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Robert Silverberg: Le grand silence

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Robert Silverberg Le grand silence

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Cette fois, ce n’est plus du cinéma ! Surgis de nulle part, les extraterrestres ont débarqué sur la Terre pour s’installer dans les principales métropoles du globe : Los Angeles, New York, Londres, Prague, Paris… Indiciblement beaux ou incroyablement hideux – les avis sont partagés sur les géants d’outre-espace –, refusant toute communication depuis les enclaves impénétrables où ils se sont enfermés, ils dirigent la planète selon des voies mystérieuses par l’intermédiaire de collaborateurs humains télépathiquement asservis. Communications, gouvernements et systèmes bancaires disparaissent, plongeant le monde dans le chaos. Coupures d’électricité à grande échelle, pandémies, déportations et exécutions massives sanctionnent les tentatives de rébellion. Les Entités, comme on les appelle, sont venues, Elles ont vu, Elles ont vaincu. Mais pas sur toute la ligne… En Californie du Sud, le vieux colonel Carmichael prêche la Résistance au milieu de son clan rassemblé dans les collines de Santa Barbara. Ex-hippie ou ex-militaire, escroc repenti ou musulman mystique, professeurs d’université ou informaticiens de haute volée, au fil des générations, la pittoresque tribu Carmichael va unir ses compétences pour bouter l’envahisseur hors de la Terre… A la fois étrange et familière, une chronique de cinquante ans d’occupation extraterrestre qui atteint à l’ampleur d’ .

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— Je le vois bien », dit froidement Carmichael. Un abîme s’était ouvert en lui. « Et moi, donc !

— Il y a un détail sur lequel tous les témoignages concordent : elle ne s’est pas affolée, elle n’a pas crié. On peut vous faire repasser la séquence sur le magnétoscope du Q.G. Elle a été très courageuse lorsque ces monstres se sont emparés d’elle. Comment diable peut-on avoir du courage quand une créature de cette taille vous tient dans le vide ? Ça, je n’arrive pas à le comprendre, mais je dois vous assurer, monsieur, que les témoins de la scène…

— Moi, je comprends très bien. »

II se détourna. Une fois de plus, il ferma un instant les yeux et inspira profondément l’air chaud au goût de fumée.

Ça cadre avec le personnage, se dit-il. Ça ne m’étonne pas du tout.

Bien sûr qu’elle avait foncé droit sur le site d’atterrissage dès que l’information avait commencé à circuler ! Ça ne faisait pas un pli. S’il y avait quelqu’un à Los Angeles pour vouloir approcher ces créatures, les voir de ses propres yeux, et peut-être essayer de leur parler et d’entrer d’une manière quelconque en communication avec elles, c’était bien Cindy. Pas question qu’elle ait peur d’elles. Elle n’avait jamais donné l’impression d’avoir peur de quoi que ce soit. Et de toute façon, c’était les êtres supérieurs et pleins de sagesse venus d’HESTEGHON, pas vrai ? Carmichael n’avait aucune peine à l’imaginer au milieu de cette foule affolée sur le parking : rayonnante, pleine d’assurance, en admiration devant ces Étrangers colossaux, ne cessant de leur sourire même au moment de sa capture.

D’un côté, Carmichael était très fier d’elle. Mais il était terrifié à la pensée qu’elle se trouvait à leur merci.

« Elle est dans le vaisseau ? s’enquit-il. Celui que j’ai vu posé dans ce champ juste à la périphérie de la zone de feu ?

— Oui.

— Y a-t-il déjà eu des messages émanant des otages ? Ou des extraterrestres, d’ailleurs ?

— Je regrette ne pas être en mesure de divulguer ces informations.

— J’ai risqué ma peau tout l’après-midi à essayer d’éteindre ce feu, ma femme est prisonnière dans ce vaisseau spatial et vous n’êtes pas en mesure de divulguer la moindre information ? »

L’officier le gratifia d’un sourire de poisson mort. Carmichael essaya de se convaincre que ce n’était qu’un gosse, comme presque tout le monde désormais : les flics, les profs de lycée, les maires, les gouverneurs – allez savoir pourquoi. Un gosse à qui on avait confié un sale boulot.

« J’ai reçu des instructions pour vous informer de la situation de votre femme, dit le gosse au bout d’un moment. Je ne suis pas autorisé à dire quoi que ce soit à qui que ce soit sur quelque autre aspect de cet événement. Secret défense.

— Certes. »

Et l’espace d’un instant, Carmichael se retrouva en pleine guerre ; il essayait de découvrir des indications – n’importe quoi – sur les mouvements des Viêt-cong dans la zone où il était censé patrouiller le lendemain, et il se heurtait au même sourire de poisson mort, à la même austère et absurde invocation du secret militaire. La tête lui tournait et des noms qu’il avait oubliés depuis des décennies défilaient dans son esprit : Phu Loi, Bin Thuy, Tuy Hoa, Song Bo. La baie de Cam Ranh. La forêt de U Minh. Des images du passé flottaient autour de lui. Les trottoirs graisseux de la rue Tu Do à Saigon, les putes maigrichonnes qui souriaient dans chaque bar, les soldats de l’ARV* (*Armée de la République du Viêt-nam) en béret rouge planqués partout. Des plages de sable blanc bordées de cocotiers comme sur un dépliant touristique ; un couple de petits Viets avec une jambe chacun clopinant sur des béquilles improvisées ; des cabanes dévorées par les flammes dans le Delta. Et les officiers instructeurs qui vous mentent, qui n’arrêtent pas de vous mentir. Son passé enseveli évoqué par un seul sourire malsain.

« Pouvez-vous au moins me dire si on a des informations ?

— Je regrette, monsieur, je ne suis pas autorisé à…

— Je refuse de croire, insista Carmichael, que cet engin est posé dans ce champ et qu’on ne fait absolument rien pour entrer en contact avec…

— Un centre de commandement a été installé, monsieur Carmichael, et certains efforts se poursuivent. Je ne peux vous en dire plus. Je peux vous dire que Washington est impliqué. Mais des informations plus détaillées, à ce stade… »

Un autre gosse, un genre de boy-scout au teint rosé, arriva au pas de course.

« Ton avion est chargé et paré à décoller, Mike !

— Ah oui », fit Carmichael.

Le feu ! Cette saloperie de feu ! Il avait presque réussi à l’oublier. Presque.

Il hésita un moment, déchiré entre des responsabilités contradictoires. Puis il dit à l’officier : « Écoutez, il faut que je retourne sur le front de l’incendie. Je veux regarder cette vidéo où Cindy se fait capturer, mais c’est impossible maintenant. Vous pouvez rester un peu plus longtemps ?

— C’est-à-dire que…

— Disons une demi-heure. Je dois faire un largage d’ignifugeants. Ensuite, je veux que vous me montriez la bande. Et après, que vous m’emmeniez jusqu’à ce vaisseau spatial et me fassiez franchir le cordon de sécurité, pour que je puisse parler moi-même à ces créatures. Si ma femme est à bord, j’ai bien l’intention de la sortir de là.

— Je ne vois pas comment il serait possible qu’on…

— Alors, essayez de voir, l’interrompit Carmichael. Je vous retrouve ici dans une demi-heure, d’ac ? »

Elle n’avait jamais rien vu d’aussi beau. Elle n’avait jamais imaginé que pareille beauté puisse exister. Si leur vaisseau spatial avait cette allure, songea Cindy, que pouvait-il en être de leur planète d’origine ?

On se serait cru dans un palais. Les Étrangers leur avait fait prendre un escalier roulant qui s’élevait en traversant une série apparemment infinie de chambres spiralées. Chaque chambre avait au moins sept mètres de hauteur, comme on pouvait s’y attendre, vu la taille des Étrangers eux-mêmes. Les murs brillants s’effilaient vers le haut en zigzags surréels avant de se rejoindre très loin pour former une sorte de voûte gothique, mais sans la rigidité du vrai gothique. Il y avait ça et là une soudaine torsion, un bond imprévu, un changement de direction d’une rapidité époustouflante, comme si les plafonds étaient en partie dans une dimension et en partie dans une autre.

Et l’intérieur n’était qu’une gigantesque galerie de miroirs. Chaque surface sans exception était un scintillant catadioptre de métal. Dans toutes les directions, on voyait se répercuter un million d’images chatoyantes qui s’éloignaient vertigineusement à l’infini. Il n’y avait en apparence aucune source d’éclairage proprement dite, rien qu’une illumination diffuse qui sortait de nulle part, à croire qu’elle était générée par l’interaction de toutes ces surfaces métalliques miroitantes.

Et les plantes… les fleurs…

Cindy adorait les plantes. Bizarres, de préférence. Le jardin de leur petite maison de Laurel Canyon étouffait sous les fougères arborescentes, les orchidées, les cactées, les broméliacées, les aloès, les philodendrons, les palmiers miniatures et toutes sortes d’autres merveilles achetées chez les horticulteurs bien approvisionnés de Los Angeles. Il y avait un spécimen en fleur chaque jour de l’année. « Mon jardin de science-fiction », disait-elle. Elle avait choisi les plantes pour leur exotisme tropical, leurs tiges en tire-bouchon, leurs feuilles épineuses, leurs couleurs insolites et bigarrées. Toutes les formes, les textures et les teintes imaginables y étaient représentées.

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