De sorte qu’il suivit la clôture, s’éloignant de la porte, en direction de la prairie qui s’étendait sous la colline de la cathédrale, où personne n’habitait assez près pour l’entendre crier. Tout en marchant, il appela. Pas des mots, mais un son strident et prolongé, un appel qu’Ouanda et lui utilisaient pour attirer l’attention l’un de l’autre lorsqu’ils étaient séparés parmi les piggies. Ils entendraient, il fallait qu’ils entendent, il fallait qu’ils viennent près de lui, parce qu’il lui était impossible de franchir la clôture. Alors, venez, Humain, Mange-Feuille, Mandachuva, Flèche, Tasse, Calendrier, n’importe lequel, tous, et laissez-moi vous dire que je ne peux plus vous parler.
Quim était assis, pitoyable, sur un tabouret, dans le bureau de l’évêque.
— Estevão, dit calmement l’évêque, il va y avoir une réunion ici dans quelques minutes, mais je veux d’abord m’entretenir quelques instants avec toi.
— Il n’y a rien à dire, répondit Quim. Vous nous avez avertis et c’est arrivé. C’est le démon.
— Estevão, nous allons parler pendant quelques minutes et, ensuite, tu iras dormir.
— Je ne retournerai jamais là-bas !
— Le Seigneur a partagé le repas de pécheurs beaucoup plus détestables que ta mère, et leur a pardonné. Es-tu meilleur que Lui ?
— Les femmes adultères à qui il a pardonnée n’étaient pas Sa mère !
— Tout le monde ne peut pas avoir la Sainte Vierge pour mère.
— Alors, vous êtes de son côté ? L’Eglise cède-t-elle la place, ici, aux Porte-Parole des Morts ? Devrions-nous démolir la cathédrale et utiliser les pierres pour construire un amphithéâtre où nos morts pourraient être calomniés avant d’être portés en terre ?
Un murmure :
— Je suis ton évêque, Estevão, le vicaire du Christ sur cette planète, et tu t’adresseras à moi avec le respect dû à ma fonction.
Quim resta immobile, furieux, silencieux.
— Je crois qu’il aurait été préférable que le Porte-Parole ne raconte pas ces histoires en public. Il y a des choses qu’il vaut mieux apprendre dans l’intimité, calmement, afin de ne pas se trouver dans l’obligation de surmonter les chocs sous le regard des spectateurs. C’est pour cette raison que nous utilisons le confessionnal, pour nous protéger contre la honte publique tandis que nous luttons contre nos péchés intimes. Mais sois juste, Estevão. Le Porte-Parole a raconté les histoires, c’est un fait, mais toutes ces histoires étaient vraies. Né ?
— É .
— Alors, Estevão, réfléchissons. Avant aujourd’hui, aimais-tu ta mère ?
— Oui.
— Et cette mère que tu aimais, avait-elle déjà commis l’adultère ?
— Dix mille fois.
— Je suppose qu’elle n’était pas aussi sensuelle que cela. Mais tu dis que tu l’aimais, bien qu’elle soit une femme adultère. N’est-ce pas la même personne ce soir ? A-t-elle changé entre hier et aujourd’hui, ou bien est-ce seulement toi qui as changé ?
— Ce qu’elle était hier était un mensonge.
— Veux-tu dire que, du fait qu’elle avait honte de dire à ses enfants qu’elle était une femme adultère, elle devait également mentir pendant toutes les années où elle s’est occupée de vous pendant que vous grandissiez, alors qu’elle vous faisait confiance, qu’elle vous enseignait…
— Ce n’était pas exactement une mère dévouée.
— Si elle était venue se confesser et avait obtenu le pardon de son adultère, elle n’aurait jamais été obligée de tout vous raconter. Vous seriez morts sans savoir. Et cela n’aurait pas été un mensonge ; comme elle aurait été pardonnée, elle n’aurait pas été une femme adultère. Tu es furieux parce que tu t’es ridiculisé devant toute la ville en essayant de la défendre.
— Vous me présentez comme un imbécile.
— Personne ne te prend pour un imbécile. Tout le monde croit que tu es un fils loyal. Mais, désormais, si tu es véritablement fidèle au Seigneur, tu vas lui pardonner et lui montrer que tu l’aimes plus que jamais parce que, à présent, tu comprends ses souffrances. (L’évêque se tourna vers la porte.) J’ai une réunion, à présent, Estevão. S’il te plaît, va dans mon cabinet privé et prie la Vierge de te pardonner ton cœur intransigeant.
Paraissant plus pitoyable que furieux, Quim franchit le rideau qui se trouvait derrière le bureau de l’évêque.
Le secrétaire ouvrit l’autre porte et fit entrer le Porte-Parole des Morts. L’évêque ne se leva pas. Surpris, il vit le Porte-Parole s’agenouiller et baisser la tête. C’était un acte que les catholiques ne faisaient qu’à l’occasion des présentations publiques à l’évêque et Peregrino ne put imaginer ce que le Porte-Parole voulait exprimer par cette attitude. Néanmoins, il resta à genoux, attendant, de sorte que l’évêque se leva, alla devant lui et tendit son anneau afin qu’il l’embrasse. Le Porte-Parole ne bougea pas davantage et Peregrino dit finalement :
— Je vous bénis, mon fils, bien que je ne sois pas certain que votre obéissance ne soit pas une moquerie.
La tête toujours baissée, le Porte-Parole répondit :
— J’ignore tout de la moquerie. (Puis il regarda Peregrino.) Mon père était catholique. Il feignait de ne pas l’être, à cause des convenances, mais il ne s’est jamais pardonné son infidélité.
— Etes-vous baptisé ?
— Selon ma sœur, oui, mon père m’a baptisé peu après ma naissance. Ma mère appartenait à une foi protestante opposée au baptême des bébés, de sorte qu’ils se querellèrent à ce sujet. (L’évêque tendit la main pour faire lever le Porte-Parole. Celui-ci eut un rire étouffé.) Imaginez cela. Un catholique caché et une ancienne mormone se querellant sur des procédures religieuses auxquelles ils feignaient tous les deux de ne pas croire.
Peregrino resta sceptique. Le fait que le Porte-Parole se révèle être catholique constituait un geste trop élégant.
— Je croyais, dit-il, que les Porte-Parole des Morts renonçaient à toute religion avant de se consacrer à leur… vocation ?
— Je ne sais pas ce que font les autres. Je ne crois pas qu’il y ait des règles… De toute façon, il n’y en avait pas quand je suis devenu Porte-Parole.
L’Evêque Peregrino savait que les Porte-Parole n’étaient pas censés mentir, mais celui-ci était manifestement évasif.
— Porte-Parole Andrew, il n’existe pas un seul endroit, sur les Cent Planètes, où un catholique soit obligé de cacher sa foi, et tel est le cas depuis trois mille ans. La grande bénédiction des voyages interstellaires a justement été la disparition des restrictions imposées à la population de la Terre surpeuplée. Voulez-vous dire que votre père vivait sur la Terre il y a trois mille ans ?
— Je vous dis simplement que mon père a veillé à ce que je sois baptisé et, pour lui, j’ai fait ce qu’il n’a jamais pu faire de son vivant. C’est pour lui que je me suis agenouillé devant un évêque et ai reçu sa bénédiction.
— Mais c’est vous que j’ai béni. Vous éludez encore ma question, ce qui implique que ma déduction relative à l’époque à laquelle vivait votre père est vraie, mais que vous ne voulez pas en parler. Dom Cristão a bien dit qu’il ne fallait pas vous juger sur les apparences.
— Bien, dit le Porte-Parole. J’ai davantage besoin de la bénédiction que mon père, puisqu’il est mort, et j’ai de nombreux autres problèmes à résoudre.
— Asseyez-vous donc. (Le Porte-Parole prit un tabouret proche du mur opposé. L’évêque s’assit dans son fauteuil imposant, derrière le bureau.) J’aurais préféré que vous ne Parliez pas aujourd’hui. Le moment était mal choisi.
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