— Olhado ! appela le maire.
Le jeune garçon se retourna, fit un geste de la main, puis reboutonna hâtivement son pantalon et entreprit de réveiller les autres, qui dormaient dans les hautes herbes. Bosquinha et l’évêque ouvrirent la porte puis allèrent à leur rencontre.
— Ridicule, n’est-ce pas, dit Bosquinha, « mais c’est en ce moment que notre rébellion me paraît vraiment réelle. Alors que je franchis la clôture pour la première fois.
— Pourquoi ont-ils passé la nuit dehors ? se demanda Peregrino à haute voix. La porte était ouverte. Ils auraient pu rentrer.
Bosquinha effectua un recensement rapide du groupe. Ouanda et Ela se tenaient par le bras, comme des sœurs. Olhado et Quim. Et, oui, le Porte-Parole, assis, Novinha derrière lui, les mains posées sur ses épaules. Tous attendaient en silence, quoiqu’impatients. Jusqu’au moment où Ender leva la tête.
— Nous avons un traité, annonça-t-il. Et il est bon.
Novinha tendit le paquet enroulé dans les feuilles.
— Ils l’ont écrit, indiqua-t-elle, pour que vous le signiez.
Bosquinha prit le paquet.
— Toutes les archives ont été reconstituées avant minuit, les renseigna-t-elle. Pas seulement celles que nous avons sauvées en vous les envoyant sous forme de message. Qui que soit votre ami, Porte-Parole, il est très fort.
— Elle, précisa Ender. Elle s’appelle Jane. »
À ce moment-là, cependant, l’évêque et Bosquinha virent ce qui était étendu sur la terre nue, au flanc de la colline, non loin de l’endroit où le Porte-Parole avait dormi. Ils comprirent alors la raison d’être des traînées foncées qui maculaient les mains et les bras du Porte-Parole, les éclaboussures qui couvraient son visage.
— Je préférerais ne rien avoir, dit Bosquinha, plutôt qu’un traité dont l’obtention a nécessité de tuer.
— Attendez, avant de juger, la tempéra l’évêque. Je crois que le travail de la nuit ne se résume pas à ce que nous voyons.
— Très sage de votre part, Père Peregrino, glissa le Porte-Parole à voix basse.
— J’expliquerai, si vous voulez, proposa Ouanda. Ela et moi, nous avons compris.
— C’était comme un sacrement, souligna Olhado.
Bosquinha regarda Novinha sans comprendre.
— Vous l’avez laissé regarder ?
Olhado toucha son œil.
— Tous les piggies verront cela, un jour, avec mes yeux.
— Ce n’était pas la mort, assura Quim. C’était la résurrection.
L’évêque alla près du cadavre torturé et toucha le jeune arbre poussant dans la cavité thoracique.
— Il s’appelle Humain, annonça le Porte-Parole.
— Et vous aussi, dit l’évêque à voix basse.
Il se retourna et regarda les membres du petit troupeau, qui avaient déjà fait avancer l’humanité d’un pas. Suis-je le berger, se demanda Peregrino, ou l’agneau le plus impuissant et déconcerté ?
— Venez, tous. Venez avec moi à la cathédrale. Les cloches vont bientôt sonner pour la messe.
Les enfants se rassemblèrent et se préparèrent à partir. Novinha quitta également la place qu’elle occupait, derrière le Porte-Parole. Puis elle s’immobilisa, se tourna vers lui et le regarda, l’invitant du regard.
— Bientôt, dit-il. Encore un instant.
Elle suivit l’évêque sur le chemin de la cathédrale.
La messe venait tout juste de commencer quand Peregrino vit le Porte-Parole entrer au fond de la cathédrale. Il resta un instant immobile, puis localisa Novinha et sa famille. En quelques pas, il les rejoignit. À la place de Marcão, les rares fois où la famille venait au complet.
Les devoirs de sa charge retinrent son attention ; quelques instants plus tard, lorsqu’il leva à nouveau les yeux, l’évêque constata que Grego était assis sur les genoux du Porte-Parole. Peregrino pensa aux termes du traité, tels que les deux jeunes filles les lui avaient exposés. À la signification de la mort du piggy nommé Humain et, avant lui, des décès de Pipo et Libo. Tout devenait clair, tout se mettait en place. Le jeune homme, Miro, paralysé sur son lit, et sa sœur, Ouanda, s’occupant de lui. Novinha, la brebis égarée, qui avait rejoint le troupeau. La clôture, dont l’ombre était si noire dans l’esprit de tous ceux qu’elle avait emprisonnés, désormais inoffensive, invisible, dépourvue de substance.
C’était le miracle de l’hostie transformée entre ses mains en la chair de Dieu. Comme nous trouvons soudainement la chair de Dieu en nous, après tout, alors que nous pensions n’être faits que de poussière.
L’évolution n’a donné à sa mère ni canal destiné à la naissance, ni seins. De sorte que la petite créature qui se nommerait un jour Humain ne put sortir de la matrice que grâce aux, dents de sa bouche. Ses jumeaux et lui dévorèrent le corps de leur mère. Comme Humain était plus fort et vigoureux, il mangea davantage et devint encore plus fort.
Humain vécut dans le noir total. Lorsque sa mère eut disparu, il ne lui resta plus à manger que le liquide sucré qui coulait à la surface de son univers. Il ne savait pas encore que la surface verticale était l’intérieur d’un grand arbre creux et que le liquide qu’il mangeait était la sève de l’arbre. Il ne savait pas non plus que les créatures chaudes qui étaient beaucoup plus grosses que lui étaient des piggies plus âgés, presque sur le point de quitter l’obscurité de l’arbre, et que les petites étaient des jeunes, nés après lui.
Ses seuls soucis consistaient à manger, bouger et voir la lumière. Car, de temps en temps, suivant des rythmes qu’il ne pouvait comprendre, la lumière pénétrait soudain dans les ténèbres. Cela commençait toujours avec un bruit dont il ne percevait pas la source. Puis l’arbre frémissait légèrement, la sève cessait de couler, et toute l’énergie de l’arbre était consacrée à l’altération de la forme du tronc, en un endroit, afin de ménager une ouverture qui permettait à la lumière d’entrer. Quand la lumière était là, Humain se dirigeait vers elle. Quand elle n’était pas là, Humain perdait tout sens de l’orientation et errait sans but à la recherche du liquide qu’il buvait.
Jusqu’au jour où, lorsque presque toutes les créatures furent plus petites que lui, la lumière vint, et il était devenu si fort et si rapide qu’il atteignit l’ouverture avant qu’elle ait pu se refermer. Il colla son corps sur la courbe du bois de l’arbre et, pour la première fois, sentit l’écorce rugueuse contre son ventre tendre. Ce fut à peine s’il remarqua cette douleur nouvelle, parce que la lumière l’éblouissait. Elle n’était pas en un seul endroit, elle était partout et elle n’était pas grise, mais vert et jaune. Sa fascination dura de nombreuses secondes. Puis il eut à nouveau faim et ici, à l’extérieur de l’arbre-mère, la sève ne coulait que dans les fissures de l’écorce, où elle était difficile à atteindre, et, au lieu de petites créatures qu’il était facile d’écarter, il y en avait de plus grosses que lui qui le chassaient des endroits où il était aisé de manger. C’était une chose nouvelle, un univers nouveau, une vie nouvelle, et il eut peur.
Plus tard, lorsqu’il sut parler, il se souvint du voyage de l’obscurité à la lumière, et l’appela : passage de la première vie à la deuxième, passage des ténèbres à la vie de la demi-lumière.
Porte-Parole des Morts,
La Vie d’Humain , 1 :1-5
Miro décida de quitter Lusitania. De prendre le vaisseau interstellaire du Porte-Parole et d’aller à Trondheim, finalement. Peut-être, pendant son procès, pourrait-il persuader les Cent Planètes de ne pas partir en guerre contre Lusitania. Au pire, il pourrait devenir un martyr, toucher le cœur des gens, rester dans leur souvenir, défendre quelque chose. Quoi qu’il lui arrive, il préférait ne pas rester.
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