— Mais enfin, c'est quoi, cette histoire ? demanda Christer Malm.
Malou Eriksson agita la main pour leur dire de se taire et augmenta le volume des informations de 7 heures.
Deux personnes, un homme et une femme, ont été abattus par balle tard hier soir dans un appartement à Enskede. La police confirme qu'il s'agit d'un double meurtre. Aucune des victimes n'est connue de la police. On ignore tout du mobile. Notre reporter Hanna Olofsson est sur place.
La police a été avertie peu avant minuit que des coups de feu avaient été tirés dans un immeuble de Björneborgsvägen, ici à Enskede. Selon un voisin, plusieurs coups de feu avaient été tirés dans l'appartement. Aucune explication n'a été avancée et personne n'a encore été arrêté pour le meurtre. La police a apposé les scellés sur l'appartement et l'enquête technique est en cours.
— C'est bref, dit Malou en baissant le son.
Puis elle fondit en larmes. Erika alla lui passer le bras sur l'épaule.
— Putain, quelle horreur ! dit Christer Malm sans s'adresser à quelqu'un en particulier.
— Asseyez-vous, dit Erika Berger d'une voix ferme. Mikael...
Mikael raconta encore une fois ce qui s'était passé pendant la nuit. D'une voix monocorde, utilisant une prose neutre de journaliste, il décrivit sa découverte de Dag et de Mia.
— Putain, quelle horreur, répéta Christer Malm. Mais c'est complètement dingue.
Malou fut de nouveau débordée par ses sentiments. Elle se remit à pleurer sans essayer de cacher ses larmes.
— Je suis désolée, dit-elle.
— Moi aussi, j'ai envie de pleurer, tu sais, dit Christer.
Mikael se demanda pourquoi il n'arrivait pas à pleurer. Il ressentait seulement un grand vide, presque comme s'il était anesthésié.
— Ce que nous savons pour le moment n'est pas énorme, dit Erika Berger. Il faut qu'on discute de deux choses. Premièrement, on est à trois semaines d'imprimer le travail de Dag Svensson. Est-ce qu'on publie toujours ? Peut-on le publier ? Voilà une chose. La deuxième est une question dont Mikael et moi avons discuté pendant le trajet pour venir ici.
— Nous ne savons pas pourquoi ces meurtres ont eu lieu, dit Mikael. Il peut s'agir d'un élément privé dans les vies de Dag et de Mia, ou ça peut être l'acte d'un dément. Mais nous ne pouvons pas exclure que ça ait un rapport avec leur travail.
Un silence tomba autour de la table. Mikael finit par s'éclaircir la gorge.
— Donc, on est sur le point de publier un sujet vachement indigeste, où on donne les noms de personnes qui ne tiennent absolument pas à être repérées dans ce contexte. Dag a commencé à les interroger il y a deux semaines. Mon idée est donc que l'une de ces...
— Attends, dit Malou Eriksson. On dénonce trois flics dont un travaille à la Säpo et un aux Mœurs, plusieurs avocats, un procureur et un juge, et quelques gros dégueulasses de journalistes. Tu veux dire que l'un d'entre eux aurait commis un double meurtre pour empêcher la publication ?
— Non, oui, je ne sais pas, dit Mikael pensivement. Ils ont pas mal à perdre, mais spontanément je dirais qu'ils ne sont pas très malins s'ils pensent pouvoir étouffer une histoire comme celle-ci en tuant un journaliste. Mais on dénonce aussi un certain nombre de souteneurs et même si on utilise des noms fictifs, il n'est pas très difficile de comprendre qui ils sont. Certains ont déjà été condamnés pour violence.
— D'accord, dit Christer. Mais tu décris ces meurtres comme de véritables exécutions. Si j'ai bien compris ce qu'essaie de dire Dag Svensson dans son livre, il s'agit de types pas particulièrement futés. Sont-ils capables de commettre un double meurtre et de s'en tirer ?
— Faut-il être futé pour utiliser un flingue ? demanda Malou.
— Là on est en train de spéculer sur ce qu'on ne connaît pas, coupa Erika Berger. Mais on se doit de poser la question. Si les articles de Dag — ou la thèse de Mia d'ailleurs — étaient la raison de ces meurtres, il faut qu'on renforce la sécurité ici à la rédaction.
— Et une troisième question, dit Malou. Est-ce qu'on doit communiquer ces noms à la police ? Qu'est-ce que tu leur as dit cette nuit ?
— J'ai répondu à toutes les questions qu'ils m'ont posées. J'ai parlé du sujet de Dag, mais on ne m'a pas interrogé sur les détails et je n'ai mentionné aucun nom.
— On devrait sans doute le faire, dit Erika Berger.
— Ce n'est pas évident, répondit Mikael. On peut à la rigueur leur donner une liste de noms, mais qu'est-ce qu'on fait si la police nous demande comment on a obtenu ces noms ? On n'a pas le droit de révéler les sources qui tiennent à rester anonymes. Cela concerne plusieurs des filles avec qui Mia a parlé.
— Quel merdier ! dit Erika. On est de retour à la première question — est-ce qu'on publie ?
Mikael leva une main.
— Attendez. On peut voter, mais il se trouve que je suis le gérant responsable de la publication et, pour la première fois de ma vie, j'ai l'intention de prendre une décision tout seul. La réponse est non. On ne peut pas publier ce numéro. Il est totalement impossible de s'en tenir à ce qui était prévu.
Le silence s'abattit autour de la table. Il continua :
— Ou, pour être plus clair, j'ai très envie de publier mais nous serons sans doute obligés de reformuler pas mal de choses. C'étaient Dag et Mia qui répondaient de la plus grande partie de la documentation et le sujet était bâti sur le fait que Mia pensait porter plainte contre les personnes que nous nommerions. Elle était experte en la matière. Le sommes-nous ?
La porte d'entrée claqua et Henry Cortez se tint soudain à la porte.
— C'est Dag et Mia ? demanda-t-il hors d'haleine.
Tout le monde hocha la tête.
— Putain de merde. C'est complètement fou !
— Comment l'as-tu appris ? demanda Mikael.
— On était sorti hier soir, ma copine et moi, et on rentrait quand on l'a entendu à la radio du taxi. Les flics demandaient si des chauffeurs avaient eu des clients vers chez eux. J'ai reconnu l'adresse. Il fallait que je vienne.
Henry Cortez avait l'air si ébranlé qu'Erika se leva et le serra dans ses bras avant de lui dire de s'asseoir. Elle reprit la parole.
— Je crois que Dag aurait voulu qu'on publie son histoire.
— Et je trouve qu'on devrait le faire. Le livre, sans hésiter. Mais la situation en ce moment est telle que nous devons repousser la publication.
— Et qu'est-ce qu'on fait alors ? demanda Malou. Ce n'est pas seulement un article qu'il va falloir modifier — on a un numéro à thème, et il va falloir refaire tout le journal.
Erika garda le silence un moment. Puis elle sourit. Son premier sourire épuisé de la journée.
— Tu prévoyais des jours de congé pour Pâques, Malou ? demanda-t-elle. Tu peux les oublier. Voici ce qu'on va faire... Malou, toi, moi et Christer on va cogiter pour pondre un numéro complètement nouveau sans Dag Svensson. On verra si on peut dégager quelques textes qu'on avait prévus pour juin. Mikael... tu disposes de combien de chapitres finis du livre de Dag Svensson ?
— J'ai la version finale de neuf chapitres sur douze. J'ai l'avant-dernière version des chapitres X et XI. Dag s'apprêtait à m'envoyer par mail les versions finales — je vais vérifier ma boîte — mais je n'ai que des bribes du chapitre XII qui est le dernier. C'est là qu'il devait résumer et tirer des conclusions.
— Mais toi et Dag, vous aviez discuté de tous les chapitres.
— Je sais ce qu'il avait l'intention d'écrire, si c'est ça que tu veux dire.
— Bon, tu vas t'attaquer aux textes — le livre et l'article. Je veux savoir la quantité qui manque et si nous pouvons reconstruire ce que Dag n'a pas eu le temps de livrer. Est-ce que tu peux faire une estimation précise dans la journée ?
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