— Alors la porte ne s’ouvrira pas à un contact de l’extérieur, bien entendu, et votre intimité sera donc préservée. Naturellement, elle s’ouvrira à un léger contact de l’intérieur.
— Et si un visiteur s’évanouit, a une attaque ou une crise cardiaque alors qu’il est enfermé et ne peut toucher la porte à l’intérieur ? Que se passe-t-il ? Personne ne peut entrer pour lui porter secours ?
— Il y a des moyens d’ouvrir la porte en cas d’urgence, camarade Elijah, si cela paraît souhaitable, dit Daneel. (Il ajouta, visiblement troublé :) Pensez-vous qu’il peut vous arriver un tel accident fâcheux ?
— Non, bien sûr que non. Simple curiosité.
— Je serai juste derrière la porte, dit Daneel avec une inquiétude visible. Si j’entends un cri, une chute, camarade Elijah, je prendrai immédiatement des mesures.
— Je doute que ce soit nécessaire.
Baley effleura la porte, légèrement, d’un revers de main, et elle s’ouvrit aussitôt. Il attendit un moment, pour voir si elle se refermerait. Elle resta ouverte. Il entra alors et la porte se referma immédiatement.
Pendant qu’elle était ouverte, la Personnelle lui avait donné l’impression d’être une pièce simple et fonctionnelle, servant carrément aux besoins intimes. Un lavabo, une cabine (renfermant probablement une douche), une baignoire, une demi-cloison translucide dissimulant certainement le lieu d’aisances. Il y avait divers appareils qu’il ne reconnaissait pas très bien et dont l’usage lui échappait. Il supposa qu’ils étaient destinés à des services personnels d’une espèce ou d’une autre.
Baley eut peu de temps pour les examiner car en un clin d’œil tout disparut et il se demanda si ce qu’il avait vu était réellement là ou si les appareils semblaient exister parce qu’il s’était attendu à les voir.
Lorsque la porte se ferma, la pièce s’assombrit car il n’y avait pas de fenêtre. Lorsqu’elle fut complètement fermée, la pièce se ralluma mais rien de ce qu’il venait de voir ne revint. Il faisait grand jour, et il était à l’Extérieur, ou du moins il en avait l’impression.
Il y avait le ciel au-dessus de sa tête, où passaient de légers nuages, d’une façon assez régulière pour qu’ils paraissent nettement artificiels. De tous côtés, un paysage verdoyant s’étendait, où les arbres bougeaient aussi de la même manière répétitive.
Baley sentit la crispation familière de son estomac, qui se produisait chaque fois qu’il était à l’Extérieur… mais il n’était pas dehors ! Il était entré dans une pièce sans fenêtre. Ce devait être un truc, une illusion d’optique.
Regardant droit devant lui, il exécuta lentement un pas glissé, les mains tendues. Lentement, en regardant fixement, il avança.
Ses mains touchèrent la surface lisse d’un mur. Il le suivit à tâtons, de chaque côté. Il toucha le lavabo qu’il avait vu durant cet instant de vision normale et, guidé par ses mains, il parvint à le distinguer, faiblement, faiblement, rien qu’un contour dans l’écrasante sensation de lumière.
Il trouva le robinet mais aucune eau n’en coula. Il suivit sa courbe mais ne découvrit rien qui fût l’équivalent des poignées normales qui contrôlaient l’écoulement de l’eau. Sous ses doigts, il sentit une plaque rectangulaire, que la sensation un peu rêche distinguait du mur environnant. En glissant les doigts dessus, il appuya, en hésitant, et aussitôt la verdure, qui s’étendait bien au delà du plan vertical du mur, que lui révélaient ses doigts, fut séparée par un filet d’eau tombant d’une certaine hauteur vers ses pieds, dans un grand bruit d’éclaboussures.
Il fit un bond en arrière, réflexe automatique, mais l’eau n’arriva pas jusqu’à ses pieds. Elle ne cessait pas de couler mais elle n’atteignait pas le sol. Il tendit la main. Ce n’était pas de l’eau mais une illusion d’optique d’eau. Elle ne mouillait pas sa main, il ne sentait rien. Cependant, ses yeux refusaient obstinément de se rendre à l’évidence : ils voyaient de l’eau.
Baley suivit le filet vers le haut et finit par toucher de l’eau véritable, un mince flot coulant du robinet. Elle était froide.
Ses doigts retrouvèrent le rectangle râpeux et il fit quelques essais, en appuyant un peu au hasard. La température de l’eau changea rapidement et il finit par trouver l’endroit qui fournissait une tiédeur agréable.
Il ne trouva pas de savon. Toujours en hésitant, il frotta ses mains sous cette eau, qui avait l’air d’une source naturelle qui aurait dû le tremper de la tête aux pieds mais ne l’éclaboussait même pas. Et, comme si le mécanisme lisait dans sa pensée ou, plus vraisemblablement, était déclenché par le frottement des mains, il sentit l’eau devenir savonneuse, tandis que la source qu’il voyait et ne voyait pas se couvrait de bulles et de mousse.
Toujours craintivement, il se pencha sur le lavabo et se frotta la figure avec cette eau savonneuse. Il sentit sa barbe naissante mais savait qu’il n’avait aucun moyen de traduire l’équipement de cette pièce en matériel à raser, sans avoir reçu des instructions.
Le visage lavé, il tint ses mains sous l’eau, en se demandant comment arrêter l’écoulement du savon. Il n’eut pas à s’interroger longtemps. Ses mains, probablement, contrôlaient cela en cessant de se frotter. L’eau perdit sa sensation savonneuse et la mousse disparut. Il se bassina la figure, sans frotter, et elle fut rincée aussi. Sans rien avoir et avec la maladresse d’un novice ignorant tout du processus, il trempa tout le devant de sa chemise.
Des serviettes ? Du papier ?
Il recula, les yeux fermés, tenant la tête en avant pour éviter de mouiller davantage ses vêtements. Ce recul devait être le mouvement clef, car il sentit un courant d’air chaud. Il y plaça la figure puis les mains.
Ouvrant les yeux, il s’aperçut que la source ne coulait plus. Avec ses mains, il constata qu’il ne sentait plus de l’eau véritable.
Sa crispation d’estomac s’était changée depuis longtemps en irritation. Il savait bien que les Personnelles variaient énormément d’un monde à l’autre, mais cette ridicule illusion d’Extérieur, c’était vraiment aller trop loin !
Sur Terre, la Personnelle était une immense salle commune de commodités réservées à un sexe, avec des cabines privées dont chacun avait une clef. A Solaria, on accédait à la Personnelle par un étroit couloir, contre un des côtés de la maison, comme si les Solariens espéraient qu’elle ne serait pas considérée comme une pièce de leur demeure. Dans les deux mondes, cependant, aussi différents qu’il était possible par ailleurs, les Personnelles étaient clairement définies et personne ne pouvait se tromper sur l’usage de tous les appareils sanitaires.
Alors pourquoi, à Aurora, cette rusticité factice, qui masquait totalement tous les détails d’une Personnelle ?
Pourquoi ?
Quoi qu’il en soit, son agacement laissait peu de place aux émotions habituelles, au malaise que lui causait l’Extérieur ou cette parodie d’Extérieur. Il avança dans la direction où il se rappelait avoir vu la demi-cloison translucide.
Ce n’était pas la bonne. Il ne trouva ce qu’il voulait qu’en suivant lentement le mur, à tâtons et en se cognant contre divers éléments.
Finalement, il urina dans une illusion de petite mare qui ne semblait pas recevoir correctement le flot. Ses genoux lui apprenaient qu’il visait bien, entre les côtés de ce qu’il pensait être un urinoir, et il se dit que s’il se servait d’un mauvais réceptacle, ou s’il visait mal, ce n’était pas sa faute.
Un instant, quand il eut fini, il envisagea de retrouver le lavabo pour se passer les mains à l’eau mais y renonça. Il n’avait vraiment pas le courage d’affronter les recherches et cette fausse cascade.
Читать дальше