— Vous m’envoyez là-bas pour que je n’intervienne pas dans vos affaires, hein !
— Ta-ra-ta-ta ! Vous ne pouvez pas intervenir. C’est l’Impossibilité qui rend tout le reste possible ! J’ai pourtant essayé de vous l’expliquer lors de votre arrivée. Mais ne vous inquiétez pas, vous avez toute l’éternité pour essayer ; c’est permis. Vous pourrez d’ailleurs revenir de temps en temps sans perte de temporalité. Et maintenant, volez ! J’ai du travail. » Foster reprit là où il avait été interrompu. Ah oui ! une pauvre âme temporellement connue sous le nom d’« Agnès Douglas ». Elle avait courageusement joué le rôle ingrat qui lui avait été assigné… mais maintenant il était terminé et elle avait besoin de repos pour se remettre des fatigues de la bataille… elle allait se débattre comme une belle diablesse et vomir de l’ectoplasme par tous les orifices.
Il faudrait l’exorciser après une tâche aussi rude ! Mais elles l’étaient d’ailleurs toutes. « Agnès Douglas » était une envoyée spéciale parfaitement sûre ; on pouvait lui confier les tâches les plus ingrates à condition qu’elles soient essentiellement virginales – la mettre dans un couvent, la brûler sur un bûcher. Cela marchait toujours.
Il n’éprouvait d’ailleurs envers les vierges que le respect professionnel pour le travail bien fait. Foster jeta un dernier coup d’œil à Mrs. Paiwonski. Ah ! en voilà une qu’il appréciait. Adorable petite Patricia ! Quelle bénédiction, quelle sainte lubricité…
Lorsque la porte se fut refermée derrière Patricia, Jill demanda : « Et maintenant, Mike ?
— Nous partons. Tu as lu des livres de psychopathologie, Jill ?
— Oui, mais certainement moins que toi.
— Tu connais le symbolisme du tatouage et des serpents ?
— Bien entendu. J’avais compris dès que j’ai vu Patty. J’espérais que tu trouverais un moyen.
— Je ne le pouvais pas tant que nous n’étions pas frères d’eau. Le sexe est une bonté utile, mais seulement s’il est partage et rapprochement. Je gnoque que si je le faisais sans me rapprocher… je me demande.
— Je gnoque que tu ne le pourrais pas, Mike. C’est une des raisons – des nombreuses raisons – pour lesquelles je t’aime.
— Je ne gnoque toujours pas « aimer », Jill. Je ne gnoque pas les « gens ». Mais je ne voulais pas que Pat parte.
— Fais-la rester avec nous. »
(L’attente, Jill.)
(Je sais.)
Il ajouta : « Je doute que nous pourrions lui offrir tout ce dont elle a besoin. Elle veut tout le temps se donner, à tout le monde. Les Rencontres Heureuses, les serpents et les jobards ne lui suffisent déjà pas. Elle veut s’offrir au monde entier sur un autel, et les rendre tous heureux. Cette Nouvelle Révélation… elle représente sans doute autre chose pour d’autres gens, mais pour elle, c’est cela.
— Oui, Mike chéri.
— Il est temps de partir. Choisis une robe et prends ton sac. Je vais nettoyer le reste. »
Jill aurait aimé prendre une ou deux choses, mais Mike voyageait toujours avec juste ce qu’il avait sur le dos, et semblait gnoquer que c’était également ce qu’elle préférait. « Je mettrai la jolie bleue. »
La robe flotta jusqu’à elle, s’arrêta au-dessus de ses bras levés et descendit la recouvrir. La fermeture à glissière se ferma. Des chaussures marchèrent vers elle ; elle entra dedans. « Je suis prête. »
Mike avait capté l’essence de sa pensée mais non le concept précis auquel elle s’appliquait, car il était trop éloigné des idées martiennes. « Jill ? Veux-tu que nous nous mariions ? »
Elle y réfléchit. « Nous sommes dimanche, c’est impossible.
— Demain, alors. Je gnoque que cela te plairait.
— Non, Mike.
— Pourquoi pas, Jill ?
— Cela ne nous rendrait pas plus proches, car nous avons déjà partagé l’eau. C’est vrai en martien comme en anglais.
— Oui.
— Il y a encore une autre raison, seulement en anglais. Je ne voudrais pas que Dorcas, Anne et Myriam – sans oublier Patty, aient l’impression que je veux les évincer.
— Je suis sûr qu’elles ne croiraient pas cela, Jill.
— Je préfère ne pas courir ce risque inutile. Inutile parce que tu m’as épousée il y a des siècles déjà, dans une chambre d’hôpital. » Elle hésita. « Mais il y a autre chose que tu pourrais faire pour moi.
— Oui, Jill ?
— Tu pourrais m’appeler de noms gentils ! Comme je le fais avec toi.
— Oui, Jill. Quels noms gentils ? »
Elle se jeta à son cou. « Mike, tu es l’homme le plus adorable que j’aie jamais rencontré… et la créature la plus exaspérante des deux planètes ! Ne t’inquiète pas. Appelle-moi simplement « petit frère » de temps en temps. Cela me fait délicieusement frémir.
— Oui, Petit Frère.
— Oh, Mike ! Dépêchons-nous de partir, avant que je ne t’entraîne de nouveau au lit. Rejoins-moi en bas ; je vais payer la note. » Elle sortit brusquement.
Ils prirent le premier Lévrier sans même regarder sa destination. Une semaine plus tard, ils s’arrêtèrent dans les Poconos, partagèrent l’eau pendant quelques jours, et partirent sans dire au revoir. C’était une coutume humaine à laquelle Mike était décidément réfractaire. Il ne l’utilisait qu’avec des étrangers.
Peu après, ils arrivèrent à Las Vegas. Mike jouait tandis que Jill tuait le temps comme girl dans une revue. Comme elle ne savait ni chanter ni danser, elle paradait en souriant, vêtue d’un invraisemblable chapeau et d’un carré de lamé ; telle était sa place dans la Babylone de l’Ouest. Elle préférait travailler pendant que Mike était occupé ; il réussissait toujours à lui procurer le job qu’elle convoitait. Et comme les casinos ne ferment jamais, Mike était occupé pour ainsi dire tout le temps.
Mike prenait garde à ne pas trop gagner, et respectait des limites fixées par Jill. Après avoir soutiré quelques milliers de dollars à chaque casino, il les remettait en jeu, pour ne jamais gagner gros. Puis, il travailla comme croupier, laissant la petite boule rouler sans intervenir, mais il observait les gens, essayant de gnoquer pourquoi ils jouaient. Il sentit un mobile intensément sexuel, et gnoqua qu’il était mauvais.
Jill considérait que les clients du grandiose restaurant-théâtre où elle travaillait étaient des jobards ; comme tels, ils ne comptaient pas. Mais elle s’aperçut avec surprise qu’elle prenait un plaisir actif à se produire devant eux. Elle examina ses sentiments avec une honnêteté toute martienne. Elle avait toujours pris plaisir à être regardée admirativement par les hommes qu’elle trouvait suffisamment attirants pour avoir envie de les toucher, et avait été dépitée de constater que la vue de son corps ne signifiait rien pour Mike, bien qu’il fût aussi dévoué à son corps qu’elle pouvait le rêver…
… lorsqu’il n’était pas préoccupé. Et même alors il faisait preuve de générosité, acceptait sans se plaindre qu’elle le tirât de sa transe et se montrait heureux, ardent et amoureux.
C’était une de ses curieuses particularités, comme son incapacité de rire. Jill conclut qu’elle aimait être visuellement admirée par des étrangers parce que c’était précisément cela que Mike ne lui donnait pas.
Mais, dans son honnêteté vis-à-vis d’elle même, elle balaya bientôt cette théorie. Les hommes qui composaient le public étaient pour la plupart trop vieux, trop gras, trop chauves pour qu’elle les trouvât attirants. Jill avait toujours considéré avec mépris les « vieux débauchés », mais pas tous les vieux hommes… Jubal pouvait la regarder, et même se servir d’un langage cru, sans jamais lui donner l’impression qu’il aurait aimé se trouver seul avec elle pour la peloter.
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