Autre chose encore. Elle se pencha en avant si bien que son visage ne fut qu'à quelques centimètres du sien. Si jamais tu me touches encore, je te tuerai. Tu peux me croire sur parole.
Maître Bjurman la crut soudain. Il n'y avait aucune place pour du bluff dans ses yeux.
— Souviens-toi que je suis folle.
Il hocha la tête.
Elle le fixa d'un regard circonspect.
— Je ne crois pas que nous deviendrons bons amis, toi et moi, dit Lisbeth Salander d'une voix grave. Là, maintenant, t'es en train de te réjouir que je sois suffisamment idiote pour te laisser vivre. Tu crois que t'as le contrôle bien que tu sois mon prisonnier, parce que tu t'imagines que la seule chose que je puisse faire si je ne te tue pas, c'est te relâcher. Alors t'es bourré d'espoir de pouvoir bientôt reprendre ton pouvoir sur moi. N'est-ce pas ?
Il secoua la tête, soudain pris d'un mauvais pressentiment.
— Je vais te faire un cadeau pour que tu te souviennes toujours de notre accord.
Elle afficha un sourire en coin, grimpa sur le lit et s'agenouilla entre ses jambes. Maître Bjurman ne comprit pas ce qu'elle voulait dire mais il eut peur soudain.
Puis il vit l'aiguille dans sa main.
Il remua violemment la tête et essaya de se tortiller jusqu'à ce qu'elle appuie un genou dans son entrejambe, comme avertissement.
— Ne bouge pas. C'est la première fois que j'utilise ces instruments.
Elle travailla avec concentration pendant deux heures. Quand elle eut fini, il ne chouinait plus. Il semblait plutôt se trouver dans un état proche de l'apathie.
Elle descendit du lit, inclina la tête et regarda son œuvre d'un œil critique. Ses talents artistiques avaient leurs limites. Les lettres partaient dans tous les sens, ça donnait une petite touche impressionniste. Elle avait utilisé des couleurs rouge et bleue en tatouant le message, c'était écrit en lettres capitales sur cinq lignes qui couvraient tout son ventre, depuis les tétins jusqu'au-dessus de son sexe : JE SUIS UN PORC SADIQUE, UN SALAUD ET UN VIOLEUR.
Elle ramassa les aiguilles et remit les tubes de couleur dans son sac à dos. Puis elle alla se laver les mains dans la salle de bains. Elle se rendit compte qu'elle se sentait considérablement mieux en revenant dans la chambre.
— Bonne nuit, dit-elle.
Avant de partir, elle ouvrit l'une des menottes et plaça la clé sur le ventre de Bjurman. Elle emporta le DVD et le trousseau de clés de Bjurman en partant.
CE FUT ALORS QU'ILS PARTAGEAIENT une cigarette peu après minuit que Mikael raconta qu'ils n'allaient pas pouvoir se voir pendant quelque temps. Cécilia tourna vers lui un visage étonné.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda-t-elle.
Il prit un air penaud.
— Lundi prochain je vais en prison purger mes trois mois.
Les explications supplémentaires étaient superflues. Cécilia resta silencieuse un long moment. Elle se sentit tout à coup prête à fondre en larmes.
DRAGAN ARMANSKIJ AVAIT COMMENCÉ à perdre espoir lorsque Lisbeth Salander frappa soudain à sa porte le lundi après-midi. Il ne l'avait pas vue depuis qu'il avait annulé l'enquête sur l'affaire Wennerström au début du mois de janvier, et chaque fois qu'il avait essayé de l'appeler, soit elle n'avait pas répondu, soit elle avait raccroché en expliquant qu'elle était occupée.
— Tu n'aurais pas du boulot pour moi ? demanda-t-elle sans s'embarrasser de salutations inutiles.
— Salut. Sympa de te voir. Je croyais que tu étais morte ou quelque chose du genre.
— J'avais deux trois petites choses à tirer au clair.
— C'est souvent que tu as des choses à tirer au clair.
— C'était une urgence. Je suis de retour. Est-ce que tu as du boulot pour moi ? Armanskij secoua la tête.
— Désolé. Pas en ce moment.
Lisbeth Salander le contempla d'un œil tranquille. Un moment plus tard, il prit son élan et se mit à parler.
— Lisbeth, tu sais que je t'aime bien et que je te donne du boulot si je peux. Mais tu es restée invisible pendant deux mois et j'ai eu un tas de boulots. C'est simple, on ne peut pas compter sur toi. J'ai été obligé de faire appel à d'autres pour pallier ton absence et en ce moment je n'ai rien pour toi.
— Augmente le volume.
— Quoi ?
— La radio.
...le magazine Millenium. L'annonce que le vétéran de l'industrie Henrik Vanger est devenu copropriétaire de Millenium et qu'il siégera au CA arrive le jour même où l'ancien gérant responsable de la publication, Mikael Blomkvist, commence à purger ses trois mois de prison pour diffamation de l'homme d'affaires Hans-Erik Wennerström. Erika Berger, directrice de Millenium, a précisé lors de la conférence de presse que Mikael Blomkvist reprendra son poste de rédacteur en chef dès sa sortie de prison.
— Merde alors, fit Lisbeth Salander tellement bas qu'Armanskij ne put rien entendre, il vit seulement ses lèvres bouger. Elle se leva brusquement et se dirigea vers la porte.
— Attends. Tu vas où ?
— Chez moi. J'ai deux trois trucs à vérifier. Appelle quand tu auras quelque chose pour moi.
LA NOUVELLE QUE Millenium avait reçu du renfort sous la forme de Henrik Vanger était un événement bien plus important que ce que Lisbeth Salander avait prévu. Aftonbladet avait déjà publié sur le Web une longue dépêche provenant de l'agence de presse TT qui dressait le bilan de la carrière de Henrik Vanger et qui constatait que c'était la première fois en plus de vingt ans que le vieux magnat de l'industrie se montrait au public. L'annonce qu'il entrait dans le capital de Millenium semblait tout aussi inimaginable que de voir soudain les vieux conservateurs Peter Wallenberg ou Erik Penser virer leur cuti pour s'associer à ETC ou devenir sponsors d' OrdfrontMagasin.
L'événement était si énorme que l'édition de 19 h 30 de Rapport en fit un des premiers sujets et y consacra trois minutes. Erika Berger était interviewée à une table de conférence à la rédaction de Millenium. Tout à coup l'affaire Wennerström était redevenue d'actualité.
— Nous avons commis l'année dernière une grave erreur qui a eu pour conséquence que notre journal a été condamné pour diffamation. C'est évidemment une chose que nous regrettons... et nous avons l'intention de revenir sur cette affaire à un moment propice.
— Qu'entendez-vous par revenir sur l'affaire ? demanda le reporter.
— Je veux dire que nous allons raconter notre version des éléments, ce que nous n'avons pas encore fait.
— Mais vous auriez pu le faire au cours du procès.
— Nous avons choisi de ne pas le faire. Mais nous allons bien entendu garder notre ligne éditoriale critique.
— Est-ce que cela veut dire que vous vous en tenez toujours à la version pour laquelle vous avez été condamnés ?
— Je n'ai pas de commentaire à apporter sur ce sujet.
— Vous avez licencié Mikael Blomkvist après le jugement.
— Vous vous trompez totalement. Lisez notre communiqué de presse. Il avait besoin d'un break et d'une pause bien méritée. Il reviendra comme responsable de la publication plus tard cette année.
La caméra fit un panoramique à travers la rédaction tandis que le reporter énumérait quelques données sur l'histoire mouvementée de Millenium, magazine connu pour son indépendance impertinente. Mikael Blomkvist n'était pas en mesure de donner ses commentaires. Il venait d'être incarcéré au centre de détention de Rullåker, situé au bord d'un petit lac en pleine forêt à une dizaine de kilomètres d'Östersund, dans le Jämtland.
Au passage, Lisbeth Salander nota que Dirch Frode apparaissait soudain dans l'entrebâillement d'une porte à la rédaction, tout au bord de l'image télévisée. Elle fronça les sourcils et se mordit pensivement la lèvre inférieure.
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