et y aller tout nu ?
Alai rit également.
Répondant à une impulsion, Ender le serra, fort, presque comme s’il avait été Valentine. Il pensa même à Valentine, à ce moment-là, et eut envie de rentrer chez lui.
— Je n’ai pas envie de partir, dit-il.
Alai lui rendit son étreinte.
— Je les comprends, Ender. Tu es le meilleur. Ils sont peut-être pressés de tout t’apprendre.
— Ils ne veulent pas tout m’apprendre, releva Ender. J’avais envie d’apprendre quel effet cela fait d’avoir un ami.
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