A nouveau, il examina le désert, se demandant d’où pouvait provenir son inquiétude grandissante. C’était peut-être cette tempête qu’ils avaient vue… pourtant elle était loin, de l’autre côté de la chaîne.
Une tête apparut à ses côtés, celle du commandant de la chenille, un vieux pirate barbu et borgne, aux yeux bleuis par l’épice, aux dents d’une blancheur de lait. « Le gisement a l’air riche, dit-il. Nous y allons ? »
« Allez jusqu’à la limite des rochers, dit Gurney. Laissez-moi débarquer avec mes hommes. Vous pourrez ensuite rouler jusqu’au gisement. Il faut que nous jetions un coup d’œil par là. »
« Vu. »
« En cas d’ennuis, sauvez l’usine. Nous fuirons avec les ornis. »
Le commandant salua : « Vu, chef. » Et il se retira.
Une fois encore, Gurney explora l’horizon. Il ne devait pas rejeter la possibilité de la présence de Fremen. L’usine était loin dans leur territoire. Le caractère imprévisible et la dureté des Fremen ne laissaient pas de le contrarier. Et il y avait bien d’autres choses encore qui le contrariaient dans ce travail. Mais les gains étaient importants. Par exemple, il ne pouvait jamais autoriser les ornis à prendre de l’altitude. Et la radio devait garder un silence absolu. Tout cela ne faisait qu’ajouter à son inquiétude.
La chenille vira et descendit vers le désert. Doucement, les bandes de roulement touchèrent le sable.
Gurney ouvrit le dôme transparent et se débarrassa de son harnachement. A l’instant même où l’usine s’arrêtait, il fut dehors, claqua le dôme derrière lui et s’élança au-delà du périmètre de sécurité de la chenille, suivi des cinq hommes de sa garde personnelle qui venaient de surgir de l’écoutille avant. Pendant ce temps, l’aile portante prenait de l’altitude et se mettait à tourner au-dessus de l’usine.
L’énorme chenille se remit presque aussitôt en marche et s’éloigna des rochers en direction de la tache sombre du gisement d’épice.
Un premier orni, puis deux autres gagnèrent le sol et dégorgèrent les hommes de Gurney avant de reprendre l’air.
Gurney, dans son distille, étira ses muscles. Il abaissa son masque facial. En cet instant, la puissance de sa voix, les ordres qu’il devait lancer comptaient plus que l’humidité qu’il allait perdre. Il s’élança entre les rochers, sondant le terrain sous ses pas : cailloux, sable, pois Senteur d’épice dans l’air.
Un site idéal pour une base de secours , se dit-il. Il serait peut-être avisé d’enterrer quelques provisions par ici.
Il se tourna vers ses hommes. C’étaient de bons éléments, même les nouveaux qu’il n’avait pas eu le temps de mettre à l’épreuve. Des hommes de valeur. Il était inutile de leur dire constamment ce qu’il fallait faire. Aucun lâche parmi eux, aucun bouclier susceptible d’attirer un ver qui viendrait ruiner leur récolte d’épice.
De l’endroit où il se trouvait, Gurney pouvait apercevoir la tache sombre du gisement, à quelque cinq cents mètres de là. La chenille l’avait presque atteint. Les ornis de couverture maintenaient leur altitude et Gurney hocha la tête, satisfait avant de reprendre son escalade.
A cet instant, la chaîne tout entière parut faire explosion.
Douze traits de flammes jaillirent en rugissant vers les ornis et l’aile portante. Dans le même temps, un fracas métallique s’éleva dans la direction de la chenille et les rochers, autour de Gurney, furent pleins de guerriers encapuchonnés.
Gurney eut le temps de penser : Par les cornes de la Grande Mère ! Ils utilisent des fusées ! Puis il y eut un homme devant lui, accroupi, le krys pointé. Deux autres se dressaient entre les rochers, à droite et à gauche. Seuls les yeux de l’homme étaient visibles, entre le capuchon et le voile couleur de sable, mais son attitude, la façon dont il se tenait accroupi étaient révélatrices. C’était un guerrier endurci et habile. Ses yeux entièrement bleus étaient ceux des Fremen du désert profond.
Gurney porta la main à son propre couteau sans quitter des yeux le krys de son adversaire. S’ils utilisaient des fusées, ils devaient disposer d’autres armes à projectiles. Il fallait être d’une extrême prudence. Rien qu’aux sons qu’il percevait, Gurney savait que leur couverture aérienne avait été en partie détruite. Il percevait aussi des grognements, des bruits de lutte derrière lui.
Le Fremen avait suivi le mouvement de sa main.
« Laisse ton couteau dans son étui. Gurney Halleck », dit-il.
Gurney hésita. Même au travers du filtre du distille, cette voix avait des accents familiers.
« Tu connais mon nom ? » dit-il.
« Tu n’as nul besoin d’un couteau avec moi, Gurney, dit le Fremen. (Il se redressa et glissa son krys sous sa robe.) Dis à tes hommes de cesser leur résistance inutile. »
Puis, l’homme rejeta son capuchon en arrière et ôta son filtre.
Gurney se figea. Il crut une seconde qu’il avait devant lui le fantôme du Duc Leto Atréides. Puis il comprit, lentement.
« Paul ! souffla-t-il. Puis, plus fort : Paul, est-ce vraiment toi ? »
« Ne crois-tu pas tes propres yeux ? » demanda Paul.
« Ils disaient que tu étais mort », dit Gurney, et sa voix était rauque. Il fit un pas en avant.
« Dis à tes hommes de se rendre », répéta Paul en tendant la main vers le bas des rochers.
A regret, Gurney se retourna. Il ne vit que quelques rares combattants. Les hommes du désert semblaient être de partout. La chenille s’était immobilisée, silencieuse. Des Fremen se tenaient debout sur la coque. Il n’y avait plus un seul orni dans le ciel.
« Cessez le combat ! lança Gurney. (Il prit son souffle et mit ses mains en porte-voix.) Ici Gurney Halleck ! Cessez le combat ! »
Lentement, les combattants se séparèrent. Des regards perplexes se tournèrent vers Gurney.
« Ce sont des amis ! » lança-t-il.
« Drôles d’amis, répondit une voix. La moitié des nôtres ont été tués ! »
« C’est une erreur. N’y ajoutez pas encore. »
Gurney fit de nouveau face à Paul et plongea son regard dans ses yeux bleus de Fremen.
Il y avait un sourire sur les lèvres de Paul mais son expression conservait une dureté qui rappela à Gurney le Vieux Duc, le grand-père de Paul. Puis il vit la peau tannée, le regard vigilant qui n’avaient jamais été d’un Atréides.
« Ils disaient que tu étais mort », répéta-t-il.
« Et de les laisser croire cela semble bien la meilleure des protections », dit Paul.
Et Gurney comprit que ce serait la seule excuse qu’il entendrait jamais, lui qui avait été abandonné à lui-même, lui qui avait cru son jeune Duc mort… Son jeune Duc, son ami. Et il se demanda ce qui restait en lui du garçon à qui il avait enseigné l’art du combat.
Paul fit un pas vers lui et vit son regard songeur.
« Gurney…»
Et ils furent dans les bras l’un de l’autre, se donnant de grandes bourrades dans le dos, éprouvant le contact réconfortant de leurs muscles.
« Satané gamin ! Satané gamin ! » répétait Gurney.
« Gurney ! Vieux Gurney ! » disait Paul.
Puis ils se séparèrent, se regardèrent. Gurney respira profondément. « Ainsi c’est à cause de toi que les Fremen sont devenus si habiles à la bataille. J’aurais dû comprendre. Ils font des choses que je pourrais faire moi-même. Si seulement j’avais compris… (Il secoua la tête.) Si tu m’avais averti, mon garçon. Rien n’aurait pu m’arrêter. Je serais arrivé en courant et…»
Le regard de Paul l’interrompit, un regard dur, calculateur. Il soupira : « Oui, bien sûr, et certains se seraient demandé pourquoi Gurney Halleck partait ainsi en courant et d’autres auraient fait plus que se poser des questions. Ils seraient venus chercher les réponses. »
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