— « Il vous faut le tuer, seigneur. »
Je le regardai encore une fois.
— « N’est-il pas possible de conclure un traité de coexistence pacifique ? Inspection mutuelle, échanges culturels, et ainsi de suite ? »
Elle secoua la tête : « Il n’est pas assez intelligent pour cela. Il est ici seulement pour nous empêcher de descendre dans la vallée, aussi le problème est-il simple, il meurt ou bien c’est nous qui mourons. »
Je respirai profondément : « Princesse, j’ai pris une décision. L’homme qui obéit toujours à la loi est encore plus stupide que celui qui la viole tout le temps. Il ne faut plus se préoccuper de cette loi Sullivan locale. Il me faut un lance-flamme, un bazooka, quelques grenades et le plus gros canon de tout l’arsenal. Pouvez-vous me montrer où ils se trouvent ? »
Elle tisonna le feu. « Mon héros, » dit-elle lentement, « je suis vraiment désolée mais ce n’est pas aussi simple que cela. Avez-vous remarqué que, la dernière nuit, quand nous avons fumé, Rufo a allumé nos cigarettes à la flamme des bougies ? Qu’il n’a même pas utilisé un briquet ? »
— « Euh… non. Je n’y ai pas fait attention. »
— « Cette loi contre les armes à feu et contre les explosifs n’est pas une loi comme celles que l’on a sur la Terre. C’est plus que cela ; ici, il est impossible d’utiliser de pareilles choses. Autrement, de telles choses seraient utilisées contre nous. »
— « Vous voulez dire qu’elles ne fonctionneraient pas ? »
— « Elles ne marcheront pas. Peut-être faut-il plutôt dire qu’elles sont « ensorcelées ». »
— « Star. Regardez-moi. Peut-être croyez-vous aux sorts, moi pas. Et je vous parie à sept contre deux que les mitraillettes n’y croient pas non plus. J’ai l’intention de m’en assurer. Voulez-vous m’aider à défaire les bagages ? »
Pour la première fois elle parut réellement surprise : « Oh, seigneur, je vous prie de ne pas le faire ! »
— « Pourquoi pas ? »
— « Même un essai serait un désastre. Croyez-vous que je ne connais pas mieux que vous les hasards, les dangers et, oui, même les lois de cet univers ? Me croyez-vous quand je vous dis que je ne veux pas que vous mouriez, quand je vous dis avec solennité que ma propre vie et ma propre sécurité dépendent de vous ? Je vous en prie ! »
Il est impossible de ne pas croire Star quand elle parle de cette façon. Tout songeur, je dis alors : « Peut-être avez-vous raison, car autrement ce drôle de personnage qui est là porterait un mortier de six pouces sur le bras gauche. Oh ! Star, je viens d’avoir une meilleure idée. Pourquoi ne retournons-nous pas par le chemin que nous avons pris et ne nous installons-nous pas à l’endroit où nous avons attrapé du poisson ? En moins de cinq ans, nous y aurions une jolie petite ferme. En dix ans, avec tous les gens qui vivent dans le coin, nous aurions installé aussi un beau petit motel, avec une belle piscine et un golf miniature. »
Elle sourit à peine : « Seigneur Oscar, il n’est pas possible de revenir en arrière. »
— « Pourquoi pas ? Je retrouverais le chemin les yeux fermés. »
— « Mais eux aussi nous retrouveraient. Pas Igli, mais d’autres semblables seraient envoyés à notre poursuite, pour nous tuer. »
Je soupirai encore une fois.
— « Comme vous voudrez. De toute manière, ces affaires de motels au bord des grands routes sont aujourd’hui très risquées. Il y a une hache d’armes dans ce fourbi. Je peux peut-être lui couper les pieds avant qu’il me voie. »
Elle secoua de nouveau la tête, ce qui me fit lui demander : « Qu’est-ce qu’il y a encore ? Est-ce qu’il faut que je me batte contre lui pieds et poings liés ? Je croyais que tout ce qui coupe ou qui frappe, que tout ce qui n’utiliserait que la force de mes propres muscles était permis ? »
— « C’est permis, seigneur, mais cela ne marchera pas. »
— « Pourquoi pas ? »
— « Igli ne peut pas être tué. Voyez-vous, il n’est pas véritablement vivant. C’est une construction, qui a été rendue invulnérable dans ce seul but. Les épées, les couteaux et même les haches ne peuvent pas l’entamer ; ils rebondissent sur lui. Je l’ai déjà vu. »
— « Vous voulez dire que c’est un robot ? »
— « Pas si vous pensez à des pignons, à des rouages et à des circuits imprimés. Un Golem conviendrait davantage. L’Igli est une imitation de la vie, » ajouta Star. « Il vaut même mieux que la vie sous certains rapports puisqu’il n’y a pas de manière de le tuer, autant que je sache, du moins. Mais il est pire, aussi, car un Igli n’est ni intelligent ni bien bâti. Il a des idées, mais pas de jugement. Rufo travaille à ce problème maintenant ; il l’excite, le chauffe pour vous, il est en train de le rendre fou, de façon à ce qu’il soit incapable de penser. »
— « C’est donc ce qu’il fait ! Fichtre ! il va falloir que je pense à le remercier. Grâces lui soient rendues ! Mais, au fait, princesse, qu’attend-on de moi, maintenant ? »
Elle tendit les mains en avant comme si la réponse était évidente : « Quand vous serez prêt, j’abaisserai les défenses, et alors vous irez le tuer. »
— « Mais vous venez juste de dire…» Je m’interrompis. Quand on a supprimé la Légion Étrangère française, cela n’a pas laissé beaucoup de possibilités d’évasion pour les types romanesques. Umbopa se serait attaqué à ce problème ; Conan, certainement. Ou Hawk Carse. Ou même don Quichotte, car cette chose avait à peu près la taille d’un moulin à vent.
« Très bien, princesse. Allons-y. Ai-je le droit de cracher dans mes mains, ou bien n’est-ce pas loyal ? »
Elle sourit, mais sans laisser voir ses fossettes et me dit gravement : « Seigneur Oscar, nous allons cracher dans nos mains. Rufo et moi, nous allons combattre à vos côtés. Ou nous gagnons… ou nous mourons. »
Nous nous approchâmes alors de Rufo. Il faisait les oreilles d’âne à Igli et était en train de hurler : « Qui est ton père, Igli ? Ta mère était une vraie poubelle, mais qui était ton père ? Regardez-le, il n’a pas de nombril ! Pouah ! »
Igli répondit brusquement : « Ta mère, à toi, aboie ! Et tes sœurs sont vertes…» mais cela me parut bien faible. Il était évident que la remarque sur son absence de nombril l’avait touché au point sensible, car il était vrai qu’il n’en avait pas. Ce qui était normal, je pense.
Ce que je viens de citer ne représente pas exactement ce qu’ils ont dit l’un et l’autre, sauf la remarque sur le nombril. J’aimerais citer sans avoir à traduire car en langue névianne l’injure est un grand art équivalent à la poésie. En fait le fin du fin, en littérature, consiste à s’adresser (publiquement) à son ennemi en employant une forme poétique difficile, par distiques ou deux tercets, par exemple, après avoir trempé sa plume dans du vitriol.
Rufo continuait de plus belle :
— « Fais-t’en un, Igli. Enfonce-toi un doigt dans le ventre et fais-t’en un. Ils t’ont laissé sous la pluie et tu es parti. Ils ont oublié de te terminer. Est-ce que par hasard tu appellerais ça un nez ? » Et il me dit, à moi, en anglais : « Comment le voulez-vous, patron ? À point ou bien cuit ? »
— « Occupez-le pendant que j’étudie le problème. Il ne comprend pas l’anglais ? »
— « Pas un mot. »
— « Bien. Jusqu’où puis-je m’approcher sans risque ? »
— « D’aussi près que vous voulez, tant que les défenses ne sont pas ôtées. Mais, patron… Comprenez, je n’ai pas le droit de vous conseiller… mais quand nous nous mettrons au travail, ne le laissez pas vous attraper par les choses. »
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