Dire que la CIA fabriquait de si jolis micros directionnels…
Lise, plongée dans la contemplation de la décoration murale – sabres et boucliers du siècle dernier – ne lui était pas d’un grand secours.
Près de vingt minutes se passèrent sans rien apporter de nouveau. Sauf un très court conciliabule Boris-Otto, du plus mauvais augure.
Il y eut soudain un bruit de chaises remuée et Malko leva les yeux des restes de son sorbet. Otto et Stéphanie se levaient. Stéphanie sortit la première. Malko avait repoussé sa chaise.
— Otto !
L’Allemand ne répondit pas. Il sortit de la pièce en claquant la porte derrière lui.
Le reste se passa en un clin d’oeil. Boris s’était dressé à son tour. Vif comme l’éclair, il décrocha un des sabres de la décoration murale et s’adossa à la porte. Malko se heurta à la pointe de l’arme et au sourire mauvais du Russe.
— Mon cher SAS, dit Boris, je détesterais vous embrocher de cette façon, aussi je vous conseille de rester tranquille, tandis que nos tourtereaux vont filer le parfait amour. Je vous préviens que j’ai suivi des cours d’escrime à l’Académie militaire de Leningrad.
Malko, sans répondre, fit un bond en arrière et saisit à son tour un sabre. Il fallait qu’il sorte de cette pièce. En ce moment, Stéphanie était en train d’entraîner Otto vers l’Est.
— Écartez-vous, ordonna-t-il à Boris, sinon, c’est moi qui vais vous embrocher…
Son seul atout : le Russe ignorait que lui aussi était un bon escrimeur. Sport qu’il avait pratiqué dès sa plus tendre enfance, comme tout Viennois de bonne famille.
— Tirez le premier, altesse, fit Boris avec une ironie glaciale.
Leurs armes étaient d’anciens sabres d’abordage, légers et courts, très maniables, un peu recourbés, avec une coquille très enveloppante.
Malko avança d’un pas et ils croisèrent leurs lames, la garde haute. Les lèvres minces de Boris se serrèrent un peu plus. En une fraction de seconde, il venait de sentir que Malko serait un redoutable adversaire.
Malko recula pour prendre une solide assise sur ses jambes, puis tâta son adversaire, cherchant à retrouver les finesses du jeu et les défauts de son vis-à-vis. Le crissement des lames s’entendait à peine. Boris avait bien mis à profit la situation. Discrets, les garçons ne les dérangeraient pas.
Qui pouvait imaginer deux barbouzes se battant à l’épée dans le salon particulier d’un des meilleurs restaurants de Copenhague ?
Boris battit en prime la lame de Malko qui la maintenait ferme, lança des feintes au torse, puis entra mollement dans la garde adverse, poussant sans conviction. Tout ce qu’il voulait, c’était gagner du temps.
Il se rendit compte que ce serait difficile : Malko avait le poignet trop dur pour lui. Aussi se ménageait-il, calculant des feintes compliquées et des moulinets.
Pourtant, il avança à petits pas de côté, puis rompit de deux pas francs pour reprendre sa position adossée à la porte qu’il défendait.
Ce ne fut pas une inspiration heureuse.
Malko poussa devant lui et de toutes ses forces une pointe qui arriva à deux centimètres de l’oeil droit du Russe. Celui-ci jura, cogna du dos à la porte et essuya une goutte de sueur sur son front.
Plus le temps passait, plus le duel s’animait. Malko comptait mentalement les minutes. Boris retrouvait tout son entraînement. Les lames avaient pris entre leurs mains une vivacité qui leur semblait propre.
Derrière Malko, Lise, blanche comme une morte, assistait au combat, se mordant les lèvres pour ne pas crier.
Maintenant, les lames semblaient chercher elles-mêmes un chemin dans la routine des feintes et des esquives. Le premier coup de taille à la tête de Malko fut grandiose. La lame de Boris décrivit deux zigzags foudroyants, tournoya un instant et s’abattit.
Malko sauta de côté et l’acier entama le dessus de l’une des tables. Les deux hommes soufflèrent en même temps. Ce fut le seul bruit.
Malko se surprit à penser qu’en ce moment il éprouvait presque de la camaraderie pour le Russe. Leur duel était un combat simple et net, franc. Mais il fallait quand même gagner… Ils reprirent le combat avec animation. Une précision merveilleuse dirigeait maintenant leurs armes. Le lourd assaut des sabres se rapprochait de la finesse des épées, s’améliorait à chaque échange, évoquait un ballet.
On n’entendait que le cliquetis des lames, le tintement des coquilles et le fracas sourd des pas.
Lise suivait maintenant le jeu des passes avec un mélange de langueur et de crainte.
Les échanges se poursuivaient à une cadence de plus en plus rapide. Les ripostes s’enchevêtraient avec les parades et les feintes étaient chaque fois plus subtiles et méchantes. Boris et Malko combattaient pour tuer.
Une expression tendue, astucieuse et concentrée avait remplacé la détente du début. Souvent, Boris cognait la porte de son dos et Malko avait plusieurs fois trébuché dans des tables.
Les fers se croisèrent, les deux hommes se heurtèrent garde contre garde et restèrent plusieurs secondes face à face. Ils poussaient leurs sabres de toutes leurs forces, soufflants et rouges, les veines gonflées. Des élancements déchiraient la poitrine de Malko, souvenir de Hong-Kong, et ce dernier se demandait combien de temps il pourrait tenir.
Boris lança un coup de pointe qui rasa la poitrine de Malko. Sentant que la parade arriverait trop tard, ce dernier esquiva d’un bond, puis reprit la lame de Boris dans une voltige de tierce à prime qui leur fatigua la main à tous les deux. Boris rompit d’un pas et relança une pointe vers l’épaule de Malko. La veste se déchira et la peau céda sous la pression de l’acier qui pénétra de près d’un centimètre. Des gouttes de sang jaillirent et un filet commença à couler le long du bras jusqu’à la garde.
Les yeux dorés de Malko étaient striés de rouge. Il fallait qu’il écarte Boris coûte que coûte. Il ne sentit même pas la douleur de sa blessure.
Boris avait l’impression de respirer du feu. Il fallait qu’il en finisse, qu’il cloue son adversaire une bonne fois pour toutes. Et tant pis pour les conséquences. Il doubla son coup qui, cette fois, effleura la clavicule de Malko et fit jaillir une nouvelle fois le sang.
Malko se sentit pâlir.
Mais il battit si rudement en prime, par deux fois, que le sabre de Boris dévia et passa à un centimètre de la jambe de Lise. La jeune fille poussa un cri et recula précipitamment. Elle suivait le combat maintenant avec une expression proche du désir, la bouche entrouverte et le souffle court.
Boris faisait du forcing. Il rompit encore d’un pas, se ramassa puis se détendit comme une flèche au ras du plancher. Posant la main gauche à terre, il passa sous la lame de son adversaire et lui décocha au flanc une botte qui une troisième fois fit couler le sang de Malko…
Encore celui-ci n’avait-il échappé à une affreuse éventration – ce que recherchait Boris – que par une de ces esquives peu académiques qui laissent un souvenir empoisonné dans la mémoire d’un escrimeur.
Il s’était déplacé trop brusquement pour placer une riposte. Il rompit de trois pas, se couvrit de plusieurs moulinets.
Boris, déçu, recula avec une prudente garde haute et attendit, avec l’impression d’avoir laissé passer sa chance. Ce sont des coups que l’on tente une fois dans un assaut, pas deux. Malko était ivre de rage de s’être laissé surprendre. La lame haute, il attaqua.
Un moulinet tournoya autour de la tête de Boris, si rapide qu’il siffla comme une balle. Boris chercha à suivre, mais la défensive ne lui réussissait pas. Il ne se sentait plus maître de ses moyens. L’effort de la botte l’avait épuisé.
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