— Et, aujourd’hui, nous avons trouvé un endroit où elle pourra revivre. (Olhado était très grave.) Etes-vous sûr qu’elle ne va pas tenter de se venger ? Etes-vous sûr qu’elle ne va pas tenter de détruire l’humanité, à commencer par vous ?
— J’en suis sûr, répondit Ender, comme je suis sûr de tout.
— Pas absolument sûr, fit ressortir Olhado.
— Assez sûr pour la faire revivre, répondit Ender. Et c’est toujours là que s’arrêtent nos certitudes. Nous en sommes assez convaincus pour agir comme si c’était vrai. Quand nous sommes sûrs à ce point, nous parlons de savoir. Nous jouons notre vie sur ce savoir.
— Je suppose que c’est ce que vous faites. Vous jouez votre vie sur la conviction qu’elle est bien telle que vous croyez.
— Je suis plus arrogant que cela. Je joue légalement ta vie et celle de tous les autres, sans même leur demander leur avis.
— Bizarre, fit Olhado. Si je demandais à quelqu’un s’il confierait à Ender une décision risquant d’affecter l’avenir de l’humanité, il répondrait non, bien entendu. Mais si je demandais s’il serait prêt à faire confiance au Porte-Parole des Morts, il dirait oui. Et personne ne devinerait que ce n’est qu’une seule et même personne.
— Ouais, fit Ender. Bizarre.
Ils ne rirent ni l’un ni l’autre. Puis, après un long silence, Olhado reprit la parole. Ses pensées s’étaient tournées vers un sujet plus important :
— Je ne veux pas que Miro parte pour trente ans.
— Disons vingt ans.
— Dans vingt ans, j’aurais trente-deux ans. Mais il reviendra au même âge qu’aujourd’hui. Vingt ans. Douze ans de moins que moi. À supposer qu’une fille accepte d’épouser un type aux yeux réfléchissants, je serai peut-être même marié, avec des enfants. Il ne me connaîtra plus. Je ne serai plus son petit frère. (Olhado avala péniblement sa salive.) Ce sera comme s’il mourait.
— Non, dit Ender. Ce sera comme son passage de la deuxième vie dans la troisième.
— Cela aussi, c’est comme la mort, fit ressortir Olhado.
— C’est également comme la naissance, remarqua Ender. Lorsque l’on renaît, il faut bien mourir de temps en temps.
Valentine appela le lendemain. Les doigts d’Ender tremblaient lorsqu’il introduisit les instructions dans l’ordinateur. Mais ce n’était pas seulement un message. C’était un appel, une liaison vocale par ansible. Incroyablement onéreux. Mais ce n’était pas le problème. Il était un fait que les liaisons par ansible avec les Cent Planètes étaient théoriquement coupées ; si Jane avait permis à cet appel de passer, cela signifiait qu’il était urgent. Ender imagina immédiatement que Valentine était en danger. Que le Congrès Stellaire avait dû décider qu’Ender était impliqué dans la rébellion, et découvrir les liens qui l’unissaient à lui.
Elle était plus âgée. L’hologramme de son visage avait de nombreuses rides dues au vent de nombreuses journées passées sur les îles, les glaces flottantes et les bateaux de Trondheim. Mais son sourire n’avait pas changé et la même lueur dansait dans ses yeux. Ender, tout d’abord, fut réduit au silence par les transformations que les années avaient imposées à sa sœur ; de son côté, elle fut réduite au silence par le fait qu’Ender paraissait inchangé, vision sortie de son passé.
— Ah, Ender, soupira-t-elle, ai-je jamais été aussi jeune ?
— Et vais-je vieillir aussi magnifiquement ?
Elle rit. Puis elle pleura. Pas lui ; comment cela était-il possible ? Elle lui manquait depuis deux mois ; il lui manquait depuis vingt-deux ans.
— Je suppose, dit-il, que tu as entendu parler du différend qui nous oppose au Congrès.
— J’imagine que tu en étais au centre.
— En fait, la situation s’est imposée à moi, dit Ender. Mais je suis heureux de m’être trouvé là. Je vais rester.
Elle hocha la tête, séchant ses yeux.
— Oui. C’est bien ce que je pensais. Mais il fallait que j’appelle pour en être certaine. Je ne voulais pas consacrer deux décennies à te rejoindre pour constater à mon arrivée que tu étais parti.
— Me rejoindre ? dit-il.
— Votre révolution m’a enthousiasmée, Ender. Après avoir passé vingt-deux ans à élever une famille, enseigner, aimer mon mari, vivre en paix avec moi-même, j’ai cru que je ne ressusciterais jamais Démosthène. Mais le récit de contacts illégaux avec les piggies est arrivé, suivi presque aussitôt par la nouvelle de la révolte de Lusitania et, soudain, les gens disaient les choses les plus ridicules, si bien que j’ai vu renaître la haine d’autrefois. Te souviens-tu des vidéos des doryphores ? Comme elles étaient terrifiantes et horribles ? Soudain, nous avons vu des vidéos des corps découverts, des xénologues, j’ai oublié leurs noms, mais des images horribles, partout, pour attiser l’esprit guerrier. Puis des récits concernant la Descolada, selon lesquels si un Lusitanien se rendait sur une autre planète, il détruirait tout – l’épidémie la plus hideuse qu’il soit possible d’imaginer…
— C’est vrai, dit Ender, mais nous travaillons là-dessus. Nous tentons de trouver le moyen d’empêcher la Descolada de se répandre lorsque nous irons sur d’autres planètes.
— Vrai ou pas, Ender, cela conduit à la guerre. Je me souviens de la guerre – personne d’autre ne s’en souvient. Alors j’ai exhumé Démosthène. Par hasard, je suis tombée sur des mémos et des rapports. Leur flotte dispose du Petit Docteur, Ender. S’ils le décident, ils peuvent faire sauter Lusitania. Exactement comme…
— Exactement comme j’ai fait. Justice immanente, à ton avis, si je dois finir de la même façon… Celui qui vit par l’épée…
— Ne plaisante pas avec moi, Ender ! Je suis une mère de famille d’âge mûr, désormais, et ce genre d’idioties m’agace. Du moins pour le moment. J’ai rédigé quelques vérités très laides sur les projets du Congrès Stellaire, et je les ai publiées sous le nom de Démosthène. Ils me recherchent. Ils appellent cela trahison.
— Alors tu viens ici ?
— Pas seulement moi. Jakt confie la flotte à ses frères et sœurs. Nous avons déjà acheté un vaisseau. Apparemment, il y a un mouvement de résistance qui nous vient en aide… Une certaine Jane a embrouillé les ordinateurs afin qu’ils perdent notre trace.
— Je connais Jane, » dit Ender.
— Ainsi, vous avez vraiment une organisation ! Je n’en suis pas revenue quand j’ai appris que je pouvais t’appeler. Théoriquement, votre liaison par ansible était coupée.
— Nous avons des amis puissants.
— Ender, nous partons aujourd’hui, Jakt et moi. Nous emmenons nos trois enfants.
— La première…
— Oui, Syfte, celle qui me faisait grossir quand tu es parti ; elle a presque vingt-deux ans. Une très jolie jeune fille. Et une bonne amie, la tutrice des enfants, qui s’appelle Plikt.
— Une de mes étudiantes s’appelait ainsi, dit Ender, pensant à la conversation qu’ils avaient eue deux mois plus tôt.
— Oh, oui, eh bien c’était il y a vingt-deux ans, Ender. Et nous emmenons plusieurs compagnons de Jakt avec leurs familles. Un genre d’arche. Il n’y a pas d’urgence… Tu as vingt-deux ans pour préparer mon arrivée. Davantage, en fait, plutôt trente ans. Nous allons diviser le trajet en plusieurs étapes, les premières dans la mauvaise direction, afin que personne ne puisse deviner que nous allons sur Lusitania.
Ici. Dans trente ans. Je serai plus âgé qu’elle ne l’est aujourd’hui. Mais moi aussi j’aurai une famille. Les enfants de Novinha et les miens, si nous en avons, tous grands, comme les siens.
Puis, pensant à Novinha, il se souvint de Miro, de ce qu’Olhado avait suggéré quelques jours auparavant, lorsqu’ils avaient trouvé l’endroit convenant à la reine.
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