Frank Herbert - Les enfants de Dune

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Sur Dune, la planète des sables, les anciennes prophéties sont en train de s’accomplir. La transformation écologique s’accélère : l’eau, jadis plus coûteuse que l’or, coule à flots, et les jardins débordent sur le désert. Mais la prospérité nouvelle de Dune menace sa richesse, l’Epice de longévité et de prescience. Les durs Fremen, qui ont porté aux confins de l’univers humain la bannière et la parole de Muad’Dib, s’amollissent. Les vers géants se font rares. Et depuis que Paul est allé au désert pour y mourir selon la tradition Fremen parce qu’il a perdu la vue, ses prêtres ont construit sur son message de paix une théocratie autoritaire qui régit toute la galaxie.
C’est alors que se jouent les destins des enfants de Dune.
Leto et Ghanima, les jumeaux nés de Paul et de Chani, se sont éveillés à la conscience dans le ventre de leur mère et portent en eux les mémoires héréditaires d’innombrables générations. Il leur faut les dompter s’ils veulent échapper à l’Abomination redoutée par les Sœurs du Bene Gesserit à la possession par un spectre surgi de ce passé génétique.
Il leur faut aussi déjouer les complots s’ils veulent survivre, refondre l’univers humain ébranlé par le Jihad et régner à leur tour sur Dune.
Voici enfin le troisième volet de l’épopée la plus fascinante de toute la science-fiction moderne. Un grand roman historique situé dans l’avenir lointain.
Dans huit mille ans.

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A nouveau, les yeux de Halleck coururent sur le désert, sur ce champ argenté de rocs scintillants, sur les étendues vertes et grises où l’eau avait accompli sa magie. Tout soudain, cela lui apparaissait comme une fragile réserve d’énergie, de vie, menacée par un brusque changement, un glissement de la structure de la réalité.

Il connaissait l’origine de cette réaction. Là en bas, au niveau du désert, régnait une activité fébrile. Des barriques de truites mortes étaient roulées jusqu’à l’intérieur du sietch où leur eau serait distillée. Il y en avait des milliers. Elles avaient été attirées par une fuite d’eau. Et c’était cette fuite, précisément, qui avait précipité le cours des pensées de Halleck.

Par-delà les champs du sietch, le regard de Halleck fut attiré par le qanat d’où s’était échappée l’eau si précieuse. Il avait remarqué des trous dans les parois de pierre, il avait vu les fissures dans le contrefort par lesquelles l’eau s’était répandue dans le sable. Qui avait creusé ces trous ? Certains s’étendaient sur plus de vingt mètres de long dans les sections les plus vulnérables du qanat, aux endroits où des coulées de sable mou se perdaient dans les cuvettes où l’eau avait disparu. Ces cuvettes qui s’étaient emplies de centaines de truites en quelques instants. Les enfants du sietch étaient en ce moment occupés à les capturer et à les tuer.

Des équipes de réparation étaient à l’œuvre sur les parois rompues du qanat. D’autres arrosaient les plantes les plus fragiles avec ce qui restait de l’eau d’irrigation. La gigantesque citerne du Sietch de Tuek, approvisionnée par le piège-à-vent, avait été fermée à temps, empêchant l’eau de se perdre dans le qanat, et les pompes solaires déconnectées. L’eau d’irrigation provenait des dernières flaques, au fond du qanat, et de la citerne intérieure.

La chaleur du soleil augmentait d’instant en instant et le cadre de métal du sceau, derrière Halleck, émit des craquements en se dilatant. Paraissant obéir à ce simple son, les yeux de Halleck se portèrent sur la plus lointaine courbe du qanat, où l’eau s’était déversée le plus impudemment dans le désert. Les jardiniers optimistes du sietch avaient planté un arbre très particulier à cet endroit, et cet arbre était condamné si l’eau ne circulait pas à nouveau bientôt dans le qanat. Le regard de Halleck demeura longtemps fixé sur l’absurde feuillage du saule qui dansait dans le vent et le sable. L’arbre symbolisait cette nouvelle réalité dans laquelle il était pris, lui, tout comme Arrakis.

L’un et l’autre, nous sommes des étrangers , songea-t-il.

Il fallait bien longtemps aux gens du sietch pour prendre une décision, mais il savait qu’ils avaient de l’emploi pour ceux qui connaissaient l’art du combat. Les contrebandiers avaient toujours besoin d’hommes de valeur. Mais Halleck n’entretenait plus d’illusions à leur égard. Les contrebandiers de ce temps n’étaient plus ceux qui lui avaient donné asile des années auparavant, lorsqu’il avait fui, après le démantèlement du fief de son Duc. Non, ces gens appartenaient à une race nouvelle, prompte à chercher le profit.

Il regarda encore le saule absurde. Il lui vint alors l’idée que les tempêtes de cette réalité nouvelle pourraient bien disperser aux quatre horizons ces contrebandiers et leurs amis. Elles pourraient détruire Stilgar et sa fragile neutralité et balayer avec lui toutes les tribus qui demeuraient encore fidèles à Alia.

Ils avaient tous été colonisés. Halleck avait déjà assisté à cela, il avait connu ce goût amer sur son propre monde. Maintenant, il distinguait clairement ce qui se passait ici, il reconnaissait les maniérismes des Fremen des cités, le modèle des faubourgs, la façon dont les traits les plus caractéristiques du sietch rural étaient gommés jusque dans les refuges les plus secrets des contrebandiers, comme celui-ci. Les districts ruraux étaient devenus autant de colonies des centres urbains. Leurs populations avaient appris à supporter un joug matelassé, sous l’empire de la cupidité sinon des superstitions. Même ici, surtout ici, les gens avaient l’attitude des êtres soumis et non pas celle des hommes libres. Ils étaient méfiants, secrets, fuyants. Toute manifestation d’autorité provoquait le ressentiment – quelle que fût l’autorité : La Régente, Stilgar, le Conseil du Sietch…

Je ne peux pas leur faire confiance , se dit Halleck. Il ne pouvait que les utiliser et entretenir leur méfiance envers autrui. Ce qui était triste. C’en était fini des vieilles concessions mutuelles des hommes élevés dans la liberté. Les usages anciens avaient été ramenés à des paroles rituelles, et leur origine s’était perdue dans les mémoires.

Alia avait bien fait son travail, punissant ceux qui la combattaient, récompensant ceux qui la soutenaient, redistribuant les forces impériales au hasard tout en dissimulant les éléments majeurs de son pouvoir impérial. Les espions ! Par les dieux inférieurs, elle avait tant d’espions !

Halleck pouvait presque matérialiser le jeu mortel de mouvements et de parades par lequel Alia avait espéré maintenir l’opposition en situation de déséquilibre.

Si les Fremen restent assoupis , se dit-il, elle peut gagner.

Le sceau d’entrée s’ouvrit avec un craquement sonore. Un serviteur du nom de Melides apparut. Il était petit, avec un corps replet posé sur de grêles jambes d’araignée et le distille ne faisait qu’accentuer sa laideur.

« Vous avez été accepté », dit-il.

Halleck devina la ruse et la dissimulation dans sa voix. Il comprit qu’il ne bénéficierait ici que d’un asile de courte durée.

Jusqu’à ce que je puisse m’emparer d’un de leurs ornis , se dit-il.

« Transmets ma gratitude à ton Conseil », dit-il. Et il songea alors à Esmar Tuek, qui avait donné son nom à ce sietch. Esmar, mort par la trahison, aurait tranché la gorge de ce Melides au premier regard.

57

Tout chemin qui rétrécit les possibilités futures peut devenir un piège mortel. Les humains ne progressent pas dans un labyrinthe, ils explorent un horizon vaste empli d’occasions uniques. Seules des créatures vivant le nez enfoui dans le sable peuvent être attirées par la perspective rétrécie du labyrinthe. L’originalité et les différences produites par le sexe sont la protection vitale des espèces.

Manuel de la Guilde Spatiale .

« Pourquoi n’ai-je pas de chagrin ? » demanda Alia, s’adressant au plafond de sa chambre d’audience, une pièce qui ne mesurait que quinze pas de long sur dix de large. Les deux fenêtres, étroites et hautes, s’ouvraient sur les toits d’Arrakeen et, au-delà, sur le Mur du Bouclier.

Midi approchait et le soleil inondait la cuvette où se dressait la cité.

Alia baissa les yeux sur Buer Agarves. Il venait de Tabr et il était maintenant l’aide de Zia, qui commandait les gardes du Temple. Agarves était venu lui annoncer que Javid et Idaho étaient morts tous deux. Une meute de sycophantes, de gardes et de serviteurs avaient fait irruption en même temps qu’Agarves, et leur attitude révélait qu’ils étaient déjà au courant de son message. Les mauvaises nouvelles se propageaient vite sur Arrakis.

Agarves était un homme de petite taille, avec un visage rond peu courant chez les Fremen, aux traits presque infantiles. Il appartenait à cette nouvelle génération engraissée par l’eau. En cet instant, Alia voyait deux images distinctes d’Agarves : l’une lui offrait un visage sérieux, des yeux d’indigo opaque, une bouche au pli sévère. L’autre lui révélait un être sensuel et vulnérable, oh, si vulnérable ! Et des lèvres larges qui lui plaisaient tout particulièrement.

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