Robert Heinlein - Marionnettes humaines

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L’année 2007, dans l’histoire des Etats-Unis a été l’année de l’invasion. D’une invasion comme on n’en a jamais vu jusqu’alors. Les ennemis, innombrables, se présentent sous un aspect stupéfiant : des boules gélatineuses, animées de mouvements amiboïdes. Ils arrivent par astronef de la planète Titan.
Leur tactique est la plus simple : ils se collent sur la nuque des hommes et ceux-ci deviennent immédiatement des esclaves, des marionnettes soumises complétement à la volonté de ces choses innommables, de ces « maîtres » à la fois malfaisants, despotiques et diaboliquement habiles.
Il faudra une véritable guerre pour venir à bout de cette menace qui pèse sur le genre humain tout entier. Mais l’homme vaincra encore une fois les puissances mauvaises, grâce à un brillant agent des Services Secrets, Elisée Nivens, sa ravissante femme Mary, et son père, le fameux « Patron ».

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Du reste, une fois dans le bureau du directeur, il continua à jouer son rôle.

« Je voudrais bien savoir ce que signifie cette ridicule histoire de pseudo-astronef ? J’exige des explications nettes ! Votre situation en dépend. »

Le directeur était un petit homme aux épaules voûtées. Il ne paraissait pas intimidé – agacé seulement.

« Nous avons déjà donné toutes les explications nécessaires à nos auditeurs, dit-il. Nous avons été les victimes de plaisantins, mais le responsable a été congédié.

— Comme explication, c’est plutôt maigre ! » Le petit homme (il s’appelait Barnes) haussa les épaules.

« Que vouliez-vous que nous lui fassions ? On ne pouvait quand même pas le pendre ! »

L’oncle Charles braqua son cigare dans sa direction. « Je vous préviens que je ne suis pas homme à me laisser berner. Je suis loin d’être convaincu que deux rustauds et un jeune speaker aient pu à eux seuls monter de toutes pièces cette ahurissante histoire. Il leur a fallu de l’argent. Oui, monsieur, de l’argent ! Voulez-vous me faire le plaisir de me dire ce que vous…»

Mary s’était assise non loin du bureau de Barnes. Je ne sais ce qu’elle avait fait à ses vêtements, mais sa pose me rappelait la Femme dévêtue de Goya. Elle fit un clin d’œil au Patron et abaissa le pouce vers la terre.

Normalement, Barnes n’aurait pas dû s’en apercevoir ; toute son attention semblait tournée vers le Patron. Pourtant, il remarqua le geste de Mary. Il se tourna vers elle et son visage perdit toute expression. Il abaissa la main vers son bureau.

« Sam ! Tue-le ! » me cria le Patron.

Je le blessai aux jambes ; le haut de son corps bascula sur le sol. J’avais mal visé : je voulais lui brûler le ventre.

Je m’avançai vers lui et d’un coup de pied expédiai au loin le pistolet qu’il serrait encore dans ses doigts. J’allais lui donner le coup de grâce (un homme blessé comme il l’était est perdu de toute façon, mais il lui faut un certain temps pour mourir).

« N’y touche pas ! me cria le Patron. Mary, recule. »

Il s’approcha obliquement de Barnes, comme un chat qui flaire un objet inconnu. Barnes laissa échapper un long soupir et ne bougea plus. Le Patron le poussa doucement du bout de sa canne.

« Patron, dis-je, il me semble qu’il serait temps de nous tirer.

— Nous ne courons pas plus de risques ici qu’ailleurs, dit-il sans se retourner. L’immeuble en est peut-être rempli.

— Rempli de quoi ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Rempli d’êtres comme lui. »

Il désignait du doigt le cadavre de Barnes. « C’est justement cela qu’il faut que je découvre, conclut-il.

— Il respire encore ! s’écria Mary avec un sanglot étouffé. Regardez ! »

Le cadavre gisait face contre terre et le dos du veston se soulevait comme si la poitrine du mort se dilatait encore. Le Patron y jeta un coup d’œil et tâta le corps du bout de sa canne.

« Viens ici, Sam », ordonna-t-il.

J’obéis.

« Déshabille-le, continua-t-il. Enfile tes gants et fais bien attention.

— Piège explosif ? suggérai-je.

— Tais-toi. Mais fais attention. »

Il devait avoir eu une intuition bien proche de la vérité. Je me suis toujours dit que le cerveau du Patron était construit comme une machine à calculer électronique : il sait arriver à la solution logique, à partir d’un minimum de faits, comme les paléontologistes reconstituent un animal à partir d’un os unique. J’ai commencé par prendre mes gants. C’étaient des gants spécialement faits pour nous avec lesquels j’aurais pu agiter de l’acide bouillant sans même me brûler tout en restant capable, en tâtant une pièce de monnaie dans le noir, de distinguer son côté pile de son côté face. Une fois ganté, je me suis mis en devoir de retourner Barnes pour le déshabiller.

Son dos se gonflait et se dégonflait toujours ; c’était un spectacle peu attrayant. Je posai ma paume entre ses omoplates.

Le dos d’un homme est fait d’os et de muscles. Celui-là était flasque et palpitant. Je retirai précipitamment ma main.

Sans mot dire Mary me tendit une paire de ciseaux qu’elle venait de prendre sur le bureau. Je m’en servis pour découper le dos du veston de Barnes. Il ne portait qu’une simple chemise en dessous. Entre celle-ci et la peau, de la base du cou à la moitié du dos environ, je vis quelque chose qui n’était pas de la chair. Ce quelque chose, épais d’une demi-douzaine de centimètres, donnait au cadavre un aspect voûté, ou légèrement bossu.

La chose était animée de pulsations.

Nous la vîmes glisser lentement le long de l’échine du cadavre, comme pour nous fuir. Je me baissai pour arracher la chemise. D’un coup de canne sur les doigts, le Patron m’arrêta net.

« Il faudrait savoir ce que vous voulez », grognai-je en me frottant les phalanges.

Sans répondre, il glissa sa canne sous la chemise et la fit remonter le long du tronc. La « chose » était ainsi tout à fait visible.

C’était grisâtre et légèrement translucide, avec des organes plus sombres à l’intérieur, rappelant des veines. C’était informe, mais c’était manifestement vivant. Sous nos yeux, la chose se coula dans le creux de l’aisselle du mort qu’elle emplit complètement et resta là, incapable d’aller plus loin.

« Pauvre bougre ! dit doucement le Patron.

— Hein ? Ça ?

— Non. Barnes. Tu me feras penser à demander pour lui une citation à l’ordre de la Nation, quand toute cette histoire sera finie… Si jamais elle l’est…»

Le Patron se redressa et arpenta la pièce. Il semblait avoir complètement oublié la chose qui s’était nichée dans l’aisselle de Barnes.

Je fis un pas en arrière et continuai à la fixer, mon pistolet à la main. Elle ne devait pas pouvoir se déplacer rapidement et il était évident qu’elle ne pouvait pas voler ; mais, à part cela, j’ignorais ce dont elle était capable. Mary s’avança et vint coller son épaule contre la mienne comme pour me réconforter. Je lui pris la taille de mon bras libre.

Sur une table voisine il y avait une pile de ces boîtes métalliques qui servent à ranger les bobines de stéréo. Le Patron en prit une et la vida de son contenu. « Je crois que ça ira », dit-il en posant la boîte sur le plancher près de la « chose ». Il commença à l’asticoter avec sa canne pour l’inciter à se couler dans la boîte.

Elle se rétracta au contraire si bien qu’elle disparut totalement sous le cadavre. En lui saisissant son bras libre, je le retournai. La « chose » s’y accrocha une seconde et retomba sur le sol. Sous la direction de notre bon oncle Charlie, Mary et moi nous servîmes de nos pistolets réglés à la puissance de rayonnement minimale pour brûler le plancher tout près d’elle et la forcer ainsi à se glisser dans la boîte. Nous finîmes par réussir. Elle y entrait tout juste, et je me hâtai de remettre le couvercle par-dessus.

Le Patron glissa la boîte sous son bras. « En route, mes enfants », ordonna-t-il.

Sur le pas de la porte, il se retourna, comme pour dire au revoir à quelqu’un. Après l’avoir refermée il s’arrêta au bureau de la secrétaire de Barnes. « Je viendrai revoir M. Barnes demain ! déclara-t-il. Non, inutile de me prendre un rendez-vous, je téléphonerai. »

Nous sortîmes lentement, le Patron tenant toujours sous son bras la boîte contenant la « chose ». Je tendais l’oreille, guettant un signal d’alerte. Mary continuait à jouer les oies blanches et jacassait sans arrêt. Le Patron eut le culot de s’arrêter dans le hall pour acheter un cigare et demander son chemin, de son air important de brave homme un peu raseur.

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