André Héléna
Le Festival des macchabées
LES PIEDS NICKELÉS RÉSISTANTS
Second volet du diptyque ouvert par Les salauds ont la vie dure (1949), le Festival des macchabées (1951) poursuit la saga des bandits Maurice, le petit marlou de Pantruche, et son pote Bams le Catalan, dont le sang bouillant est bien celui de ses ancêtres Trabucayres [1] Insurgés, révoltés et bandits de grand chemin catalans du XIXe siècle qui inspirèrent à Ludovic Massé un chef-d’œuvre, Les Trabucayres (réédité par LLibres del Trabucaire, 2 carrer Jouy d’Arnaud, 66 140 Canet, Catalogne, France), et auxquels Christophe Amiel a consacré une passionnante étude, Les Trabucaires , une odyssée en terre catalane (LLibres del Trabucaire).
, pour lesquels, pirates des Hautes Terres et Frères de la Côte des Grands Chemins, tout est prétexte à sédition et révolte. Et, comme le lecteur a pu déjà le constater, les étendards rouges et les pavillons noirs ne font guère bon ménage avec le vert de gris .
Suffit pour s’en convaincre de suivre le périple qui, de Paris à Leucate, en passant par Lyon, antre de toutes les iniquités pour l’auteur qui n’apprécie guère la fausse convivialité des bouchons et des mâchons, initie nos deux singuliers compagnons au plus étrange et sanglant des Tours de France. Celui d’un pays vaincu, occupé, résigné, en proie à la guerre civile et aux charognards de tout acabit. Paradoxalement, nos voyous incarneront, jouets des circonstances et du destin, ce qui peut encore rester d’honneur à un homme, en allant jusqu’au bout de leur rage et de leur violence.
Cette rage passe dans l’écriture fiévreuse, parfois paroxysmique et abrupte, d’André Héléna qui, en bon libertaire, règle ses comptes avec l’autorité, la société, les cadors et les moutons, les pouvoirs militaires et civils, l’occupant et les occupés, sans oublier les autres pions de l’échiquier social, collabos et résistants. Chacun en prend pour son grade.
Outre cette réflexion sur une France trop occupée à survivre pour résister, du moins dans sa majorité, qui est un tableau d’époque peint sur le motif en touches épaisses et larges, non pas avec une brosse mais, cela s’imposait, au couteau, et selon une esthétique relevant du roman d’aventures populaire ou de la BD, l’auteur, troisième larron omniprésent de cette bande de Pieds Nickelés, n’en philosophe pas moins à la manière de Croquignol sur la liberté individuelle et ce qui en découle naturellement. L’individu peut-il faire l’Histoire ou en modifier le cours, comme cet autre « long nez » de De Gaulle ? Ou bien l’Histoire emporte-t-elle tout et tous dans son flot tumultueux et inéluctable ?
En d’autres termes, aussi, l’éternelle question de la responsabilité individuelle… Pouvons-nous agir ou sommes-nous agis ? L’Homme et le Fatum…
Questions d’autant plus d’actualité alors, à un moment où l’existentialisme tenait le haut du pavé, Sartre, troisième ineffable Magot (par ailleurs totalement honni par notre auteur [2] On pourra se reporter utilement aux éditoriaux pamphlétaires de La Bohème, 1946, signés par André Héléna, republiés dans le nº 24 de la revue Polar (Éditions Payot-Rivages) qui poursuit l’hommage à André Héléna entrepris dans le nº 23, entièrement consacré à notre auteur.
), sirotant à la papa, assis et déjà rassis, ses whiskies en posant pour les photographes avides de folklore germanopratin en compagnie de petites souris décavées.
Pendant ce temps, André Héléna, droit comme un « I », buvait au comptoir son muscat et écrivait dans sa tête. On a les Chemins de la liberté que l’on mérite.
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D’aucuns pourront reprocher à André Héléna sa manière de voir cette période tragique et sombre de notre histoire, qui en connut d’ailleurs bien d’autres — que l’on me pardonne ces propos guère politiquement corrects. Mais à l’époque la France, débarrassée de ses censeurs, ne se croyait pas obligée d’en rajouter pour se donner bonne conscience : on savait alors assumer l’ignominie, la honte, sans trop vouloir réécrire l’histoire. Le « politiquement correct », à savoir une autre manière de pratiquer le révisionnisme historique, selon des méthodes totalitaires appliquées dans ces admirables « démocraties » que furent les régimes national-socialiste et communiste, qui érigèrent le mensonge en vérité historique, scientifique, politique ou philosophique, n’était point encore aussi consensuellement partagé qu’aujourd’hui.
Il est vrai qu’alors, même après une épuration qui ne les toucha guère en profondeur, magistrats et journalistes n’étaient pas en mesure de donner des leçons à la cantonade. Les politiciens, pas davantage… La manière de voir et de penser de notre auteur relève simplement de la liberté d’expression la plus élémentaire. À croire qu’il s’agit aujourd’hui du plus inavouable de tous les crimes. Oserait-on aujourd’hui traiter de la même manière désinvolte, paradoxale et sarcastique ; tout en assénant quelques bonnes vieilles vérités, cette période ?
Cette question, s’il n’y avait d’ailleurs qu’elle, montre à l’évidence l’actualité et la modernité d’André Héléna.
*
Cinquante ans plus tard, les mots, les situations, leur violence, leur véhémence, surprennent toujours. Cette farandole canaille du bal des vermines où la mort nazie sarabande avec l’adipeuse ou criminelle collaboration de certains notables acoquinés avec des voyous scélérats et traîtres, devient une infernale danse de mort, à la fois allégorique et bien réelle, résumant on ne peut mieux cette époque.
Macabre, grotesque, le Festival des macchabées nous rappelle que la mort et l’ignominie sont toujours au rendez-vous de l’Histoire.
Il nous rappelle aussi que cette dernière affecte la totalité des individus des pays concernés. Ainsi, en tant de conflits, la guerre moderne englobe, désormais tout un territoire, tout un pays et tous ses habitants. Les civils devenant finalement les premières lignes, la chair à canon, comme on l’a vu lors de la Seconde Guerre mondiale. Ne serait-ce que par la surenchère des bombardements — Coventry, Manchester, Dresde et ses 300 000 victimes, et enfin la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki. L’occupation ennemie, elle, détruit le lien social et les structures d’un pays, surtout quand il est mis en coupe réglée et sujet au pillage économique. Ce que firent les Allemands dans tous les pays vaincus et, plus particulièrement, en France.
La création des « bureaux Otto » chargés de l’achat pour le compte des Allemands fut à l’origine de tous les trafics de l’Occupation dans tous les domaines économiques, industriels, agricoles, etc. Elle suscita nombre de collaborateurs dont certains servirent directement l’occupant en s’engageant dans ses services de renseignement ou de police. Ainsi la tristement célèbre Gestapo française, la « carlingue », formée essentiellement de criminels endurcis.
Comme dans toutes les époques troublées, la désorganisation de l’appareil public a pour conséquence une recrudescence des délits, l’augmentation de la criminalité et des criminels, ces derniers pouvant même accéder à des fonctions officielles facilitant leurs exactions et leur assurant une couverture politique (grandes compagnies, écorcheurs, barons pirates, seigneurs de la guerre, etc.).
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