— En d’autres termes, vous allez envoyer des hommes affronter un danger mortel sans réelle connaissance de la situation sur le terrain, alors que nous avons le moyen d’éliminer le danger sans faire courir le moindre risque d’infection aux personnes saines.
— Le Congrès a pris sa décision, trancha le Premier Porte-parole. Nous ne commettrons pas un nouveau xénocide alors qu’il existe une solution de rechange. Avez-vous bien reçu et compris ces ordres ?
— Oui, monsieur, fit Lands.
— Seront-ils exécutés ? » demanda le Premier Porte-parole.
Le Premier Secrétaire était atterré. Il n’y avait pas de pire insulte que de demander à un officier s’il avait l’intention d’obéir aux ordres.
Pourtant le Premier Porte-parole ne se rétracta pas.
« Eh bien ?
— Monsieur, j’ai toujours honoré et honorerai toujours mon serment. » Sur ce, Lands coupa la communication. Il se tourna immédiatement vers Causo, son CS, la seule autre personne présente dans la salle de communication hermétique. « Vous êtes en état d’arrestation, monsieur », dit-il.
Causo leva un sourcil. « Vous n’avez donc pas l’intention d’obéir à cet ordre ?
— Je ne vous demande pas votre avis personnel sur la question. Je sais que vous êtes d’origine portugaise comme les gens de Lusitania.
— Ils sont brésiliens. »
Lands passa outre. « J’inscrirai dans mon registre que l’on ne vous a pas donné l’occasion de vous exprimer et que vous n’avez aucune part de responsabilité dans ce que je suis sur le point d’accomplir.
— Que faites-vous de votre serment, monsieur ? demanda calmement Causo.
— Mon serment consiste à mener toutes les actions nécessaires pour le bien de l’humanité. J’invoquerai la clause des crimes de guerre.
— On ne vous a pas donné l’ordre de commettre un crime de guerre. On vous ordonne de ne pas en commettre un.
— Au contraire. Ne pas détruire ce monde et le péril mortel qu’il représente serait un plus grand crime contre l’humanité que de ne pas le détruire. » Lands lui posa une main sur l’épaule. « Vous êtes en état d’arrestation, monsieur. »
Le CS plaça ses mains sur la tête et lui tourna le dos. « Vous avez peut-être raison, monsieur, comme vous avez peut-être tort. Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est monstrueux. Je n’arrive pas à comprendre comment vous pouvez prendre une telle décision seul. »
Lands plaça le patch de docilité sur la nuque de Causo et, tandis que la drogue faisait lentement son effet, lui dit : « J’ai été aidé, mon ami. Je me suis demandé ce qu’Ender Wiggin, l’homme qui a sauvé l’humanité des doryphores, aurait fait si on lui avait dit au dernier moment : « Ceci n’est pas un jeu, c’est bien réel. » Ce qu’il aurait fait si, au moment de tuer les jeunes Stilson et Madrid, ses Premier et Deuxième Meurtres, un adulte était intervenu pour lui ordonner de s’arrêter. Aurait-il obtempéré, sachant que l’adulte était incapable de le protéger par la suite lorsque ses ennemis l’auraient attaqué de nouveau ? Sachant que c’était maintenant ou jamais ? Si les adultes de l’École de Guerre lui avaient dit : « Nous estimons possible que les doryphores n’aient pas vraiment l’intention de détruire la race humaine, alors ne les tuez pas tous », pensez-vous qu’Ender Wiggin aurait obéi ? Non. Il aurait fait – comme il a toujours fait – ce qui était nécessaire pour éradiquer définitivement le danger. Voilà celui que j’ai consulté. Celui dont je suivrai aujourd’hui la sagesse. »
Causo ne répondit pas. Il se contenta de sourire et hocha la tête à plusieurs reprises.
« Asseyez-vous et ne vous relevez pas tant que je ne vous en aurai pas donné l’ordre. »
Causo s’exécuta.
Lands alluma l’ansible pour communiquer avec le reste de la flotte. « L’ordre a été donné et nous devons procéder. Je vais lancer le Dispositif DM et nous repartirons aussitôt à vitesse relativiste. Que Dieu ait pitié de mon âme. »
Quelques instants plus tard, le Dispositif DM quitta le vaisseau de l’amiral et poursuivit sa route juste en dessous de la vitesse relativiste en direction de Lusitania. Il lui faudrait une heure avant d’arriver à la distance nécessaire pour son déclenchement automatique. Si le détecteur de distance ne devait pas fonctionner correctement, une minuterie l’activerait quelques instants avant le temps estimé de collision.
Lands augmenta la vitesse de son vaisseau pour le faire passer au-delà du seuil qui le maintenait dans la temporalité du reste de l’univers. Puis il retira le patch de docilité de la nuque de Causo pour le remplacer par un patch antidote. « Vous pouvez désormais me mettre aux arrêts pour la mutinerie dont vous avez été le témoin. »
Causo secoua la tête. « Non, monsieur. Vous n’irez nulle part, et la flotte reste sous votre contrôle jusqu’à ce que nous soyons rentrés. À moins que vous n’ayez un autre plan idiot pour essayer d’échapper au procès pour crime de guerre qui vous attend.
— Non, monsieur. J’affronterai la sentence qui m’attend. Ce que j’ai fait a sauvé l’humanité de la destruction, mais je suis prêt à rejoindre les humains et les pequeninos de Lusitania à titre de sacrifice nécessaire pour l’accomplissement d’une telle action. »
Causo le salua puis, s’affaissant dans son siège, il fondit en larmes.
15
« Nous vous donnons une seconde chance »
Petite fille, je croyais
Que si je pouvais faire suffisamment plaisir aux dieux.
Ils me laisseraient recommencer ma vie,
À cette différence près
Qu’ils ne m’enlèveraient pas ma mère. »
Murmures Divins de Hun Qing-Jao
Un satellite de Lusitania repéra le lancement du Dispositif DM et son approche de Lusitania, alors que les vaisseaux avaient disparu des écrans de contrôle. Le pire était en train de se produire. Il n’y avait eu aucune tentative de communication ou de négociation. Il était évident que la flotte n’avait jamais eu d’autre but que la destruction totale de la planète, et avec elle, de toute une espèce intelligente. La plupart des gens avaient espéré – certains allant jusqu’à y compter – qu’il y aurait un moyen de lui faire savoir que la descolada avait été maîtrisée et ne représentait plus le moindre danger. Que de toute façon, il était trop tard pour arrêter quoi que ce soit, puisque de nouvelles colonies d’humains, de pequeninos et de reines s’étaient déjà installées sur d’autres planètes. Mais au lieu de cela, la mort leur tombait du ciel à une vitesse qui ne leur laissait guère plus d’une heure de vie, et sans doute moins puisque le Petit Docteur serait vraisemblablement déclenché à une certaine distance de la surface de la planète.
Les pequeninos étaient désormais aux commandes des instruments, puisque à quelques rares exceptions près, tous les humains s’étaient enfuis à bord de leurs vaisseaux. Ce fut donc un pequenino qui envoya la nouvelle par ansible au vaisseau qui gravitait autour de la planète de la descolada. Par chance, ce fut Coupe-Feu, qui se trouvait au terminal ansible, qui réceptionna le message. Il se mit à chanter une mélopée funèbre, la musique de sa propre douleur faisant trembler sa voix.
Lorsque Miro et ses sœurs comprirent ce qui se passait, il alla aussitôt rejoindre Jane. « Ils ont lancé le Petit Docteur », dit-il en la secouant doucement.
Il n’attendit que quelques instants. Les yeux de Jane s’ouvrirent enfin. « Je croyais que nous avions réussi à les contrer, dit-elle. Je veux dire, Peter et Wang-mu. Le Congrès avait voté une quarantaine et avait clairement interdit à la flotte d’utiliser le Dispositif DM. Et pourtant ils l’ont lancé.
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