— L’agresseur l’aurait laissé dans le coffre de la voiture pendant qu’il me traînait sur cette île ? Pourquoi ?
— La barque n’aurait pas supporté le poids de trois corps adultes, suggérai-je. Il aurait prévu de faire deux trajets.
— Et en arrivant au lac des Castors, demanda Anna, vous n’avez rien vu ?
— Non, lui répondis-je. On s’est immédiatement jetés à l’eau.
— Alors, on ne peut rien faire contre Michael ?
— Rien sans une preuve irréfutable.
— Si Michael n’a rien à se reprocher, s’interrogea encore Anna, pourquoi Miranda m’a-t-elle menti ? Elle m’a raconté avoir rencontré Michael quelques années après la mort de Jeremiah Fold. Mais j’ai vu dans leur salon une photo datée de Noël 1994. Soit seulement six mois plus tard. À ce moment-là, elle était rentrée chez ses parents à New York. Elle n’a donc pu rencontrer Michael que lorsqu’elle était prisonnière de Jeremiah.
— Tu penses que Michael pourrait être l’homme du motel ? demandai-je.
— Oui, acquiesça Anna. Et que Miranda a inventé une histoire de tatouage pour brouiller les pistes.
À cet instant, nous tombâmes justement sur Miranda Bird qui arrivait à l’hôpital pour rendre visite à son mari.
— Mon Dieu, Anna, votre visage ! dit-elle. Je suis désolée de ce qui vous est arrivé. Comment vous sentez-vous ?
— Ça va.
Miranda se tourna vers nous :
— Vous voyez bien que Michael n’y était pour rien. Le pauvre, dans quel état il se trouve ?
— On a retrouvé Anna à l’endroit que vous nous avez indiqué, fis-je remarquer.
— Ça peut être n’importe qui, enfin ! Le lac des Castors est connu de tout le monde dans la région. Avez-vous des preuves ?
Nous n’avions aucune preuve concrète. J’avais l’impression de revivre l’enquête de Tennenbaum en 1994.
— Vous m’avez menti, Miranda, dit alors Anna. Vous m’avez dit avoir rencontré Michael plusieurs années après la mort de Jeremiah Fold, mais ce n’est pas vrai. Vous l’avez connu lorsque vous étiez à Ridgesport.
Miranda resta muette. Elle semblait décontenancée. Derek avisa une salle d’attente déserte et nous invita à tous y entrer. Nous fîmes asseoir Miranda sur un canapé et Anna insista :
— Quand avez-vous rencontré Michael ?
— Je ne sais plus, répondit Miranda.
Anna demanda alors :
— Est-ce que Michael était l’homme du motel, celui qui s’est défendu contre Costico ?
— Anna, je…
— Répondez à ma question, Miranda. Ne m’obligez pas à vous emmener au poste.
Miranda avait le visage décomposé.
— Oui, finit-elle par répondre. Je ne sais pas comment vous avez été au courant de cet incident au motel, mais c’était bien Michael. Je l’ai rencontré lorsque j’étais hôtesse au Club, à la fin de l’année 1993. Costico a voulu que je le piège au motel, comme tous les autres. Mais Michael ne s’est pas laissé faire.
— Donc quand je vous en ai parlé, dit Anna, vous avez inventé cette histoire de tatouage pour nous mettre sur une fausse piste ? Pourquoi ?
— Pour protéger Michael. Si vous aviez su qu’il était l’homme du motel…
Miranda s’interrompit, prenant conscience qu’elle en disait trop.
— Parlez, Miranda, s’agaça Anna. Si nous avions su qu’il était l’homme du motel, qu’aurions-nous découvert ?
Une larme coula sur la joue de Miranda.
— Vous auriez découvert que Michael a tué Jeremiah Fold.
Nous revenions de nouveau au même point : Jeremiah Fold, dont nous savions désormais qu’il avait été tué par le maire Gordon.
— Michael n’a pas tué Jeremiah Fold, dit Anna. Nous en sommes certains. C’est le maire Gordon qui l’a tué.
Le visage de Miranda s’éclaira.
— Ce n’était pas Michael ? se réjouit-elle comme si toute cette histoire n’était qu’un cauchemar.
— Miranda, pourquoi pensiez-vous que Michael avait tué Jeremiah Fold ?
— Après l’incident avec Costico, j’ai revu Michael plusieurs fois. Nous sommes tombés très amoureux. Et Michael s’est mis en tête de me libérer de Jeremiah Fold. Pendant toutes ces années, j’ai cru que… Oh, mon Dieu, je suis tellement soulagée !
— Vous n’en avez jamais parlé avec Michael ?
— Après la mort de Jeremiah Fold, nous n’avons plus jamais parlé de ce qui s’était passé à Ridgesport. Il fallait tout oublier. C’était le seul moyen de nous réparer. Nous avons tout effacé de notre mémoire et nous nous sommes tournés vers l’avenir. Ça nous a réussi. Regardez-nous, nous sommes tellement heureux.
*
Nous passâmes la journée chez Anna à essayer de reprendre tous les éléments de l’affaire.
Plus nous y pensions, plus il était évident que toutes les pistes menaient à Michael Bird : il était proche de Stephanie Mailer, il avait eu un accès privilégié au Grand Théâtre et avait pu y cacher l’arme, il avait suivi notre enquête de près depuis la salle des archives de l’ Orphea Chronicle qu’il avait spontanément mise à notre disposition, ce qui lui avait permis d’éliminer au fur et à mesure tous ceux qui pouvaient le confondre. Malgré ce faisceau d’indices convergents, sans preuve concrète nous ne pouvions rien contre lui. Un bon avocat le ferait facilement libérer.
En fin d’après-midi, nous eûmes la surprise de voir le major McKenna débarquer chez Anna. Il nous rappela la menace qui planait sur Derek et moi depuis le début de la semaine :
— Si l’enquête n’est pas bouclée d’ici demain matin, je serai obligé de vous demander votre démission. C’est une volonté du gouverneur. Tout ça est allé trop loin.
— Tout indique que Michael Bird pourrait être notre homme, expliquai-je.
— Il ne faut pas simplement des indications, il faut des preuves ! tonna le major. Et des preuves solides ! Dois-je vous rappeler le fiasco de Ted Tennenbaum !
— On a retrouvé les clés…
— Oublie les clés, Jesse, m’interrompit McKenna. Elles ne constituent pas une preuve légale, et tu le sais très bien. Aucun tribunal n’en tiendra compte. Le procureur veut un dossier béton, personne ne veut prendre de risques. Si vous ne bouclez pas cette enquête, elle sera classée. Ce dossier est devenu pire que la peste. Si vous pensez que c’est Michael Bird le coupable, alors faites-le parler. Il vous faut des aveux à tout prix.
— Mais comment ? demandai-je.
— Il faut lui mettre la pression, conseilla le major. Trouvez sa corde sensible.
Derek nous dit alors :
— Si Miranda pensait que Michael avait tué Jeremiah Fold pour la libérer, c’est qu’il est prêt à tout pour protéger sa femme.
— Où veux-tu en venir ? lui demandai-je.
— Ce n’est pas à Michael qu’il faut s’en prendre, mais à Miranda. Et je crois que j’ai une idée.
JESSE ROSENBERG
Lundi 4 août 2014
9 jours après la première
À 7 heures du matin, nous débarquâmes dans la maison des Bird. Michael avait finalement pu rentrer chez lui la veille au soir.
C’est Miranda qui nous ouvrit la porte et Derek lui passa aussitôt les menottes.
— Miranda Bird, lui dis-je, vous êtes en état d’arrestation pour avoir menti à un officier de police et fait obstruction à l’avancée d’une enquête criminelle.
Michael accourut de la cuisine, suivi de ses enfants.
— Vous êtes fous ! s’écria-t-il en tentant de s’interposer.
Les enfants se mirent à pleurer. Je n’aimais pas agir de la sorte, mais nous n’avions plus le choix. Je rassurai les enfants tout en maintenant Michael à l’écart, pendant que Derek emmenait Miranda.
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