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Robert Silverberg: Le grand silence

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Robert Silverberg Le grand silence

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Cette fois, ce n’est plus du cinéma ! Surgis de nulle part, les extraterrestres ont débarqué sur la Terre pour s’installer dans les principales métropoles du globe : Los Angeles, New York, Londres, Prague, Paris… Indiciblement beaux ou incroyablement hideux – les avis sont partagés sur les géants d’outre-espace –, refusant toute communication depuis les enclaves impénétrables où ils se sont enfermés, ils dirigent la planète selon des voies mystérieuses par l’intermédiaire de collaborateurs humains télépathiquement asservis. Communications, gouvernements et systèmes bancaires disparaissent, plongeant le monde dans le chaos. Coupures d’électricité à grande échelle, pandémies, déportations et exécutions massives sanctionnent les tentatives de rébellion. Les Entités, comme on les appelle, sont venues, Elles ont vu, Elles ont vaincu. Mais pas sur toute la ligne… En Californie du Sud, le vieux colonel Carmichael prêche la Résistance au milieu de son clan rassemblé dans les collines de Santa Barbara. Ex-hippie ou ex-militaire, escroc repenti ou musulman mystique, professeurs d’université ou informaticiens de haute volée, au fil des générations, la pittoresque tribu Carmichael va unir ses compétences pour bouter l’envahisseur hors de la Terre… A la fois étrange et familière, une chronique de cinquante ans d’occupation extraterrestre qui atteint à l’ampleur d’ .

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— Bien. S’il vous rappelle, informez-le de ce que je suis en train de faire. »

C’était bizarre, songea Carmichael, grisâtre essaie d’appeler Cindy. Le Colonel avait parfaitement réussi à passer sous silence l’existence de Cindy au cours des cinq ou six dernières années. Carmichael ne savait même pas que son frère avait le numéro de la galerie, pas plus qu’il ne comprenait pourquoi il avait tenu à appeler là-bas. Mais le Colonel avait peut-être une raison de s’inquiéter au sujet de son frère – une raison assez forte pour l’inciter, tous scrupules abolis, à parler à Cindy.

Il faudrait probablement que je lui téléphone tout de suite, songea Carmichael, avant que je remonte.

Mais il n’y avait plus de tonalité. Le réseau était probablement saturé. Tout le monde s’appelait d’un bout à l’autre de la conurbation. C’était déjà un miracle qu’il ait réussi à téléphoner comme il venait de le faire. Il raccrocha, décrocha, mais en vain. Et d’autres gens faisaient la queue devant la cabine.

« Allez-y, dit-il au premier de la file en s’écartant. Essayez. La ligne est coupée. »

II partit à la recherche d’un autre téléphone. De l’autre côté du hall de l’aérogare, il vit une foule rassemblée autour d’un quidam qui brandissait un téléviseur portable, une de ces miniatures avec un écran format carte postale. Carmichael se fraya un chemin à coups d’épaules et arriva juste au moment où le présentateur disait : « Les occupants des vaisseaux spatiaux de San Gabriel et d’Orange County ne se sont pas encore manifestés. Mais ce qui suit est le spectacle terrifiant que les habitants de Porter Ranch et de ses environs ont été stupéfaits de découvrir entre neuf heures et dix heures ce matin. »

Le minuscule écran montrait deux silhouettes tubulaires verticales, deux espèces d’énormes calmars marchant sur le bout des tentacules qui s’épanouissaient en grappes à leur extrémité inférieure. Leur peau violacée rappelait le cuir, des rangées de taches orange luminescentes brillaient sur leurs flancs. Ils avançaient avec précaution dans le parking d’un centre commercial, braquant à droite et à gauche des yeux jaunes et ronds, larges comme des soucoupes. Il y avait presque de la délicatesse dans leurs mouvements, mais Carmichael s’aperçut que les Étrangers étaient plus grands que les réverbères – ils avaient donc au moins quatre mètres de haut, voire cinq. Un bon millier de badauds les regardaient à une distance prudente et semblaient à la fois dégoûtés et irrésistiblement captivés.

De temps en temps, les créatures s’arrêtaient pour se toucher mutuellement le front en une sorte de communion. La caméra amorça un zoom mais l’image sauta et bascula violemment juste au moment où une langue élastique d’une longueur démesurée jaillissait de la poitrine d’un des Étrangers pour se lancer comme un fouet dans la foule.

Un instant, il n’y eut que le ciel sur l’écran ; puis Carmichael vit une jeune fille d’environ quatorze ans, frappée de stupeur, qui avait été ceinturée par cette langue géante et était hissée dans les airs pour être jetée comme un spécimen dans un étroit sac vert.

« Des groupes de ces créatures géantes ont sillonné le centre commercial pendant presque une heure, psalmodiait le présentateur. Il a été formellement confirmé qu’entre vingt et trente otages humains ont été capturés avant que les créatures retournent à leur véhicule, qui a maintenant décollé et rejoint le vaisseau principal à dix-huit kilomètres à l’ouest. Entre-temps, les pompiers mènent une lutte désespérée contre le feu attisé par les vents de Sauta Ana à proximité des trois sites d’atterrissage, et… »

Carmichael secoua la tête.

Los Angeles, songea-t-il, écoeuré. Seigneur ! Quand on pense que les gens d’ici sont assez bêtes pour aller voir de près les extraterrestres et se faire gober comme des mouches ! Ils croient peut-être que c’est du cinéma et que tout rentrera dans l’ordre après la dernière bobine.

Il se rappela alors que Cindy était le genre de personne à aller voir de près l’un de ces extraterrestres. Elle aussi était une native de Los Angeles, se dit-il. Sauf qu’elle était différente. En quelque sorte.

Il y avait toujours une longue file d’attente devant chaque cabine téléphonique. Furieux, les gens cognaient les combinés inutiles contre les parois. Ce n’était plus la peine de seulement songer à appeler Anson. Carmichael ressortit. Le DC-3 était chargé et prêt à décoller.

Au cours des quarante-cinq minutes qui s’étaient écoulées depuis qu’il avait quitté le front de l’incendie, le feu semblait avoir sensiblement progressé vers le sud. Cette fois, le chef de ligne lui fit larguer l’ignifugeant depuis l’échangeur de De Soto Avenue jusqu’à l’angle nord-est de Porter Ranch. Il vida prestement ses réservoirs et rentra une fois de plus à l’aéroport. Le Q.G. des opérations disposait peut-être d’un téléphone en état de marche dont on le laisserait se servir pour passer en vitesse des coups de fil à sa femme et à son frère.

Mais tandis qu’il traversait le terrain, un homme en uniforme militaire sortit du bâtiment du Q.G. et lui fit signe d’approcher. Carmichael le rejoignit, l’air sourcilleux.

« Mike Carmichael ? dit l’homme. Vous habitez à Laurel Canyon ?

— C’est exact.

— J’ai une nouvelle un peu désagréable à vous annoncer. Rentrons. »

Carmichael était tellement fatigué qu’il ne s’inquiéta même pas. « Vous pouvez peut-être me dire ça ici, non ? »

L’officier s’humecta les lèvres. Il paraissait très mal à l’aise. Il avait un de ces visages de bébé, lisse et sans expression, sans rien pour accrocher le regard à part des sourcils d’une grosseur incongrue qui rampaient sur son front comme deux chenilles velues. Il était très jeune, beaucoup plus jeune que ne l’aurait laissé prévoir son grade, et quelle que soit la nature de sa mission, il n’était manifestement pas à la hauteur.

« C’est à propos de votre femme, dit-il. Cynthia Carmichael. C’est bien le nom votre femme ?

— Accouchez \ dit Carmichael. Au fait, nom de Dieu !

— Elle est parmi les otages, monsieur Carmichael.

— Les otages ?

— Les otages de l’espace. Vous n’êtes pas au courant ? Les gens qui ont été capturés par les extraterrestres. »

Carmichael ferma un instant les yeux. Le souffle lui manqua comme s’il avait reçu un coup de pied en pleine poitrine. « Ça s’est passé où ? demanda-t-il. Ils ont fait comment pour l’embarquer ? »

Le jeune officier lui accorda un bizarre sourire forcé. « Sur le parking du centre commercial, à Porter Ranch. Vous avez peut-être vu quelques images à la télé… »

Carmichael hocha la tête, de plus en plus abasourdi. Cette fille soulevée de terre par la langue élastique démesurée, emportée dans les airs puis jetée dans le sac vert…

Et Cindy… Cindy… ?

« Vous avez vu le moment où les créatures se déplaçaient ? Tout à coup, elles ont commencé à attraper des gens et c’a été la débandade générale…

— Non. J’ai dû rater ce passage.

— C’est à ce moment que les extraterrestres l’ont prise. Elle était au premier rang quand ils ont commencé à taper dans le tas. Elle aurait peut-être eu une chance de leur échapper, mais elle a attendu un tout petit peu trop longtemps. Elle s’est mise à courir, d’après ce qu’on m’a dit, puis elle s’est arrêtée… elle s’est retournée pour les regarder… elle leur a peut-être crié quelque chose… et alors… bon…

— Ils l’ont cueillie au vol ?

— Je suis obligé de vous dire que c’est exact, monsieur. » Son visage de bébé s’efforçait d’avoir l’air tragique. « Je suis absolument navré, monsieur Carmichael.

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