Isaac Asimov - Les robots de l'aube

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Quand Elijah Baley, le célèbre agent de la Sûreté interplanétaire, arrive sur Aurora, il pressent qu’il va au-devant de sa plus difficile et périlleuse mission. Impossible pourtant de se récuser : le statut de la Terre en dépend, et le destin futur de l’Univers.
Il s’agit pour lui de découvrir qui, pour la première fois dans la Galaxie, s’est rendu coupable du meurtre de Jander Panell, le robot positronique le plus sophistiqué jamais créé, et qui atteignait un degré d’« humanité » très supérieur à tout ce que le Dr Susan Calvin aurait pu imaginer.
D’autres découvertes stupéfiantes attendent Elijah Baley sur Aurora, une planète dont les rites sexuels comportent peu de tabous et où il n’est pas interdit à une femme de s’éprendre follement d’un robot…

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(Baley se sentait devenir un peu grandiloquent et, un instant, il s’imagina qu’il s’adressait à une commission d’enquête.)

— Pourquoi diable, pour quelle raison au monde, ou plutôt à Aurora, auriez-vous détruit cette œuvre ? Pourquoi iriez-vous détruire la vie que vous avez produite par un miracle de labeur cérébral ?

Fastolfe se permit un petit sourire amusé.

— Voyons, Baley ! Vous n’y connaissez rien. Comment pouvez-vous savoir que ma théorie était le résultat d’un miracle de travail cérébral ? Elle pouvait fort bien être la très banale extension d’une équation que n’importe qui aurait pu effectuer mais à laquelle personne n’avait pensé avant moi.

— Je ne le crois pas, répliqua Baley en s’efforçant de se calmer. Si personne d’autre que vous ne comprend assez le cerveau humaniforme pour le détruire, alors à mon avis il est vraisemblable que personne d’autre que vous ne le comprend assez bien pour le créer. Allez-vous le nier ?

Fastolfe secoua la tête.

— Non, je ne le nie pas. Et pourtant, Baley, dit-il, votre analyse réfléchie ne fait qu’aggraver notre cas. Nous avons déjà établi que je suis le seul à avoir eu les moyens et l’occasion. Il se trouve que j’ai également un mobile : le meilleur mobile du monde, et mes ennemis le savent. Alors, comment diable allons-nous prouver que je n’ai pas commis ce crime ?

18

Baley fronça les sourcils, l’air furieux, se leva et s’éloigna vivement vers un coin de la pièce, comme s’il cherchait un refuge. Puis il pivota brusquement et déclara sur un ton sec :

— Docteur Fastolfe, j’ai l’impression que vous prenez plaisir à me dépiter !

Fastolfe haussa les épaules.

— Aucun plaisir, je vous assure. Je vous présente simplement les problèmes tels qu’ils se posent. Le pauvre Jander est mort de sa mort robotique par pure précarité du courant positronique. Comme je sais que je ne suis pas responsable, je sais que cela s’est passé ainsi. Mais personne d’autre ne peut en être certain. Je suis innocent et tout m’accuse… et nous devons affronter cela sans tergiverser, pour décider de ce que nous ferons ou pouvons faire, si tant est qu’il y ait quelque chose à faire.

— Bien. Alors, dans ce cas, examinons votre mobile. Ce qui vous fait l’effet d’un mobile flagrant n’est peut-être rien de tel.

— J’en doute. Je ne suis pas un imbécile.

— Vous n’êtes sans doute pas juge de vous-même, non plus, ni de vos mobiles. On ne l’est pas toujours. Vous dramatisez peut-être, pour une raison ou une autre.

— Je ne le crois pas.

— Alors dites-moi quel est votre mobile. Hein ? Quel mobile ? Dites-le moi !

— Pas si vite, Baley. Ce n’est pas facile à expliquer… Pourriez-vous venir dehors avec moi ?

Baley se tourna vivement vers la fenêtre. A l’Extérieur ?

Le soleil avait baissé et la salle n’en était que plus ensoleillée. Il hésita puis il répondit, un peu plus fort qu’il n’était nécessaire :

— Oui, certainement !

— Parfait, dit Fastolfe. (Il ajouta, plus aimablement encore :) Mais peut-être voudriez-vous d’abord passer à la Personnelle ?

Baley réfléchit. Il n’éprouvait aucun besoin particulièrement pressant mais il ne savait pas ce qui l’attendait à l’Extérieur, combien de temps il y resterait, de quelles commodités il disposerait. Surtout, il ne connaissait pas les coutumes auroraines à cet égard et ne se souvenait de rien, dans les livres-films qu’il avait vus à bord, qui puisse l’éclairer. Peut-être était-il plus sûr d’acquiescer à ce que suggérait son hôte.

— Merci, dit-il, volontiers.

Fastolfe fit un signe de tête.

— Daneel, accompagne M. Baley à la Personnelle des visiteurs.

— Camarade Elijah, voulez-vous me suivre ? dit Daneel.

Comme ils passaient tous deux dans la pièce voisine, Baley dit :

— Je suis navré, Daneel, que tu n’aies pas participé à cette conversation entre le Dr Fastolfe et moi.

— Cela aurait été malséant, camarade Elijah. Quand vous m’avez posé une question directe j’ai répondu, mais je n’ai pas été invité à y participer totalement.

— Je t’y aurais invité, Daneel, si je n’avais pas été retenu par le fait que je suis un invité. J’ai pensé que j’aurais probablement tort de prendre l’initiative à ce sujet.

— Je comprends… Voici la Personnelle des visiteurs, camarade Elijah. La porte s’ouvrira au contact de votre main en n’importe quel endroit, si la pièce est inoccupée.

Baley n’entra pas. Il resta un instant songeur, puis il dit :

— Si tu avais été invité à parler, Daneel, y a-t-il quelque chose que tu aurais dit ? Aurais-tu fait un commentaire ? J’aimerais beaucoup avoir ton opinion, mon ami.

Daneel répondit avec sa gravité habituelle :

— La seule réflexion que je ferai, c’est que la déclaration du docteur Fastolfe, selon laquelle il avait un excellent mobile pour faire cesser le fonctionnement de Jander, était inattendue pour moi. Je ne sais pas quel peut être ce mobile. Mais quel que soit celui qu’il vous donnera, vous devrez vous demander pourquoi il n’a pas le même mobile pour me mettre en état de gel mental. Si l’on peut croire qu’il a eu un mobile pour détruire Jander, pourquoi ce même mobile ne s’appliquerait-il pas à moi ? Je serais curieux de le savoir.

Baley regarda vivement Daneel, cherchant machinalement sur une figure qui ne pouvait en avoir une expression spontanée.

— Tu ne te sens pas en sécurité, Daneel ? Tu penses que le Dr Fastolfe est un danger pour toi ?

— Par la Troisième Loi, je dois protéger ma propre existence, mais je ne résisterais ni au Dr Fastolfe ni à aucun être humain s’ils jugeaient nécessaire de mettre fin à mon existence. C’est la Deuxième Loi. Cependant, je sais que j’ai une grande valeur, autant par l’investissement de matière, de travail et de temps que par mon importance scientifique. Il serait donc indispensable de m’expliquer calmement et avec précision les raisons nécessitant la fin de mon existence. Le Dr Fastolfe ne m’a jamais rien dit – jamais, camarade Elijah – qui puisse laisser supposer qu’il avait pareille idée en tête. Je ne crois pas qu’il ait envisagé un seul instant de mettre fin à mon existence pas plus que je ne crois qu’il a envisagé de mettre fin à celle de Jander. C’est le hasard d’un court-circuit positronique qui a mis fin à Jander et qui pourrait, un jour, causer ma propre fin. Il y a toujours un élément de hasard dans l’Univers.

— Tu le dis. Fastolfe le dit. Je le crois, aussi. Mais la difficulté, c’est de persuader le public en général d’accepter ce point de vue.

Baley se tourna d’un air maussade vers la porte de la Personnelle et demanda :

— Tu entres avec moi, Daneel ?

L’expression de Daneel parvint à sembler amusée.

— C’est flatteur, camarade Elijah, d’être pris à ce point pour un être humain. Je n’en ai nul besoin, naturellement.

— Naturellement. Mais tu peux entrer quand même.

— Ce ne serait pas approprié que j’entre. Il n’est pas d’usage que les robots entrent dans les Personnelles. L’intérieur de ce genre de pièce est purement humain… D’ailleurs, c’est une Personnelle à une personne.

— Une personne !

Baley fut tout d’abord choqué mais il se ressaisit, en se disant que d’autres mondes avaient d’autres mœurs. Cependant, il ne se souvenait pas que cette coutume était décrite dans les livres-films. Il demanda :

— C’est donc ce que tu voulais dire, en m’expliquant que la porte ne s’ouvrirait que si la pièce était inoccupée ? Et si elle est occupée, comme elle va l’être dans un instant ?

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