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Orson Card: Xénocide

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Orson Card Xénocide

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Trois espèces intelligentes se partagent inégalement la planète Lusitania : les Pequeninos qui en sont les indigènes, les humains qui l’ont colonisée récemment et la Reine d’une ruche étrange qui y a été amenée par Ender le Stratège, appelé aussi la Voix des Morts. Mais il existe sur Lusitania une quatrième espèce, un virus, la descolada, mortelle pour les humains et pour la Reine qui la tiennent difficilement en échec, mais qui est indispensable à la reproduction très particulière des Pequeninos. La petite colonie humaine de Lusitania pourrait éradiquer le virus. Mais elle risquerait alors de commettre deux fois le crime inexpiable de xénocide, la destruction irrémédiable d’une espèce intelligente. D’abord, en interdisant aux Pequeninos d’entrer dans leur troisième vie et de se reproduire. Ensuite, en éliminant un virus si adaptable que certains le considèrent comme conscient. Un xénocide : le crime qu’Ender lui-mëme a commis plus de trois mille ans plus tôt dans sa guerre interstellaire contre les Doryphores ( ) et qu’il n’a eu de cesse d’expier depuis ( ). Avec l’aide des Lusitaniens de toutes espèces, celle de sa soeur Valentine et celle enfin des sages de la Voie, une planète de culture chinoise traditionnelle, Ender parviendra-t-il à éviter que le Congrès stellaire détruise Lusitania et tous ses habitants avant que la descolada ne se déchaïne à travers toute la galaxie ?

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Orson Scott Card

Xenocide

À Clark et Kathy Kidd :

pour la liberté, pour le refuge,

et nos cabrioles d’un bout à l’autre de l’Amérique.

SÉPARATION

« Aujourd’hui, l’un des frères m’a demandé : Est-ce un supplice de ne pouvoir quitter l’endroit où l’on est ? »

« Tu as répondu… »

« Je lui ai dit que je suis à présent plus libre que lui. L’incapacité de me mouvoir me libère de l’obligation d’agir. »

« Menteurs que vous êtes, ô vous qui parlez toutes langues. »

Han Fei-tzu était assis dans la position du lotus à même le plancher de bois près du lit où reposait son épouse souffrante. Se pouvait-il qu’il ait dormi si longtemps ? Il n’en était pas sûr. Mais à présent il constatait un léger changement dans la respiration de sa femme, changement aussi subtil que l’air déplacé par les ailes d’un papillon.

Jiang-qing avait dû elle aussi détecter comme un changement chez lui, parce qu’elle n’avait pas parlé de longtemps et qu’elle parlait maintenant. D’une voix très douce. Mais Han Fei-tzu l’entendait distinctement, car la maison était silencieuse. Il avait requis de ses amis et serviteurs qu’ils fassent silence pendant le crépuscule de la vie de Jiang-qing. On aurait loisir de faire du bruit tout au long de la nuit à venir, quand plus une seule syllabe étouffée ne passerait ses lèvres.

— Pas encore morte, dit-elle.

C’est ainsi qu’elle l’avait accueilli chaque fois qu’elle s’était réveillée ces derniers jours. Ces paroles lui avaient d’abord semblé fantasques ou ironiques, mais il savait désormais qu’elle exprimait ainsi sa déception. C’est la mort qu’elle désirait à présent, non qu’elle n’ait pas aimé la vie, mais parce que la mort était maintenant inévitable et qu’il faut accueillir à bras ouverts ce qui ne se peut éviter. Telle était la Voie.

— Alors, les dieux sont cléments envers moi, dit Han Fei-tzu.

— Envers toi, souffla-t-elle. Qu’envisageons-nous ?

C’était sa manière de lui demander de partager ses pensées intimes avec elle. Lorsque d’autres lui demandaient ce qu’il pensait en son for intérieur, il se sentait espionné. Mais Jiang-qing ne le lui demandait que pour pouvoir aligner ses pensées sur les siennes ; c’est ainsi que leurs âmes ne faisaient qu’une.

— Nous envisageons la nature du désir, dit Han Fei-tzu.

— Le désir de qui ? demanda-t-elle. Et de quoi ?

Le désir que j’ai de voir tes os guérir et reprendre vigueur, afin qu’ils ne se brisent pas à la moindre pression. Afin que tu puisses à nouveau te tenir debout, voire lever le bras sans que tes muscles arrachent des cartilages ou fassent casser l’os sous la tension. Afin que je ne sois pas forcé de te voir dépérir jusqu’à ce que tu ne pèses plus que tes 18 kilogrammes actuels. Je n’avais jamais su à quel point notre bonheur était parfait avant d’apprendre que nous ne pourrions plus rester ensemble.

— Mon désir, répondit-il. Mon désir pour toi.

— « On ne convoite que ce qu’on n’a pas. » Qui a dit cela ?

— Toi, dit Han Fei-tzu. Certains disent : « Ce qu’on ne peut avoir. » D’autres disent : « Ce qu’on ne devrait pas avoir. » Moi, je dis : « On ne peut véritablement convoiter que ce qu’on désirera pour toujours en vain. »

— Tu m’as pour toujours.

— Je te perdrai ce soir. Ou demain. Ou la semaine prochaine.

— Envisageons donc la nature du désir, dit Jiang-qing.

Comme auparavant, elle usait de la philosophie pour le tirer de sa pesante mélancolie.

Il lui résista, mais seulement par jeu.

— Tu es impitoyable, dit Han Fei-tzu. Comme ton ancêtre-de-cœur, tu ne tiens aucun compte de la fragilité d’autrui.

Jiang-qing portait le nom d’une dirigeante révolutionnaire du lointain passé, qui avait tenté de mener le peuple dans une Voie nouvelle mais avait été renversée par des lâches, des médiocres. Il était injuste, songeait.

Han Fei-tzu, que sa femme meure avant lui : son ancêtre-de-cœur avait survécu à son mari. En outre, les épouses vivaient forcément plus longtemps que leurs maris. Les femmes étaient plus complètes, intérieurement. Elles réussissaient mieux à s’incarner dans leurs enfants. Elles n’étaient jamais aussi solitaires qu’un homme seul.

Jiang-qing refusa de le laisser retomber dans ses idées noires.

— Lorsqu’un homme a perdu son épouse, que désire-t-il encore ?

Ombrageux, Han Fei-tzu lui donna la réponse la plus fausse qui soit :

— Coucher avec elle.

— Le désir du corps, dit Jiang-qing.

Puisqu’elle était déterminée à poursuivre cette conversation, Han Fei-tzu lui récita le catalogue :

— Le désir du corps est désir d’action. Il comprend les contacts de toute nature, négligents ou intimes, et tous les mouvements habituels. Ainsi, l’homme qui perçoit un mouvement du coin de l’œil croit avoir vu sa défunte épouse franchir la porte et ne trouve aucun repos avant de s’être approché de la porte et d’avoir constaté que ce n’était pas sa femme. Ainsi s’éveille-t-il d’un rêve dans lequel il a entendu sa voix, et il se surprend à formuler tout haut sa réponse comme si elle pouvait l’entendre.

— Quoi d’autre ? demanda Jiang-qing.

— Je suis las de la philosophie, dit Han Fei-tzu. Les Grecs y trouvaient peut-être une consolation, mais pas moi.

— Le désir de l’esprit, insista Jiang-qing.

— Parce que l’esprit relève de la Terre, il est cette partie qui fait du neuf avec du vieux. L’époux garde la nostalgie de tous les projets inachevés que lui-même et son épouse étaient en train de mener à bien lorsqu’elle est morte, et de tous les rêves avortés de ce qu’ils auraient accompli si elle avait vécu. C’est ainsi qu’un veuf reprochera à ses enfants de ressembler trop à sa personne et pas assez à celle de la défunte. C’est ainsi qu’un mari détestera la maison où ils ont vécu ensemble, soit qu’il la laisse telle qu’elle est pour qu’elle soit aussi morte que sa femme, soit qu’il la transforme pour qu’elle ne soit plus pour moitié l’œuvre de sa femme.

— Pourquoi t’en prendre à notre petite Qing-jao ? dit Jiang-qing.

— Pourquoi ? demanda Han Fei-tzu. Vas-tu rester, alors, et m’aider à lui apprendre à devenir une femme ? Tout ce que je peux lui apprendre, c’est à devenir ce que je suis – un être froid et dur, tranchant et résistant comme l’obsidienne. Si c’est ce qu’elle deviendra en grandissant, tout en te ressemblant à ce point, comment puis-je m’empêcher d’être en colère ?

— Tu peux aussi lui apprendre tout ce que je suis.

— Si j’avais en moi la moindre parcelle de toi, dit Han Fei-tzu, je n’aurais point eu besoin de t’épouser pour accéder à la plénitude de mon être.

Il la taquinait avec la philosophie pour détourner la conversation de la douleur.

— Tel est le désir de l’âme, poursuivit-il. Parce que l’âme est faite de lumière et réside dans l’Air, elle est cette partie qui conçoit les idées et les préserve, surtout l’idée du moi. Le mari désire la plénitude de son moi, qui a été créé par l’union des époux. Ainsi ne croit-il jamais aucune de ses propres pensées, parce qu’il y a toujours dans son esprit une question à laquelle les pensées de sa femme seraient la seule réponse possible. Ainsi le monde entier lui semble-t-il mort parce qu’il ne peut escompter que quoi que ce soit conserve son sens avant que ne fonde sur lui cette imparable question.

— Très profond, dit Jiang-qing.

— Si j’étais japonais, je commettrais le seppuku et répandrais mes entrailles dans l’urne contenant tes cendres.

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