— Pourquoi cela ?
— Elle pourrait se déplacer à une grande vitesse et pourtant ne pas changer de position apparente dans le ciel. Dans un seul cas.
— Ne me dites pas qu’elle vibre d’avant en arrière. »
Insigna fit la moue. « Je vous en prie, Janus, ne plaisantez pas. Ce n’est pas drôle. Némésis se dirige peut-être plus ou moins en droite ligne vers le Soleil. Elle ne se déplacerait pas latéralement, ce qui explique qu’elle ne semble pas changer de position, mais elle viendrait droit vers nous ; droit vers le système solaire. »
Pitt la regarda d’un air surpris. « Avez-vous des preuves ?
— Pas encore. Il n’y avait pas de raison d’étudier le spectre de Némésis quand nous l’avons repérée. C’est seulement après avoir remarqué la parallaxe qu’il aurait été logique d’effectuer une analyse spectrale, mais je ne m’y suis pas attelée. Rappelez-vous, vous m’avez mise à la tête du projet de la Grande Sonde et vous m’avez dit de ne plus m’occuper de Némésis. Je n’aurais pas pu établir une analyse spectrale rigoureuse à l’époque. Mais soyez certain que je vais m’y mettre maintenant.
— J’ai encore une question à vous poser. Est-ce que Némésis n’aurait pas également l’air immobile si elle s’éloignait du Soleil ? On a une chance sur deux pour qu’il en soit ainsi, non ?
— L’analyse spectrale va nous le dire. S’il y a déplacement vers le rouge, elle s’éloigne ; s’il y a déplacement vers le violet, elle se rapproche.
— Mais c’est trop tard, maintenant. Si nous analysons son spectre, il nous dira qu’elle vient vers nous parce que c’est nous qui allons vers elle.
— D’accord, je n’étudierai pas le spectre de Némésis, mais celui du Soleil. Si Némésis se dirige vers le Soleil, alors le Soleil se rapproche de Némésis et nous pouvons en déduire notre mouvement propre. En outre, nous sommes en train de ralentir et, dans un mois ou deux, nous nous déplacerons si lentement que notre mouvement ne modifiera pas sensiblement les données spectroscopiques. »
Pendant une demi-minute, Pitt, perdu dans ses pensées, regarda fixement son bureau impeccablement rangé tandis que sa main caressait lentement le terminal d’ordinateur. Puis il dit, sans se donner la peine de lever la tête : « Non. Il n’est pas nécessaire d’effectuer ces observations. Je veux que vous cessiez de vous faire du souci à ce sujet, Eugenia. Ce n’est pas un problème, oubliez tout cela. »
D’un geste de la main, il lui fit signe de sortir.
Le soupir d’Insigna passa en sifflant dans ses narines pincées par la colère. Elle dit d’une voix basse et rauque : « Vous avez du toupet, Janus ! Comment osez-vous …
— Oser quoi ? » Pitt fronçait les sourcils.
« Oser me faire signe de sortir comme si j’étais une perfovérif ! Si je n’avais pas trouvé Némésis, nous ne serions pas ici. Vous n’auriez pas été élu gouverneur. Némésis est à moi. J’ai mon mot à dire.
— Némésis n’est pas à vous. Elle est à Rotor. Je vous prie de sortir et de me laisser travailler tranquille.
— Janus, dit-elle en élevant la voix, je répète : selon toute probabilité, Némésis se dirige vers notre système solaire.
— Et moi, je répète que les probabilités sont d’une sur deux. Le système solaire n’est plus notre système solaire. Ne me dites pas que Némésis va heurter le Soleil. Je ne vous croirais pas. Depuis cinq milliards d’années qu’il existe, jamais le Soleil n’a été heurté, ni même effleuré par une étoile. Les probabilités d’une collision stellaire, même dans les régions les plus peuplées de la Galaxie, sont infinitésimales. Je ne suis pas astronome, mais je sais au moins cela.
— Les probabilités ne sont que des probabilités, Janus. La collision n’est pas probable, mais elle est concevable. Et surtout, même sans collision, il suffit que Némésis passe à proximité du Soleil pour produire des catastrophes sur Terre.
— A proximité ? Combien ?
— Je ne sais pas. Il faudrait faire pas mal de calculs.
— D’accord. Vous suggérez qu’il faut que nous prenions la peine de faire les observations et les calculs nécessaires ; mais si nous découvrons qu’il y a un danger potentiel pour le système solaire, que ferons-nous ? Nous les avertirons ?
— Eh bien, oui. Que faire d’autre ?
— Et comment les avertir ? Nous n’avons pas l’hyper-communication et, même si nous l’avions, ils n’ont aucun moyen de recevoir des hyper-messages. Si nous envoyions un signal lumineux quelconque — lumière, micro-ondes, neutrinos modulés — il mettrait deux ans à atteindre la Terre, en admettant que nous ayons un faisceau assez puissant et assez cohérent. Supposons le problème résolu : comment saurions-nous qu’ils ont reçu le message ? Par leur réponse, qui prendrait aussi deux ans pour nous parvenir. Et quel serait le résultat final de cet avertissement ? Il faudrait leur dire où est Némésis et ils sauraient d’où vient l’information. Notre silence n’aurait servi à rien ; notre projet d’établir autour de Némésis une civilisation homogène, protégée de toute influence extérieure, s’effondrerait.
— Quel qu’en soit le coût, Janus, comment pourrions-nous ne pas les avertir ?
— Et si Némésis se dirige vraiment vers le Soleil, combien lui faudra-t-il de temps pour atteindre le système solaire ?
— Environ cinq mille ans. »
Pitt se carra dans son fauteuil et regarda Insigna avec une sorte d’amusement ironique. « Cinq mille ans. Seulement cinq mille ans ? Écoutez, Eugenia, l’homme a mis le pied sur la Lune, pour la première fois, il y a deux cent cinquante ans. Et nous voici en route pour l’étoile la plus proche. Où en serons-nous dans deux siècles et demi ? Nous pourrons atteindre n’importe quelle étoile. Et dans cinq mille ans, cinquante siècles, nous peuplerons la Galaxie — sauf présence d’autres formes de vie intelligente. Dans cinq mille ans, si le système solaire se trouvait vraiment en danger, la technologie permettrait de l’envoyer tout entier dans l’espace, avec ses colonies et sa population planétaire, vers d’autres étoiles. »
Insigna secoua la tête. « Je ne crois pas, Janus, que les progrès technologiques permettent un jour de vider le système solaire d’un geste de la main. Transporter, sans catastrophe, sans pertes énormes, des milliards de personnes, cela prendrait une longue préparation. S’ils doivent se trouver en danger de mort dans cinq mille ans, il faut qu’ils le sachent maintenant. Ce n’est pas trop tôt pour élaborer un plan.
— Vous avez bon cœur, Eugenia, et je vais vous offrir un compromis. Supposons qu’il nous faille cent ans pour nous établir ici et nous stabiliser suffisamment pour être en sécurité. A ce moment-là, nous étudierons la trajectoire de Némésis et, si c’est nécessaire, nous avertirons le système solaire. Ils auront encore près de cinq mille ans pour se préparer. Un petit délai d’un siècle ne leur sera sûrement pas fatal. »
Insigna soupira. « Est-ce votre vision de l’avenir ? L’humanité se chamaillant sans fin à propos des étoiles ? Chaque petit groupe essayant d’établir sa suprématie sur celle-ci ou celle-là ? Des haines, des suspicions et des conflits sans fin, comme nous en avons eu sur Terre depuis des milliers d’années, mais exportés dans toute la Galaxie pendant plusieurs milliers d’années ?
— Eugenia, je n’ai pas de vision de l’avenir. L’humanité sera ce qu’elle voudra. Elle se chamaillera peut-être, comme vous dites, ou bien elle instaurera un empire galactique. Je ne peux pas dicter à l’humanité ce qu’elle fera, et je n’ai pas l’intention de la façonner. Personnellement, je n’ai à m’occuper que d’une seule colonie spatiale et il faudra un siècle pour l’installer en orbite autour de Némésis. A ce moment-là, vous et moi, nous serons morts et c’est à nos descendants qu’incombera la tâche d’avertir le système solaire, si cela s’avère nécessaire. J’essaie d’être logique, Eugenia, et de contrôler mes émotions. Vous aussi, vous êtes raisonnable. Réfléchissez. »
Читать дальше
Конец ознакомительного отрывка
Купить книгу