Il y avait une peine réelle dans la voix de Paul. Stilgar l’entendit et baissa les yeux.
« D’Usul, le compagnon de sietch, je n’aurais point douté dit-il. Mais tu es Paul-Muad’Dib, le duc Atréides, et le Lisan al-Gaib, la Voix de L’Autre Monde. Ceux-là, je ne les connais pas. »
Paul se détourna pour observer la Chaîne de Habbanya qui surgissait du désert. Sous eux, le faiseur était encore plein de force et de volonté. Il pouvait aller presque deux fois plus loin que tout autre faiseur avant lui. Paul le savait. Rien, même dans les histoires que se racontaient les enfants, ne pouvait se comparer à ce vieil homme du désert. Ce ver, comprit-il, était la source d’une nouvelle légende.
Une main lui agrippa l’épaule.
Les yeux sombres de Stilgar le contemplaient, entre le masque et le capuchon de son distille.
« Celui qui menait le sietch Tabr avant moi était mon ami, dit-il. Nous partagions les mêmes dangers. Plus d’une fois, il m’a dû la vie… comme je lui ai dû la mienne. »
« Je suis ton ami, Stilgar », dit Paul.
« Nul n’en doute, dit Stilgar. (Il retira sa main, haussa les épaules.) C’est ainsi. »
Et Paul comprit qu’il était trop imprégné des usages fremen pour pouvoir seulement en imaginer d’autres. Chez les Fremen, le chef devait mourir pour abandonner les rênes du pouvoir à un autre. Stilgar était un naib.
« Nous devrions laisser ce faiseur en sable profond », dit Paul.
« Oui. Nous pourrons marcher jusqu’à la grotte. »
« Nous l’avons monté assez longtemps. Maintenant, il va s’enterrer et dormir pendant un jour ou deux. »
« Tu es le mudir du sable, dit Stilgar. Quand nous…»
Il se tut, les yeux fixés sur l’horizon d’est.
Paul suivit son regard. La teinte bleue de ses yeux rendait le ciel plus sombre, d’un riche azur. Et sur ce fond, un clignotement lointain se détachait nettement.
Un ornithoptère !
« Un petit », dit Stilgar.
« Peut-être un éclaireur. Crois-tu qu’ils nous aient vus ? »
« A cette distance, ils ne distinguent qu’un ver en surface, dit Stilgar. (Il tendit la main gauche.) En bas. Dispersez-vous sur le sable. »
La troupe se laissa glisser sur les flancs du ver, se confondant avec le sable. Paul repéra l’endroit où était tombée Chani. Stilgar et lui demeuraient seuls sur le faiseur. « Le premier en haut, le dernier en bas », dit Paul.
Stilgar acquiesça et se laissa glisser vers le sol. Paul attendit encore un instant que le ver se fût éloigné de la zone où les hommes s’étaient dispersés, puis ôta ses propres hameçons. Avec un ver qui n’était pas totalement épuisé, c’était le moment le plus critique. Libéré des hameçons et des harceleurs, le ver géant plongea vers les profondeurs du sable. Paul courut sur les vastes anneaux, choisit son moment avec précision et sauta. Il tomba dans le sable et prit immédiatement sa course vers une dune proche pour plonger sous une cascade de sable, ainsi qu’on le lui avait appris.
Maintenant, il fallait attendre.
Doucement, il se tourna jusqu’à ce qu’il pût distinguer un ruban de ciel. Plus loin, il le savait, tous les autres faisaient de même.
Il perçut le battement des ailes de l’orni avant même de le voir. Puis, dans le chuchotement de ses fusées, l’appareil plongea vers les rochers.
Paul remarqua qu’il ne portait aucun emblème.
Il disparut derrière la Chaîne de Habbanya.
Quelque part dans le désert, un oiseau cria. Puis un autre.
Paul se releva et escalada la dune. De loin en loin, des silhouettes se dressaient. Il reconnut Chani, puis Stilgar qui tendait la main vers la chaîne.
Ils se rassemblèrent, tous, et se mirent en marche selon le rythme brisé qui ne pouvait attirer un faiseur. Stilgar rejoignit Paul sur la crête d’une dune durcie par le vent.
« C’était un appareil des contrebandiers », dit-il.
« C’est ce qu’il semblait, dit Paul. Mais nous sommes bien loin dans le désert. »
« Ils ont aussi leurs problèmes avec les patrouilles », dit Stilgar.
« S’ils viennent si loin dans le désert, ils peuvent aller plus loin encore. »
« C’est vrai. »
« Il ne serait pas bon qu’ils puissent voir ce qu’il y a plus loin au sud. Les contrebandiers font également le commerce des informations. »
« Tu ne penses pas qu’ils cherchaient de l’épice ? » demanda Stilgar.
« En ce cas, il devrait y avoir une aile et une chenille quelque part, dit Paul. Nous avons de l’épice. Tendons un piège et attrapons quelques contrebandiers. Il faut qu’ils apprennent que ce pays est le nôtre et que nos hommes ont besoin d’essayer leurs nouvelles armes. »
« Voilà qui est parlé, Usul, dit Stilgar. Usul pense comme un Fremen. »
Mais Usul doit prendre des décisions qui mènent à un but terrible , pensa Paul. Et l’orage se formait.
Quand la loi et le devoir ne font qu’un sous la religion, nul n’est plus vraiment conscient. Alors, on est toujours un peu moins qu’un individu.
Extrait de Muad’Dib :
Les Quatre-vingt-dix-neuf Merveilles de l’Univers , par la Princesse Irulan.
L’usine à épice des contrebandiers s’avançait à travers les dunes avec son aile portante et sa couronne d’ornithoptères bourdonnants, pareille à quelque reine insecte suivie de son cortège. Des alignements de rochers bas apparurent, semblables à des modèles réduits du Bouclier.
Dans la bulle de commande de l’usine, Gurney Halleck, penché en avant, réglait les lentilles à huile de ses jumelles pour observer le paysage. Au-delà des rochers, il distinguait une zone sombre qui pouvait correspondre à un gisement d’épice. Il donna l’ordre à un des ornis d’aller en reconnaissance.
L’appareil battit des ailes pour accuser réception du message et quitta l’essaim, pour piquer vers la tache de sable sombre qu’il survola à basse altitude, dardant ses détecteurs.
Presque aussitôt, il abaissa ses ailes et accomplit un cercle, indiquant qu’il venait de repérer l’épice.
Gurney abaissa ses jumelles. Les autres avaient dû également voir le signal. L’endroit lui semblait parfait. Les rochers les protégeaient. Bien sûr, ils étaient loin dans le désert et une embuscade était peu probable mais, pourtant… Il donna l’ordre à un appareil de survoler les rochers et envoya les autres en différents points autour de la zone repérée, pas trop haut cependant, pour échapper aux détecteurs harkonnens à longue portée.
Mais il ne pensait pas qu’ils puissent rencontrer des patrouilles harkonnens si loin dans le sud. Non, ce territoire était celui des Fremen.
Gurney entreprit de vérifier ses armes tout en maudissant encore une fois l’inutilité des boucliers. Il fallait éviter à tout prix d’attirer un ver. Il caressa la cicatrice sur sa mâchoire et décida, tout en observant le paysage, qu’il valait mieux envoyer des hommes à pied dans les rochers. L’inspection directe du terrain restait encore le moyen le plus sûr. Les Fremen et les Harkonnens étaient à couteaux tirés et l’on ne pouvait être trop prudent.
C’étaient les Fremen qui préoccupaient Gurney. L’épice leur importait peu mais ils se révélaient de vrais démons dès l’instant où l’on pénétrait sur un territoire qu’ils considéraient comme interdit. Et, depuis quelque temps, ils étaient diaboliquement rusés.
C’était cela précisément qui troublait Gurney, la ruse et l’habileté au combat de ces indigènes. Ils montraient une connaissance de la guerre qu’il avait encore rarement rencontrée, lui qui avait été formé par les meilleurs combattants de l’univers avant de participer à des batailles où seuls survivaient les plus forts.
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