Je ne te connaissais pas alors, Miro, songea Valentine. As-tu toujours eu cet air sombre et distant ? Ton corps a beau être guéri, tu es toujours l’homme qui a vécu dans la douleur. En es-tu devenu plus froid ou plus compatissant ?
Il vint s’asseoir près d’elle sur la chaise qui aurait été celle de Jakt, mais Jakt était encore dans l’espace. Vu la destruction imminente de la descolada, il fallait que quelqu’un ramène à la surface de Lusitania les milliers de bactéries, d’espèces végétales et animales congelées qu’il faudrait introduire pour établir une gaïalogie auto-régulée et entretenir les écosystèmes planétaires. Jakt était là-haut, œuvrant pour le bien de tous. C’était une bonne raison pour s’absenter, mais il lui manquait – et même beaucoup, en fait, avec toute la confusion suscitée par les nouvelles créations d’Ender. Miro ne pouvait pas remplacer son mari, surtout parce que son nouveau corps rappelait trop crûment ce qui s’était accompli Dehors.
Et si moi j’allais de l’autre côté, qu’est-ce que je créerais ? Je doute que je ramène une personne, parce que, j’en ai peur, il n’y a pas une seule âme à la racine de ma psyché. Même pas la mienne, hélas ! Mon étude passionnée de l’histoire a-t-elle été autre chose qu’une recherche de l’humanité ? D’autres trouvent l’humanité en scrutant leur propre cœur. Seules des âmes perdues ont besoin de la chercher en dehors d’elles-mêmes.
— Les gens sont presque tous entrés, chuchota Miro.
L’office ne tarderait donc pas à commencer.
— Vous êtes prêt à expier vos péchés ? chuchota Valentine.
— D’après ce que l’évêque m’a expliqué, je n’expierai que les péchés de ce nouveau corps. Je dois encore confesser les péchés qui datent de l’ancien corps et faire pénitence pour eux. Bien sûr, il n’a pas pu y avoir beaucoup de péchés de la chair, mais il y a eu pas mal de jalousie, de dépit, de méchanceté et d’apitoiement sur soi. Je suis en train de me demander si je ne devrais pas aussi déclarer un suicide. Lorsque mon vieux corps s’est émietté dans le néant, il répondait à un vœu de mon cœur.
— Vous n’auriez jamais dû recouvrer la parole, dit Valentine. Maintenant vous babillez juste pour entendre à quel point vous avez la langue bien pendue.
Il sourit et lui tapota le bras.
L’évêque fit débuter l’office par une prière, rendant grâce à Dieu pour tout ce qui avait été accompli dans les derniers mois. La création des deux nouveaux citoyens de Lusitania fut passée sous silence, mais la guérison de Miro fut résolument mise au compte de Dieu. L’évêque fit venir Miro et le baptisa presque sur-le-champ. Ensuite, comme il ne s’agissait pas d’une messe, l’évêque entama immédiatement son homélie.
— La pitié de Dieu est infinie, dit-il. Nous ne pouvons qu’espérer qu’elle s’étende encore plus loin pour nous pardonner les péchés atroces que nous avons commis, en tant qu’individus et en tant que peuple. Il ne nous reste à espérer qu’à l’instar des habitants de Ninive, qui échappèrent à la destruction grâce au repentir, nous pourrons convaincre le Seigneur de nous épargner l’attaque de la flotte qu’il a envoyée contre nous pour nous punir.
— N’a-t-il pas envoyé la flotte avant l’incendie de la forêt ? lui glissa Miro à l’oreille, assez bas pour que personne d’autre n’entende.
— Peut-être que le Seigneur tient compte de l’heure d’arrivée et non de l’heure de départ, suggéra Valentine.
Mais elle regretta immédiatement cette insolence. Ce qui se passait en ce jour était un événement solennel ; même si elle ne croyait pas profondément à la doctrine catholique, elle savait que, lorsqu’une communauté reconnaissait la responsabilité du mal qu’elle avait commis et faisait pénitence, le moment était sacré.
L’évêque parla de ceux qui étaient morts en odeur de sainteté : Os Venerados, qui, les premiers, sauvèrent l’humanité du fléau de la descolada ; le Père Estevão, dont le corps reposait sous les dalles de la chapelle et qui avait souffert le martyre en défendant la vérité contre l’hérésie ; Planteur, qui était mort pour prouver à ceux de son peuple que leur âme venait de Dieu et non d’un virus ; et les pequeninos innocents, victimes du massacre.
— Tous seront peut-être des saints un jour, car cette époque ressemble aux premiers temps du christianisme, où de grandes actions et une sainteté parfaite étaient encore plus nécessaires, et donc plus souvent accomplies. Cette chapelle est un sanctuaire en l’honneur de tous ceux qui ont aimé leur Dieu de tout leur cœur, de toutes leurs forces, de tout leur esprit, de toute leur puissance, et qui ont aimé leur prochain comme eux-mêmes. Que tous ceux qui entrent ici le fassent le cœur brisé et l’esprit repentant, afin que la sainteté puisse les toucher eux aussi.
L’homélie fut brève, car il y avait encore de nombreuses cérémonies identiques à l’ordre du jour : les fidèles se rendaient par groupes à la chapelle, puisqu’elle était bien trop exiguë pour contenir toute la population humaine de Lusitania. L’office toucha bientôt à sa fin, et Valentine se leva pour partir. Elle se serait esquivée sur les talons de Plikt et de Val, mais Miro la retint par le bras.
— Ça y est. Jane vient de me le dire. Alors j’ai pensé que vous aimeriez le savoir.
— Quoi ?
— Elle vient de tester le vaisseau, sans Ender.
— Mais c’est impossible, non ? dit Valentine.
— Avec Peter. Elle l’a emmené Dehors et l’a ramené. Il peut contenir son aura, si c’est bien comme cela que le transfert fonctionne.
— Est-ce qu’il a… ?
— Créé quelque chose ? Non, dit Miro.
Il lui fit un grand sourire, légèrement forcé, avec une amorce de grimace que Valentine attribua à la tristesse.
— Il prétend que c’est parce que son esprit est beaucoup plus clair et plus sain que celui d’Ender.
— Ça se peut, dit Valentine.
— Moi, je dis que c’est parce que aucun des philotes de là-bas n’était disposé à entrer dans sa configuration à lui. Trop tordue.
Valentine étouffa un rire.
L’évêque s’approcha d’eux. Puisqu’ils étaient parmi les derniers à partir, ils étaient seuls près de l’autel.
— Je te remercie d’avoir accepté un second baptême, dit l’évêque.
— Bien peu d’hommes, dit Miro en baissant la tête, ont la chance d’être purifiés de leurs péchés à ce stade de leur vie.
— Quant à vous, Valentine, je regrette de n’avoir pu recevoir celle qui… porte votre nom.
— Ne vous inquiétez pas, évêque Peregrino. Je vous comprends. Je suis peut-être même d’accord avec vous.
L’évêque secoua la tête.
— Ce serait mieux s’ils pouvaient…
— « Partir » ? suggéra Miro. Votre vœu sera exaucé. Peter partira bientôt ; Jane peut piloter un vaisseau avec lui à bord. La chose est sans aucun doute possible avec la jeune Val.
— Non, dit Valentine. Elle ne peut pas partir. Elle est trop…
— « Jeune » ? demanda Miro, apparemment amusé. Ils sont nés tous les deux en sachant tout ce que sait Ender. On ne peut pas dire que ce soit une fillette, malgré son apparence physique.
— S’il s’était agi d’une vraie naissance, dit l’évêque, ils n’auraient pas été obligés de partir.
— Ils ne partent pas pour vous faire plaisir, dit Miro. Ils partent parce que Peter va livrer le nouveau virus d’Ela à la planète de la Voie et que le vaisseau de Val va rechercher des planètes où pourront s’installer les pequeninos et les reines.
— Vous ne pouvez pas l’envoyer dans l’espace pour accomplir pareille mission, dit Valentine.
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