— Répondez à ma question !
Miranda observa le plan. Elle regarda le lac des Cerfs et du doigt pointa l’étendue d’eau voisine : le lac des Castors.
— Michael aime aller là-bas, dit-elle. Il y a un ponton avec une barque. On peut rejoindre un îlot charmant. Nous allons souvent y pique-niquer avec les filles. Il n’y a jamais personne. Michael dit qu’on y est seuls au monde.
Derek et moi nous dévisageâmes, et sans avoir besoin de parler, nous nous précipitâmes vers notre voiture.
*
Anna venait d’être jetée dans ce qu’elle pensait être une barque. Elle faisait semblant d’être encore inconsciente. Elle sentit le mouvement de l’eau et perçut un bruit de rames. On l’emmenait quelque part, mais où ?
Derek et moi roulions à tombeau ouvert sur la route 56. Nous eûmes bientôt le lac des Cerfs en vue.
— Il y aura une bifurcation sur ta droite, me prévint Derek en coupant la sirène. Un petit chemin de terre.
Nous le repérâmes de justesse. Je m’y engageai et accélérai comme un fou. Je vis bientôt la voiture d’Anna garée au bord de l’eau, juste à côté d’un ponton. J’écrasai la pédale de frein et nous sortîmes de voiture. Malgré l’obscurité, nous distinguâmes une barque sur le lac qui tentait de rejoindre l’îlot. Nous dégainâmes nos armes. « Halte ! Police ! » m’écriai-je avant de tirer un coup de sommation.
Nous entendîmes en réponse la voix d’Anna dans la barque, qui appela à l’aide. La silhouette qui tenait les rames lui asséna un coup. Anna cria de plus belle. Derek et moi plongeâmes dans le lac. Nous eûmes juste le temps de voir Anna être jetée par-dessus bord. Elle coula d’abord à pic, avant de tenter, à la force de ses seules jambes, de remonter à la surface pour respirer.
Derek et moi nagions aussi vite que nous le pouvions. Dans l’obscurité, impossible de distinguer clairement la silhouette sur la barque qui retournait vers les voitures en nous contournant. Nous ne pouvions pas l’arrêter : nous devions sauver Anna. Nous rassemblâmes nos dernières forces pour la rejoindre, mais Anna, épuisée, se laissa couler au fond du lac.
Derek s’élança vers le fond. Je l’imitai. Tout était opaque autour de nous. Finalement, il sentit le corps d’Anna. Il l’attrapa et parvint à le remonter à la surface. Je lui vins en aide et nous réussîmes à traîner Anna jusqu’à la berge de l’îlot proche et à la hisser sur la terre ferme. Elle toussa, cracha de l’eau. Elle était en vie.
Sur l’autre rive la barque venait d’accoster au ponton. Nous vîmes la silhouette monter à bord de la voiture d’Anna et s’enfuir.
*
Deux heures plus tard, l’employé d’une station-service isolée vit entrer dans le magasin un homme ensanglanté et paniqué. C’était Michael Bird, les mains liées au moyen d’une corde. « Appelez la police ! supplia-t-il. Il arrive, il me poursuit ! »
JESSE ROSENBERG
Dimanche 3 août 2014
8 jours après la première
Dans sa chambre d’hôpital, où il avait passé la nuit en observation, Michael nous raconta avoir été agressé en sortant de sa maison :
— J’étais dans la cuisine. Je venais de téléphoner à ma femme. Soudain j’ai entendu un bruit dehors. Anna était aux toilettes, ça ne pouvait pas être elle. Je suis sorti pour voir ce qui se passait, et je me suis fait aussitôt asperger de gaz lacrymogène avant de recevoir un coup violent en plein visage. Ça a été le trou noir. Quand j’ai repris mes esprits, j’étais dans le coffre d’une voiture, les mains liées. Le coffre s’est soudain ouvert. J’ai fait semblant d’être inconscient. On m’a traîné par terre. Je sentais une odeur de terre et de végétaux. J’ai entendu du bruit, comme si quelqu’un creusait. J’ai fini par entrouvrir les yeux : j’étais en pleine forêt. À quelques mètres de moi, il y avait un type, encagoulé, qui creusait un trou. C’était ma tombe. J’ai pensé à ma femme, à mes filles, je ne voulais pas mourir comme ça. Dans l’énergie du désespoir, je me suis dressé et je me suis mis à courir. J’ai dévalé une pente, j’ai couru aussi vite que j’ai pu à travers la forêt. Je l’entendais derrière moi, qui me poursuivait. J’ai réussi à le distancer. Puis je suis arrivé à une route. Je l’ai suivie en espérant croiser une voiture, mais j’ai finalement aperçu une station-service.
Derek, après avoir écouté attentivement le récit de Michael, lui dit alors :
— Arrêtez vos histoires. Nous avons retrouvé les clés de Stephanie Mailer dans un tiroir de votre bureau.
Michael eut l’air abasourdi.
— Les clés de Stephanie Mailer ? Qu’est-ce que vous racontez ? C’est totalement absurde.
— C’est pourtant la vérité. Un trousseau avec les clés de son appartement, du journal, de sa voiture et d’un garde-meuble.
— C’est tout simplement impossible, dit Michael qui semblait réellement tomber des nues.
— Est-ce que c’est vous, Michael ? demandai-je. Vous avez tué Stephanie ? Et tous ces gens ?
— Non ! Évidemment que non, Jesse ! Enfin, c’est complètement ridicule ! Qui a trouvé ces clés dans mon bureau ?
Nous aurions préféré qu’il ne pose pas la question : les clés n’ayant pas été retrouvées par un policier dans le cadre d’une perquisition, elles n’avaient aucune valeur de preuve. Je n’eus d’autre choix que de dire la vérité :
— C’est Kirk Harvey.
— Kirk Harvey ? Kirk Harvey est venu fouiller dans mon bureau et comme par miracle il y a trouvé les clés de Stephanie ? Ça n’a aucun sens ! Il était seul ?
— Oui.
— Écoutez, je ne sais pas ce que tout cela signifie, mais je crois que Kirk Harvey est en train de vous mener en bateau. Exactement comme il l’a fait avec sa pièce de théâtre. Qu’est-ce qui se passe enfin ? Est-ce que je suis en état d’arrestation ?
— Non, lui répondis-je.
Les clés de Stephanie Mailer ne constituaient pas une preuve valable. Kirk les avait-il réellement trouvées dans le bureau de Michael comme il l’affirmait ? Ou les avait-il avec lui depuis le début ? À moins que ce soit Michael qui essayait de nous mener en bateau et qui avait mis en scène son agression ? C’était la parole de Kirk contre celle de Michael. L’un des deux nous mentait. Mais lequel ?
La blessure au visage de Michael était sérieuse et avait nécessité plusieurs points de suture. On avait retrouvé du sang sur les marches de son perron. Son histoire se tenait. Le fait qu’Anna ait été jetée sur la banquette arrière de sa voiture était également cohérent avec la version de Michael, qui affirmait avoir été mis dans le coffre. En outre, nous avions perquisitionné son domicile ainsi que toute la rédaction de l’ Orphea Chronicle , mais nous n’y avions absolument rien trouvé.
Après notre visite à Michael, Derek et moi allâmes retrouver Anna dans une chambre voisine. Elle avait, elle aussi, passé la nuit à l’hôpital. Elle s’en tirait plutôt bien : un vilain hématome sur le front et un œil au beurre noir. Elle avait échappé au pire : on avait retrouvé, enterré sur l’îlot, le corps de Costico, tué par balles.
Anna n’avait pas vu son agresseur. Ni entendu le son de sa voix. Elle ne se souvenait que du gaz lacrymogène qui l’avait aveuglée et des coups qui lui avaient fait perdre connaissance. Quand elle avait repris ses esprits, elle avait un sac en toile sur la tête. Quant à sa voiture, dans laquelle on pourrait relever d’éventuelles empreintes, elle n’avait toujours pas été retrouvée.
Anna était prête à s’en aller et nous proposâmes de la ramener chez elle. Dans le couloir de l’hôpital, alors que nous lui rapportions la version de Michael, elle se montra dubitative :
Читать дальше