2013 se profile déjà, une année encore moins encourageante avec le déclenchement de l’opération Serval dans le Nord-Mali. Les tergiversations continuent pour récupérer les otages à partir de Tombouctou où Abou Zeid est installé momentanément. Il a même récupéré à cette occasion l’ensemble de la flotte de camions de Sogea-Satom, abandonnés sur les bases de Niafunké et Goundam, qui n’avaient pas été évacués malgré nos avertissements… Camions, véhicules et engins, il y en avait trente-cinq en tout. Abou Zeid a voulu nous les revendre pour la modique somme de deux millions d’euros. Le comble !
Cependant cette année marque une prise de conscience chez moi. Je comprends enfin que le « club de novembre » est plus fort que moi. Il nous empêchera constamment d’obtenir le feu vert présidentiel qui nous manque. Alors je réfléchis à une autre stratégie. Si ce club nous met des bâtons dans les roues, c’est peut-être pour le faire lui-même ? Dans ce cas-là, laissons-le faire et nous verrons bien. Les deux directeurs sûreté n’y croient pas. Ils savent que les prétentions du club sont virtuelles et peut-être en savent-ils encore plus… Quoi qu’il en soit, il faut tenter le coup. Au préalable, il faut rendre disponible les éléments de négociation que je fournirai donc à la cellule de crise des Affaires étrangères, ainsi qu’au nouveau patron de la DGSE, Bernard Bajolet, que je rencontre très rapidement avant le mois de juillet. Le directeur est furieux à l’issue de mon récit qui ne correspond en rien aux informations portées à sa connaissance et promet de « s’occuper des parasites » avant de me recontacter.
Le 4 juillet 2013, les familles des otages seront reçues à l’Élysée par le président de la République, entouré de tous les conseillers et hauts fonctionnaires concernés par le dossier des otages. Ordre nous a été donné de nous mettre en retrait et de rester en réserve de la République, afin de laisser une filière différente faire ses preuves sur le sujet. Nous nous étions assurés auprès des deux présidents de groupe que cela ne remettrait pas en cause les engagements pris. Les sociétés en étaient d’accord. Les conditions acceptées par AQMI et les entreprises étaient désormais connues des autorités compétentes. Il ne restait plus qu’à organiser la récupération. Simple formalité réalisée par le service Action en compagnie du guide désigné, c’est-à-dire le Nigérien Mohamed Akotey, président du conseil d’administration d’Imouraren SA, la filiale d’Areva au Niger.
À la surprise générale, la récupération des otages qui aurait dû intervenir très rapidement ne se fait pas… Ça coince ! Le chef d’AQMI ne veut négocier qu’avec la filière qui a été acceptée et validée par son organisation depuis le mois de décembre 2010 et qui a entretenu le fil de négociation jusqu’à ce jour… Ce coup de Trafalgar inattendu est un juste retour de bâton face à toutes les manipulations souterraines qui auront ébranlé notre filière et ma réputation pendant ces trois années.
Mohamed Akotey réalise plusieurs allers et retours infructueux auprès des émissaires d’AQMI. Rien n’y fait. De juillet à septembre, la fébrilité du « club de novembre » est à son comble. Des missions de contact seront envoyées clandestinement auprès de ma filière pour leur proposer de me lâcher, les retourner et leur demander de travailler à leur profit en appuyant Akotey. Des émissaires des ambassades françaises de Bamako et Ouagadougou osent même leur déclarer : « Nous sommes la France. Jean-Marc, c’est aussi la France. Jean-Marc et nous, c’est pareil… »
Rien n’y fait. Les combattants d’AQMI restent fidèles à leur engagement et attendent les ordres de Xavier Huillard, le seul habilité à nous donner l’ordre de sortir de la réserve demandée par le président de la République. C’est le coup de grâce. Cet ordre ne viendra jamais. Je dois finalement prendre la décision, seul, de surseoir à cette réserve et de donner l’ordre à ma filière de contacter AQMI pour les informer que nous ne viendrons plus jamais et qu’ils doivent livrer les otages à Mohamed Akotey qui est porteur du feu vert qui nous a toujours été refusé.
Les quatre derniers otages sont ainsi libérés peu de temps après, fin octobre 2013. Nous n’apparaitrons dans aucune déclaration et les autorités françaises réécriront l’histoire. Soudain, celui qui est allé les récupérer deviendra aussi celui qui aura pris contact, celui qui aura parlementé, celui qui aura obtenu les termes de négociation et le précieux feu vert de libération dont on nous privait depuis de très nombreux mois…
Si des personnes malintentionnées n’avaient pas saboté mon travail de négociateur, j’aurais pu libérer les derniers captifs deux ans plus tôt ! La situation d’Abou Zeid était tellement précaire que nous avions « une autoroute » devant nous… Certains otages ne souhaitent pas remuer le passé, mais plusieurs veulent découvrir l’histoire secrète derrière la ligne officielle. Ils ont besoin de connaître la vérité pour continuer à avancer, pour tourner la page définitivement.
L’intention de ce livre, c’est de dénoncer le business des otages. Je ne veux pas me faire passer pour un ange ou un chevalier blanc. J’ai fait beaucoup de choses dans ma carrière — certaines dont je suis plus ou moins fier, par exemple concernant la situation où se trouve aujourd’hui Jean-Pierre Bemba —, mais j’ai toujours agi pour mon pays, pour la France, au nom de l’intérêt supérieur de la Nation. Chaque fois que j’ai pris la route à la rencontre d’Abou Zeid pour tenter d’obtenir la libération de ceux qu’il avait capturés, mon cœur était pur.
Au-delà de cette image d’Épinal, j’avais la certitude que l’opération était réalisable. Alors je pris soin d’inscrire mon action dans un cadre contractuel avec les deux grands groupes français. La parole et les mandats des deux présidents me suffisaient. En réalité, si je n’en étais pas revenu vivant, on se serait contenté d’une belle cérémonie en oubliant les engagements pris.
Mes relations avec Areva et Vinci, aujourd’hui, ne sont plus aussi bonnes qu’elles devraient l’être, au vu des risques pris et du dénouement heureux de l’histoire. Ces deux grands groupes travaillent dans des zones à risques, exposés à des situations d’insurrection ou de terrorisme. Leurs employés font sans cesse face à ces risques de plus en plus présents et concrets. Nous sommes très peu nombreux à savoir réellement comment fonctionne un terroriste intégriste. Nous sommes très peu nombreux à pouvoir offrir une sécurité crédible à ces grands chantiers. Parler en utilisant des termes un peu techniques et convaincre des décideurs qui ne savent rien du fonctionnement d’un djihadiste est une chose. Sécuriser en est une autre. Or, on me dit que je ne travaillerai plus jamais pour ces deux géants que j’ai osé défier.
Désormais, les dirigeants d’Areva et Vinci sont en colère de ne pas m’avoir écouté. En colère d’avoir été trompés, en colère d’avoir pris la mauvaise décision.
Un de leurs proches m’avouera plus tard : « Ils se sont fait blouser et ils ont la haine… Cette haine, c’est toi qui la payes, car tu es le plus petit et le plus faible. De plus, honorer leurs engagements c’est admettre leur erreur, ce qu’ils ne veulent justement pas ! » Contrairement au malheureux commandant Galopin, je ne suis pas mort dans cette négociation et mes amis touaregs réclament avec ma société ce qui avait été convenu. La négociation amiable a duré près de trois années et n’a pas fonctionné.
Xavier Huillard a tout d’abord offert la moitié de ce qui était prévu en oubliant les Touaregs et Areva a laissé croire pendant plusieurs mois qu’il était disposé à régler la facture en nous promenant d’avocats en services d’État pour finalement nous reprocher de ne pas être satisfaits et de nous plaindre. Nous ne souhaitions pas déposer plainte. Nous désirions seulement que les engagements soient tenus et que les choses rentrent dans l’ordre. Areva, Vinci ou Sogea-Satom nous doivent de l’argent et une reconnaissance — cela ne représente pas grand-chose pour eux mais ils s’enfoncent dans une logique insensée pour protéger des gens qui, au final, ne les défendront pas.
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