— Allons, Ender ! Tu as réussi à pénétrer le système. Comment as-tu fait ?
Ender secoua la tête et sourit.
— Merci de croire que je suis assez malin pour y arriver. J’ai été le premier à comprendre, voilà tout.
— D’accord, tu n’es pas obligé de me le dire, reconnut Shen. Mais c’était formidable.
Ils mangèrent en silence pendant quelques instants.
— Est-ce que je tortille du cul en marchant ?
— Non, répondit Ender. Juste un peu. Fais des moins grands pas, c’est tout.
Shen hocha la tête.
— Bernard est la seule personne qui l’ait remarqué.
— C’est un porc, dit Shen.
Ender haussa les épaules.
— Dans l’ensemble, les porcs ne sont pas si mauvais.
Shen rit.
— Tu as raison. J’étais injuste avec les porcs.
Ils rirent et deux autres garçons se joignirent à eux. L’isolement d’Ender était terminé. La guerre venait de commencer.
— « Nous avons eu des déceptions, autrefois, tenant pendant des années, espérant qu’ils réussiraient, puis les voyant échouer. Ce qu’il y a de bien, avec Ender, c’est qu’il a décidé de se faire geler dans les six mois à venir. »
— « Oh ? »
— « Ne voyez-vous pas ce qui se passe ? Il est bloqué au Verre du Géant, dans le jeu de l’esprit. Cet enfant est-il suicidaire ? Vous n’avez jamais mentionné cela. »
— « Tout le monde arrive un jour ou l’autre au Verre du Géant. »
— « Mais Ender ne veut pas abandonner. Comme Pinual. »
— « Tout le monde ressemble à Pinual, à un moment ou un autre. Mais c’est le seul qui se soit tué. Je ne crois pas que cela était lié au Verre du Géant. »
— « Vous pariez ma vie là-dessus. Et regardez ce qu’il a fait avec son groupe. »
— « Ce n’est pas sa faute, vous savez. »
— « Je m’en fiche. Sa faute ou pas, il empoisonne son groupe. Ils sont censés s’unir et, partout où il se trouve, il y a un abîme d’un kilomètre de large. »
— « De toute façon, je n’ai pas l’intention de le laisser là très longtemps. »
— « Dans ce cas, vous auriez intérêt à revoir vos intentions. Ce groupe est malade, et il est la cause de la maladie. Il restera jusqu’à ce qu’il soit guéri. »
— « Je suis la cause de la maladie. Je l’ai isolé et cela a fonctionné. »
— « Donnez-lui du temps. Pour voir ce qu’il en fera. »
— « Nous n’avons pas de temps. »
— « Nous n’avons pas le droit de pousser un enfant qui a autant de chances d’être un monstre qu’un génie militaire. »
— « Est-ce un ordre ? »
— « Le magnétophone fonctionne, il fonctionne toujours, vous êtes couvert, allez vous faire foutre ! »
— « Si c’est un ordre, dans ce cas… »
— « C’est un ordre. Laissez-le là où il est jusqu’à ce que nous ayons vu comment il prend les choses en main dans son groupe. Graff, vous me flanquez des cloques ! »
— « Vous n’auriez pas beaucoup de cloques si vous m’aviez laissé la responsabilité de l’école et vous étiez occupé vous-même de la flotte. »
— « La flotte cherche un commandant ? On ne peut rien faire tant que vous ne m’en aurez pas fourni un. »
Ils entrèrent maladroitement dans la salle de bataille, comme des enfants allant pour la première fois à la piscine, s’accrochant aux poignées fixées dans les parois. L’apesanteur était effrayante, déroutante ; bientôt, ils constatèrent que les choses étaient plus faciles s’ils n’utilisaient pas du tout les pieds.
Pire : les combinaisons étaient gênantes. Il était difficile d’effectuer des mouvements précis du fait que les combinaisons réagissaient avec un léger retard, résistaient un peu plus que les vêtements qu’ils avaient l’habitude de porter.
Ender s’accrocha à une poignée et fléchit les genoux. Il constata que, outre la lenteur, la combinaison avait pour effet d’amplifier les mouvements. Il était difficile de les initier mais les jambes de la combinaison continuaient de bouger, et fortement, alors que les muscles avaient cessé. La puissance d’une poussée était doublée par la combinaison. Je serai maladroit pendant quelque temps. Il faut commencer.
Alors, tenant toujours la poignée, il poussa fortement avec les pieds.
Aussitôt, il pivota, les pieds au-dessus de la tête, et se cogna le dos contre la paroi. Le rebond fut plus puissant, apparemment, et ses mains lâchèrent prise. Il traversa la salle de bataille, tournoyant continuellement sur lui-même.
Pendant un instant terrifiant, il tenta de conserver l’orientation liée au bas et au haut, son corps s’efforçant de se redresser, cherchant une pesanteur qui n’existait pas. Puis il se contraignit à changer de point de vue. Il filait vers une paroi. C’était le bas. Et, aussitôt, il fut maître de lui-même. Il ne volait pas, il tombait. C’était un plongeon. Il pouvait choisir la façon dont il heurterait la surface.
Je vais trop vite pour pouvoir saisir une poignée et m’immobiliser, mais je peux amortir l’impact, je peux repartir dans une autre direction si je pivote et utilise mes pieds…
Cela ne fonctionna pas exactement comme il l’avait prévu. Il partit dans une autre direction, mais pas celle qu’il avait choisie. Et il n’eut pas le temps de réfléchir. Il heurta une autre paroi, trop tôt, cette fois, pour avoir eu le temps de s’y préparer. Mais, accidentellement, il constata qu’il pouvait utiliser ses pieds pour contrôler la direction du rebond. À présent, il volait dans la salle en direction des autres élèves, qui étaient toujours accrochés à la paroi. Cette fois, il fut en mesure de saisir une poignée. Il formait un angle dément, par rapport aux autres, mais son sens de l’orientation s’était à nouveau adapté et, à son avis, ils étaient tous couchés par terre et pas plus la tête en bas que lui.
— Qu’est-ce que tu veux faire, te tuer ? demanda Shen.
— Essaie, répondit Ender. Avec la combinaison, tu ne peux pas te faire de mal ; tu peux contrôler le rebond avec les pieds, comme cela.
Il reproduisit approximativement le mouvement qu’il avait fait.
Shen secoua la tête – ce genre d’acrobatie stupide ne lui disait rien. Mais un garçon partit effectivement, pas aussi rapidement qu’Ender, parce qu’il ne commença pas par se retourner, mais assez rapidement. Ender n’avait pas besoin de voir son visage pour deviner que c’était Bernard. Et, juste derrière lui, le meilleur ami de Bernard, Alai.
Ender les regarda traverser la salle immense, Bernard luttant pour s’orienter dans la direction qu’il considérait comme le plancher, Alai s’abandonnant aux mouvements et se préparant à rebondir contre une paroi. Pas étonnant que Bernard se soit cassé le bras, dans la navette, se dit Ender. Il se crispe quand il flotte. Il panique. Ender garda cette information en mémoire.
Et aussi une autre information. Alai n’avait pas exercé sa poussée dans la même direction que Bernard. Il fila vers un coin de la salle. Leurs trajets divergèrent de plus en plus, tandis qu’ils flottaient et, alors que Bernard heurtait maladroitement sa paroi avant de rebondir, Alai rebondit sur trois surfaces, près du coin, ce qui lui permit de conserver pratiquement toute sa vitesse et le projeta dans l’air suivant un angle étonnant. Alai poussa un cri de joie, ainsi que les élèves qui le regardaient. Quelques-uns oublièrent qu’ils ne pesaient rien et lâchèrent la paroi pour applaudir. Ils dérivèrent alors paresseusement dans toutes les directions, battant des bras, essayant de nager.
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