— J’ai fait un rêve bizarre, parvint-il à articuler.
— Tu sors du bloc opératoire, expliqua Bérangère. Tu es hors de danger.
Il tenta un mouvement, en fut empêché par le plâtre qui enserrait ses deux bras.
— Tes bras seuls ont été touchés, tout le reste est en parfait état, ajouta la jeune femme d’une voix qui en disait long sur la peur des dernières heures.
Une voix retentit dans la pièce :
— On peut dire que tu reviens de loin, fiston !
Escoffier sourit. La voix d’Arrosteguy qui se tenait debout, au pied du lit, le ramena définitivement dans le présent. Lui revinrent à l’esprit la traque de Morlaix dans les souterrains, leurs échanges, cette impression de fin du monde et la vision d’un homme englouti sous des tonnes de pierres.
— Et Morlaix ? demanda Damien.
— Il a été enseveli sous l’éboulement, répondit Bérangère. Saint-Hubert n’a pas autorisé les fouilles pour retrouver le corps, il craignait une autre catastrophe. Ils ont coulé du béton par-dessus pour consolider le sous-sol et calmer les riverains qui commençaient à s’inquiéter sérieusement. Morlaix repose sous une chape de plusieurs mètres de hauteur, à trente mètres de profondeur.
— À l’heure qu’il est, il passe l’oral devant saint Pierre et je ne donne pas cher de sa peau, fit Arrosteguy.
— Il ira griller en enfer, renchérit la jeune femme.
Damien regarda à tour de rôle Bérangère et le procédurier, heureux d’être entouré de ces deux êtres qui peut-être le comprenaient le mieux. Elle, le couvant des yeux, Arrosteguy dissimulant son émotion derrière un sourire faussement enjoué.
— Tu peux te vanter de nous avoir fichu une sacrée trouille. Quelle idée t’est passée par la tête ?
— Qu’est-il arrivé ?
— La planque de Morlaix était en fait une carrière qui en cachait une autre en dessous. Le secteur avait été mal remblayé. En piétinant la zone, vous avez accéléré le processus d’éboulement. Les tirs de la brigade d’intervention ont provoqué des fissures qui ont aggravé les choses. Quand tout s’est effondré, Morlaix a été aspiré vers le fond, des blocs de pierre l’ont recouvert en quelques secondes.
— On t’a retrouvé au bord du gouffre sous la pierraille, enchaîna Bérangère. Tu étais inconscient. D’après Saint-Hubert, nous avons évité une catastrophe de justesse. En dehors de toi, deux hommes de la brigade d’intervention ont été légèrement blessés.
Tout s’ordonnait dans son cerveau. Il distinguait parfaitement les bruits de l’hôpital de ceux plus lointains de la ville, deux mondes parmi tant d’autres qui s’emboîtaient dans sa conscience. Il était partagé entre plusieurs sentiments, le bonheur d’être vivant, sain et sauf, primant sur tous les autres. Ses vieux cauchemars n’avaient plus la même emprise sur lui, il se sentait libéré, paisible. C’était un peu comme s’il avait traversé le Styx. Cependant, un doute tapi au fond de lui, un sentiment d’inachevé, l’empêchait de laisser entièrement libre cours à la joie de sa renaissance. Il regarda ses amis et dit :
— J’aurais préféré voir le cadavre de Morlaix de mes propres yeux, m’assurer qu’il était définitivement mort.
— Dors sur tes deux oreilles, fiston, notre dessinateur ne fera plus de mal à personne, tu entends, à personne.
*
Au même instant, sur le parvis de la basilique du Sacré-Cœur, un homme avançait en titubant. Les touristes se retournaient sur sa silhouette voûtée et sans âge, le prenant pour un clochard ivre. Ses loques déchirées inspiraient la pitié. Une couche de poussière terreuse recouvrait son visage que deux yeux effarés éclairaient. Un filet de sang séché tachait ses mains. Il avait l’air de sortir de l’enfer.
Un enfant se retourna sur son passage et constata :
— Vous avez vu, on dirait qu’il porte un masque.