Elle ne répondit pas.
— J'y suis peut-être allé un peu trop fort la dernière fois, dit-il. Tu m'as semblé un peu KO.
Elle le gratifia d'un sourire en coin, et il sentit une inquiétude soudaine l'envahir. Cette nana est cinglée. Il faut que je m'en souvienne. Il se demanda si elle allait pouvoir s'adapter.
— On va dans la chambre ? demanda Lisbeth Salander.
D'un autre côté, si ça se trouve elle ne demande que ça... Il lui passa le bras sur l'épaule, comme il l'avait fait à leur rendez-vous précédent pour l'amener dans la chambre.
Aujourd'hui je vais y aller plus doucement avec elle. Pour créer la confiance. Il avait déjà préparé les menottes sur la commode. Ce n'est que lorsqu'ils furent devant le lit que maître Bjurman se rendit compte que quelque chose clochait.
C'était elle qui l'amenait au lit, pas le contraire. Il s'arrêta et la regarda avec perplexité sortir quelque chose de sa poche qu'il crut d'abord être un téléphone portable. Puis il vit ses yeux.
— Dis bonne nuit, dit-elle.
Elle lui enfonça la matraque électrique dans l'aisselle gauche et fit partir 75 000 volts. Quand ses jambes commencèrent à se dérober sous lui, elle approcha son épaule et mobilisa toutes ses forces pour le faire tomber sur le lit.
CÉCILIA VANGER SE SENTAIT vaguement ivre. Elle avait décidé de ne pas appeler Mikael Blomkvist. Leur liaison avait pris la tournure d'un vaudeville saugrenu, avec une mise en scène obligeant Mikael à faire des tours et des détours pour pouvoir venir la rejoindre sans se faire remarquer. Elle se comportait comme une adolescente amoureuse incapable de maîtriser son désir. Sa conduite ces dernières semaines avait été absurde.
Le problème est qu'il me plaît beaucoup trop, pensat-elle. Je vais en souffrir. Elle passa un long moment à souhaiter que Mikael Blomkvist ne soit jamais venu à Hedeby.
Elle avait débouché une bouteille de vin et bu deux verres en solitaire. Elle alluma la télé pour Rapport et essaya de comprendre l'état du monde mais se lassa immédiatement des commentaires rationnels qui expliquaient pourquoi le président Bush devait écraser l'Irak sous les bombes. Elle s'installa alors dans le canapé du salon avec le livre de Gellert Tama sur ce fou qui à Stockholm avait tué onze personnes pour des motifs racistes. Elle ne réussit à lire que quelques pages avant d'être obligée de poser le bouquin. Le sujet l'avait tout de suite fait penser à son père. Elle se demanda sur quoi il fantasmait.
La dernière fois qu'ils s'étaient vus vraiment était en 1984, quand elle les avait accompagnés, lui et Birger, à une chasse au lièvre au nord de Hedestad, pour que Birger teste un nouveau chien de chasse — un Hamilton stôvare dont il était le propriétaire depuis peu. Harald Vanger avait soixante-treize ans et elle avait fait son possible pour accepter sa folie, cette folie qui avait transformé son enfance en cauchemar et influencé toute sa vie adulte.
Cécilia n'avait jamais été aussi fragile qu'à cette époque-là de sa vie. Son mariage avait tourné en eau de boudin trois mois auparavant. Femme battue — l'expression était si banale. Pour elle, cela avait pris la forme d'une maltraitance légère mais continuelle. Des gifles, des bourrades et des menaces lunatiques. Se retrouver par terre dans la cuisine. Les éclats de son mari étaient toujours inexplicables et les coups rarement suffisamment forts pour qu'elle soit réellement blessée. Il évitait de frapper avec le poing. Elle s'était adaptée.
Jusqu'au jour où, soudain, elle avait rendu les coups et où il avait totalement perdu le contrôle. Pour finir, pris de folie, il l'avait frappée dans le dos à coups de ciseaux.
Pris de remords, paniqué, il l'avait conduite à l'hôpital, où il avait inventé une histoire délirante d'accident invraisemblable que l'ensemble du personnel aux urgences avait percée à jour à l'instant même où il avait prononcé les mots. Elle avait eu honte. On lui avait fait douze points de suture et elle était restée deux jours à l'hôpital. Ensuite Henrik Vanger était venu la chercher et l'avait emmenée chez lui. Elle n'avait plus jamais parlé avec son mari.
Ce jour ensoleillé, trois mois après la rupture du mariage, Harald Vanger avait été d'une humeur enjouée, presque aimable. Mais soudain, en pleine forêt, il avait commencé à invectiver grossièrement sa fille en faisant des commentaires vulgaires sur sa vie et ses mœurs sexuelles, et il avait craché qu'il allait de soi qu'une pute comme elle était incapable de garder un homme.
Son frère n'avait même pas remarqué que chaque mot du père l'atteignait comme un coup de fouet. Birger Vanger s'était contenté de rire et de poser un bras autour de ses épaules, et de désarmer la situation à sa façon en sortant un commentaire du genre on sait bien comment sont les bonnes femmes. Il avait lancé un clin d'œil insouciant à Cécilia et proposé à Harald Vanger de se tenir à l'affût sur un petit relief du terrain.
Il y avait eu une seconde, un instant glacial, où Cécilia Vanger avait regardé son père et son frère et soudain pris conscience qu'elle tenait un fusil de chasse chargé à la main. Elle avait fermé les yeux. C'était ça, ou bien lever le fusil et tirer les deux cartouches. Elle avait envie de les tuer, tous les deux. Puis elle avait laissé tomber l'arme à ses pieds, avait tourné les talons et était retournée à l'endroit où ils avaient garé la voiture. Elle les avait abandonnés sur place et était rentrée seule à la maison. Depuis ce jour, elle n'avait parlé avec son père qu'en de très rares occasions, quand les circonstances l'y avaient obligée. Elle lui avait refusé l'accès de sa maison et elle n'était jamais allée le voir chez lui.
Tu as gâché ma vie, pensa Cécilia Vanger. Tu as gâché ma vie dès mon enfance.
A 20 h 30, Cécilia Vanger souleva le combiné du téléphone, appela Mikael Blomkvist et lui demanda de venir.
MAÎTRE NILS BJURMAN souffrait le martyre. Ses muscles étaient hors d'usage. Son corps semblait paralysé. Il n'était pas certain d'avoir perdu connaissance, mais il était désorienté et n'avait aucun souvenir des événements. Lorsqu'il reprit lentement le contrôle de son corps, il se retrouva nu sur le dos dans son lit, les poignets bloqués dans des menottes et les jambes douloureusement écartées. Il avait des brûlures aux endroits où les électrodes avaient touché son corps.
Lisbeth Salander avait tiré le fauteuil en rotin jusqu'au bord du lit et, ses boots sur le lit, attendait patiemment en fumant une cigarette. Quand Bjurman essaya de parler, il comprit que sa bouche était fermée avec du ruban adhésif large. Il tourna la tête. Elle avait ouvert et retourné un des tiroirs de la commode.
— J'ai trouvé tes joujoux, dit Salander.
Elle brandit une cravache et farfouilla dans la collection de godemichés, de bâillons et de masques en caoutchouc répandus par terre.
— Ça sert à quoi, ce machin ? Elle montra un énorme bijou anal. Non, n'essaie pas de parler — je n'entends pas ce que tu dis. C'est ça que tu as utilisé sur moi la semaine dernière ? Il suffit que tu hoches la tête. Elle se pencha vers lui, se réjouissant d'avance de sa réponse.
Nils Bjurman sentit soudain une terreur froide lui labourer la poitrine, et il perdit le contrôle. Il tira sur ses menottes. Elle avait pris le dessus. Impossible. Il était dans l'impossibilité totale de faire quoi que ce soit quand Lisbeth Salander se pencha et plaça le bouchon anal entre ses fesses.
— Alors comme ça t'es un sadique, constata-t-elle. T'aimes bien enfoncer des trucs dans les gens, pas vrai ? Elle le fixa. Son visage était un masque inexpressif. Sans lubrifiant, c'est ça ?
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