— Ceci change totalement l'image d'elle.
— Ça explique certaines choses.
— Sonja, est-ce que tu peux venir me chercher demain à 8 heures ?
— Bien sûr.
— On ira à Smådalarö pour une petite conversation avec Gunnar Björck. J'ai fait faire une vérif sur lui. Il est en arrêt maladie.
— Je me réjouis d'avance.
— Je crois qu'il va nous falloir revoir totalement notre jugement sur Lisbeth Salander.
LARS BECKMAN JETA UN REGARD en coin vers sa femme. Erika Berger se tenait devant la fenêtre du séjour et contemplait la baie. Elle avait son téléphone portable à la main et il savait qu'elle attendait un appel de Mikael Blomkvist. Elle avait l'air tellement malheureuse qu'il s'approcha et l'entoura de son bras.
— Blomkvist est un grand garçon, dit-il. Mais si tu t'inquiètes vraiment à ce point, tu devrais appeler ce flic.
Erika Berger soupira.
— J'aurais dû le faire il y a des heures. Mais ce n'est pas pour ça que je suis malheureuse.
— C'est quelque chose que je devrais savoir ? demanda Lars.
Elle hocha la tête.
— Raconte.
— Il y a quelque chose que je t'ai caché. Et à Mikael. Et à tout le monde à la rédaction.
— Caché ?
Elle se tourna vers son mari et raconta qu'elle avait accepté le poste de rédactrice en chef à Svenska Morgon-Posten. Lars Beckman haussa les sourcils.
— Je ne comprends pas pourquoi tu n'as rien raconté, dit-il. C'est un truc énorme pour toi. Toutes mes félicitations.
— C'est simplement que j'ai l'impression de commettre une trahison, j'imagine.
— Mikael comprendra. Tout le monde doit tracer sa route quand l'heure est venue. Et elle est venue pour toi maintenant.
— Je sais.
— Tu t'es réellement décidée ?
— Oui. Je me suis décidée. Mais je n'ai pas eu le courage de l'annoncer à qui que ce soit. Et j'ai l'impression d'abandonner le navire en plein chaos.
Il serra sa femme dans ses bras.
DRAGAN ARMANSKIJ SE FROTTA les yeux et regarda l'obscurité de l'autre côté des fenêtres du centre de rééducation d'Ersta.
— On devrait appeler Bublanski, dit-il.
— Non, dit Holger Palmgren. Ni Bublanski ni personne de chez les autorités n'a jamais levé un doigt pour la défendre. Laisse-la faire ce qu'elle doit faire, maintenant.
Armanskij regarda l'ancien tuteur de Lisbeth Salander. Il était toujours stupéfié par l'amélioration manifeste de l'état de santé de Palmgren depuis sa dernière visite à Noël. Il y avait toujours le bafouillage, mais Palmgren avait une toute nouvelle vitalité dans le regard. Il y avait aussi une rage chez Palmgren qu'il n'avait jamais connue avant. Au cours de la soirée, Palmgren avait raconté l'histoire que Mikael Blomkvist avait assemblée. Armanskij était sous le choc.
— Elle va essayer de tuer son père.
— C'est possible, fit Palmgren calmement.
— Ou alors Zalachenko va essayer de la tuer.
— C'est possible aussi.
— Et nous, on ne va faire qu'attendre ?
— Dragan... tu es quelqu'un de bien. Mais ce que fait ou ne fait pas Lisbeth Salander, si elle survit ou si elle meurt, ça ne relève pas de ta responsabilité.
Palmgren fit un grand geste avec le bras. Il eut soudain une capacité de coordination qu'il n'avait pas eue depuis longtemps. On aurait dit que le drame de ces dernières semaines avait aiguisé ses sens handicapés.
— Je n'ai jamais eu de sympathie pour les gens qui se substituent à la loi. D'un autre côté, je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un qui ait eu de si bonnes raisons de le faire. Au risque de paraître cynique... ce qui se passera cette nuit se passera quoi qu'on en pense, toi et moi. C'est écrit dans les étoiles depuis la naissance de Lisbeth. Et tout ce qui nous reste à faire est de décider quelle sera notre attitude envers elle si elle revient.
Armanskij poussa un soupir malheureux et regarda en douce le vieil avocat.
— Et si elle passe les dix prochaines années en prison, elle l'aura choisi elle-même. Je continuerai à être son ami.
— J'ignorais totalement que tu avais une vision aussi libertaire de l'être humain.
— Je l'ignorais aussi, dit Holger Palmgren.
MIRIAM WU FIXA LE PLAFOND. Elle avait laissé la veilleuse allumée et une radio avec de la musique à faible volume. L'émission de nuit passait On a Slow Boat to China. Elle s'était réveillée à l'hôpital la veille, après que Paolo Roberto l'y avait conduite. Elle avait dormi et s'était réveillée, agitée, puis s'était rendormie, tout ça sans véritable logique. Les médecins disaient qu'elle souffrait d'une commotion cérébrale. En tout cas elle avait besoin de repos. Elle avait aussi le nez brisé, trois côtes cassées et des blessures sur tout le corps. Son sourcil gauche était tellement enflé que l'œil n'était qu'une mince fente. Elle avait mal dès qu'elle essayait de changer de position. Elle avait mal quand elle inspirait de l'air dans ses poumons. Elle avait mal à la nuque et on lui avait mis une minerve au cas où. Les médecins lui avaient promis qu'elle se rétablirait complètement.
Quand elle s'était réveillée le soir, Paolo Roberto était là. Il avait rigolé et demandé comment elle allait. Elle aurait aimé savoir si elle avait l'air aussi minable que lui.
Elle avait posé des questions et il avait expliqué. Bizarrement, cela ne paraissait plus du tout improbable qu'il soit l'ami de Lisbeth Salander. C'était une grande gueule. Lisbeth aimait les grandes gueules et elle détestait les connards imbus d'eux-mêmes. La différence était mince comme un cheveu, mais Paolo Roberto appartenait à la première catégorie.
Elle avait eu l'explication de son arrivée soudaine, surgi de nulle part, à l'entrepôt de Nykvarn. Elle était stupéfaite qu'il se soit entêté à ce point à poursuivre la fourgonnette. Et elle apprit, terrorisée, que la police était en train de déterrer trois cadavres sur le terrain autour du bâtiment.
— Merci, dit-elle. Tu m'as sauvé la vie.
Il secoua la tête et resta un long moment sans rien dire.
— J'ai essayé d'expliquer à Blomkvist. Il n'a pas vraiment compris. Je crois que toi tu peux comprendre. Parce que toi aussi tu boxes.
Elle savait ce qu'il voulait dire. Quiconque ne s'était pas trouvé dans l'entrepôt à Nykvarn ne pouvait pas comprendre ce que ça fait de se battre contre un monstre insensible à la douleur. Elle avait été totalement impuissante.
Pour finir, ils avaient arrêté de parler, et elle avait seulement tenu sa main avec le bandage. Il n'y avait rien à dire. Quand elle s'était réveillée de nouveau, il n'était plus là. Elle aurait aimé que Lisbeth Salander donne de ses nouvelles.
C'était elle que Niedermann cherchait.
Miriam Wu avait peur qu'il la retrouve.
LISBETH SALANDER N'ARRIVAIT PAS A RESPIRER. Elle n'avait aucune notion du temps, mais elle savait qu'elle avait reçu des balles dans le corps et elle comprenait — plus par instinct que par un raisonnement rationnel — qu'elle était enterrée. Son bras gauche était inutilisable. Elle ne pouvait pas remuer le moindre muscle sans que des vagues de douleur lui traversent l'épaule, et toute réflexion évoluait dans une sorte d'état brumeux. Il me faut de l’air. Sa tête manquait d'exploser sous les pulsations d'une douleur comme elle n'en avait jamais ressenti.
Sa main droite s'était retrouvée sous son visage et elle commença instinctivement à gratter pour enlever la terre de devant son nez et sa bouche. La terre était sablonneuse et relativement sèche. Elle réussit à dégager une petite cavité de la taille d'un poing devant son visage.
Elle n'avait pas la moindre idée du temps qu'elle avait passé dans la tombe. Mais elle comprit que sa vie était en danger. Elle finit par formuler une pensée cohérente.
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