— En tous les cas, repris-je, ni Ron Gulliver, ni Steven Bergdorf, ni Samuel Padalin ne semblent avoir un motif pour vouloir tuer Meghan. Nous en revenons donc à notre question initiale. Pourquoi vouloir la tuer ? Répondre à cette question, c’est découvrir son meurtrier.
Nous avions besoin d’en savoir davantage sur Meghan. Nous décidâmes de nous rendre chez Samuel Padalin, dans l’espoir qu’il puisse nous éclairer un peu plus au sujet de sa première femme.
* * *
À New York, dans leur appartement de Brooklyn, Steven Bergdorf s’efforçait de convaincre sa femme du bien-fondé de leur voyage à Yellowstone.
— Comment ça, tu ne veux plus partir ? s’agaça-t-il.
— Mais enfin, Steven, lui dit Tracy, la police t’a ordonné de rester dans l’État de New York. Pourquoi est-ce qu’on n’irait pas au lac Champlain dans la maison de mes parents ?
— Parce que, pour une fois qu’on a prévu des vacances juste toi, moi et les enfants, j’ai envie qu’on s’y tienne.
— Dois-je te rappeler qu’il y a trois semaines, tu ne voulais pas entendre parler de Yellowstone ?
— Eh bien, j’ai justement envie de te faire plaisir, à toi et aux enfants, Tracy. Pardonne-moi d’être à l’écoute de vos désirs.
— On ira à Yellowstone l’été prochain, Steven. C’est mieux de respecter les instructions de la police et de ne pas quitter l’État.
— Mais de quoi as-tu peur, Tracy ? Tu crois que je suis un tueur, c’est ça ?
— Non, évidemment.
— Alors, explique-moi pourquoi la police aurait besoin de me contacter de nouveau. Tu sais, tu es vraiment pénible. Un jour tu veux, un jour tu ne veux plus. Alors, va chez ta sœur si tu veux, et moi je reste ici puisque tu ne veux pas de notre voyage en famille.
Après une hésitation, Tracy finit par accepter. Elle sentait qu’elle avait besoin de passer un moment privilégié avec son mari et de se reconnecter avec lui.
— D’accord, mon chéri, dit-elle doucement, faisons ce voyage.
— Formidable ! hurla Steven. Alors, fais les valises. Je vais vite passer au journal pour déposer mon article et régler deux ou trois petites choses. Puis j’irai chez ta sœur chercher le camping-car. Demain à la première heure nous partons pour le Midwest !
Tracy fronça les sourcils :
— Pourquoi te compliques-tu la vie, Steven ? Nous devrions mettre toutes nos affaires dans la voiture et aller tous ensemble chez ma sœur demain et partir ensuite.
— Impossible, dit Steven, avec les enfants à l’arrière de la voiture, il n’y aura pas la place de mettre nos valises.
— Mais on met les valises dans le coffre, Steven. On a justement acheté cette voiture pour la taille de son coffre.
— Le coffre est bloqué. Il ne s’ouvre plus.
— Ah bon ! Que s’est-il passé ? demanda Tracy.
— Aucune idée. Il s’est soudainement bloqué.
— Je vais aller y jeter un coup d’œil.
— Je n’ai pas le temps, dit Steven, je dois partir pour le journal.
— En voiture ? Depuis quand tu y vas en voiture ?
— Je veux l’entendre rouler, il y a un drôle de bruit dans le moteur.
— Raison de plus pour que tu me laisses la voiture, Steven, dit Tracy. Je vais l’emmener au garage pour faire contrôler ce bruit et réparer ce coffre qui ne s’ouvre plus.
— Pas de garage ! tonna Steven. De toute façon, on prendra la voiture avec nous et on la tirera derrière le camping-car.
— Steven, ne sois pas ridicule, on ne va pas s’encombrer de notre voiture jusqu’à Yellowstone.
— Évidemment que si ! C’est beaucoup plus pratique. On laissera le camping-car au camping et on visitera le parc ou la région en voiture. On ne va pas se trimballer partout avec ce mastodonte quand même.
— Mais, Steven…
— Il n’y a pas de mais . Tout le monde fait ça, là-bas.
— Bon, très bien, finit par obtempérer Tracy.
— Je file au journal. Fais les valises et dis à ta sœur que je passerai à 7 heures 30 demain. À 9 heures nous serons sur la route du Midwest.
Steven s’en alla et récupéra la voiture garée dans la rue. Il lui sembla que la puanteur du corps d’Alice s’échappait déjà du coffre. Ou alors était-ce son esprit ? Il se rendit à la rédaction de la Revue où il fut accueilli en héros. Mais il était ailleurs. Il n’entendait pas les gens qui lui parlaient. Il avait l’impression que tout tournait autour de lui. Il se sentait nauséeux. Être de retour dans les locaux de la Revue faisait ressortir d’un coup toutes ses émotions. Il avait tué. Il n’en prenait conscience que maintenant.
Après s’être longuement passé le visage sous l’eau dans les toilettes, Steven s’enferma dans son bureau avec Skip Nalan, son rédacteur en chef adjoint.
— Ça va, Steven ? lui demanda Skip. Tu n’as pas l’air bien. Tu transpires et tu es tout pâle.
— Un coup de fatigue. Je crois que j’ai besoin de me reposer. Je vais t’envoyer mon article sur le festival par courriel. Fais-moi tes éventuelles remarques.
— Tu ne reviens pas ? demanda Skip.
— Non, je pars demain pour quelques jours avec ma femme et les enfants. Après tous ces évènements, on a besoin de se retrouver un peu.
— Je comprends tout à fait, assura Skip. Est-ce qu’Alice vient aujourd’hui ?
Bergdorf déglutit péniblement.
— C’est justement de ça dont il faut que je te parle, Skip.
Steven arborait un air très grave et Skip s’en inquiéta :
— Que se passe-t-il ?
— C’est Alice qui a volé ma carte de crédit. C’est elle qui a tout manigancé. Elle s’est enfuie après avoir tout avoué.
— Ça alors, dit Skip, je n’en reviens pas. C’est vrai qu’elle était bizarre ces derniers temps. Je vais déposer plainte tout à l’heure, je ne t’embêterai pas avec ça.
Steven remercia son adjoint, puis il prit le temps de signer quelques lettres en attente et envoya son article par courriel. Profitant d’être connecté à Internet, il fit une recherche rapide sur la décomposition des corps. Il avait peur que l’odeur ne le trahisse. Il devait tenir trois jours. D’après ses calculs, en partant demain mercredi, il serait à Yellowstone d’ici samedi. Il pourrait se débarrasser du corps de façon à ce que personne ne le retrouve jamais. Il savait exactement comment il allait faire.
Il effaça son historique de navigation, éteignit son ordinateur et s’en alla. Une fois dans la rue, il sortit de sa poche le téléphone d’Alice qu’il avait emporté avec lui. Il l’alluma et, parcourant le répertoire de ses contacts, il envoya un message à ses parents et à quelques amis dont il connaissait le nom. J’ai besoin de faire le vide, je pars quelque temps prendre un peu l’air. Je vous appelle bientôt. Alice. Personne ne la rechercherait avant un bon moment. Il jeta le téléphone dans une poubelle.
Il lui restait encore un dernier détail à régler. Il se rendit chez Alice dont il avait pris les clés de l’appartement et y récupéra les bijoux et tous les objets de valeur qu’il lui avait offerts. Puis il se rendit chez un prêteur sur gage et revendit tout. Voilà qui rembourserait une partie de sa dette.
* * *
À Southampton Anna, Derek et moi, dans le salon de la maison de Samuel Padalin, venions de révéler à ce dernier que c’était Meghan qui était visée en 1994 et non pas les Gordon.
— Meghan ? répéta-t-il, incrédule. Mais qu’est-ce que vous me racontez ?
Nous essayions de jauger sa réaction, et jusque-là elle semblait sincère : Samuel était bouleversé.
— La vérité, monsieur Padalin, lui dit Derek. Nous nous sommes trompés de victime à l’époque. C’est votre femme qui faisait l’objet de cet assassinat, les Gordon étaient des victimes collatérales.
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