— Le chargeait-elle dans la salle de bains de Marty ?
— Oui, c’était le plus pratique. Elle était très souvent dans cette partie de la maison, vous savez.
— Mmh-mmh. Vous disiez que M me Ellerton était devenue absente… ?
— Un peu absente, corrige aussitôt Alderson. Elle était le plus souvent égale à elle-même. Très affectueuse, comme Marty.
— Mais quelque chose la tracassait.
— Oui, je pense.
— La tourmentait.
— Eh bien…
— Cela correspond-il à peu près à l’époque où elle a reçu cette console de jeux ?
— Je suppose que oui, maintenant que vous me le dites, mais pourquoi diable jouer au solitaire sur une petite tablette rose l’aurait-il déprimée ?
— Je ne sais pas », dit Hodges, et il écrit DÉPRIMÉE sur son carnet.
Il trouve qu’il y a une différence significative entre être absent et être déprimé.
« La famille a-t-elle été prévenue ? demande Alderson. Elles n’avaient pas de proches en ville mais je sais qu’elles avaient des cousins dans l’Ohio, et dans le Kansas aussi, je crois. Vous devriez trouver leurs noms dans le carnet d’adresses de Jan.
— La police doit s’en charger à l’heure où je vous parle », dit Hodges, mais il appellera Pete plus tard pour s’en assurer. Ça agacera sûrement son ancien coéquipier mais Hodges s’en fiche. Il perçoit de la détresse dans chaque mot que prononce Nancy Alderson et il veut la réconforter du mieux qu’il peut. « Puis-je vous poser une dernière question ?
— Oui, bien sûr.
— Auriez-vous aperçu quelqu’un en train de traîner autour de la maison, par hasard ? Quelqu’un qui n’aurait pas eu de raison particulière de se trouver là ? »
Holly hoche vigoureusement la tête.
« Pourquoi me demandez-vous cela ? » Alderson semble étonnée. « Vous ne pensez quand même pas qu’un intrus… ?
— Je ne pense rien, répond doucement Hodges. J’aide seulement la police à cause des réductions d’effectifs de ces dernières années dans notre ville. Grosses coupes budgétaires.
— Je sais, c’est terrible.
— On m’a remis une liste de questions et ce sera la dernière.
— Eh bien, je n’ai vu personne. Je l’aurais remarqué s’il y avait eu quelqu’un, à cause du passage couvert entre la maison et le garage. Le garage est chauffé, donc c’est là qu’il y a le cellier et la buanderie. Je suis constamment en train de faire des va-et-vient et je peux voir la rue depuis le passage. Il n’y a pratiquement personne qui monte jusque-là, parce que la maison de Jan et Marty est la dernière au bout de Hilltop Court. Après, c’est rien que le cul-de-sac. Bien sûr, il y a le facteur et UPS, et parfois FedEx, mais à part ça, sauf si quelqu’un se perd, nous avons le bout de la rue pour nous.
— Donc vous n’avez vu absolument personne ?
— Non, monsieur, personne du tout.
— Pas même l’homme qui a donné la console à M me Ellerton ?
— Non, il l’a abordée à Ridgeline Foods. C’est l’épicerie qu’il y a en bas de la colline, au croisement de City Avenue et de Hilltop Court. Il y a un Kroger environ un kilomètre plus loin, dans le centre commercial de City Avenue, mais Janice ne voulait pas y aller, même si c’est un peu moins cher. Elle disait qu’on devrait toujours acheter local si… si… » Elle lâche brusquement un gros sanglot. « Mais peu importe, n’est-ce pas, elle n’ira plus jamais faire les courses, à présent ! Oh, je ne peux pas le croire ! Jan n’aurait jamais fait de mal à Marty, pour rien au monde !
— C’est très triste, dit Hodges.
— Je vais devoir rentrer aujourd’hui. » Nancy Alderson se parle maintenant à elle-même plus qu’elle ne parle à Hodges. « Il se peut que leurs proches mettent du temps à arriver, et il faut bien que quelqu’un s’occupe de prendre les dispositions nécessaires. »
Dernier devoir d’une femme de ménage, se dit Hodges, et il trouve cette pensée à la fois touchante et horriblement sinistre.
« Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé, Nancy. Je vais vous laisser et…
— Bien sûr, il y avait ce vieux monsieur, là, dit Alderson.
— Quel vieux monsieur ?
— Je l’ai vu plusieurs fois devant le 1588. Il se garait le long du trottoir et il restait là, debout, à regarder la maison. Celle qui se trouve de l’autre côté de la rue, un peu plus bas. Vous n’avez peut-être pas remarqué mais elle est à vendre. »
Hodges avait remarqué, oui, mais il ne dit rien. Il ne veut pas l’interrompre.
« Une fois, il a traversé la pelouse pour aller regarder par la baie vitrée — c’était avant la dernière grosse tempête. Il voulait peut-être acheter. » Elle lâche un petit rire mouillé. « L’espoir fait vivre, comme disait ma mère. Parce qu’il n’avait pas du tout l’air du genre de bonhomme qui peut s’offrir une maison pareille.
— Non ?
— Oh non. Il était toujours en pantalon de travail — vous savez, vert, dans le genre Dickies — et sa parka était rafistolée avec du ruban adhésif. Et puis sa voiture avait l’air très vieille, il y avait des couches d’apprêt par endroits. Mon mari appelait ça le vernis des pauvres.
— Vous ne vous rappelez pas la marque de la voiture, par hasard ? »
Il tourne une page de son carnet et écrit DATE DERNIÈRE GROSSE TEMPÊTE ? sur une page vierge. Holly regarde et acquiesce.
« Non, désolée, je ne m’y connais pas en voitures. Je ne me souviens même pas de la couleur, juste de ces taches de sous-couche. Monsieur Hodges, vous êtes sûr qu’il ne s’agit pas d’une erreur ? »
Elle le supplie presque.
« J’aimerais pouvoir vous dire que oui, Nancy. Vous avez été d’une grande aide. »
Dubitative : « Vous trouvez ? »
Hodges lui donne son numéro, celui de Holly et celui du bureau. Il lui dit de téléphoner au cas où quoi que ce soit lui reviendrait. Il lui rappelle que la presse pourrait s’intéresser à l’affaire parce que Martine a été paralysée au City Center en 2009, et qu’elle ne doit en aucun cas se sentir obligée de répondre aux journalistes ou aux reporters télé.
Quand il coupe la communication, Nancy Alderson s’est remise à pleurer.
Il emmène Holly déjeuner au Panda Garden, à quelques rues de leur bureau. Il est encore tôt et ils ont la salle presque pour eux. Holly ne mange plus de viande et commande un chow mein végétarien. Hodges adore l’émincé de bœuf épicé mais son estomac ne le supportera pas alors il se décide pour un agneau Ma La. Ils mangent tous les deux avec les baguettes : Holly parce qu’elle sait s’en servir et Hodges parce qu’elles le ralentissent et diminuent les risques d’incendie abdominal post-prandial.
Holly attaque :
« La dernière grosse tempête a eu lieu le 19 décembre. Les services météo ont enregistré vingt-cinq centimètres de neige à Government Square et trente-cinq à Branson Park. Pas non plus énorme mais il n’en est tombé que dix lors de la seule autre tempête de cet hiver.
— Six jours avant Noël. À peu près le moment où on a donné le Zappit à Janice Ellerton, si les souvenirs d’Alderson sont bons.
— Penses-tu que l’homme qui le lui a donné et celui qui regardait la maison à vendre ne font qu’un ? »
Hodges capture un bout de brocoli. C’est censé être bon pour la santé, comme tous les légumes qui ont mauvais goût.
« Je ne pense pas qu’Ellerton aurait accepté quoi que ce soit d’un type à la parka rafistolée au ruban adhésif. Je n’exclus pas la possibilité mais ça me paraît peu probable.
— Mange, Bill. Si je termine avant toi, j’aurai l’air d’un glouton. »
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