Gérard De Villiers - Magie noire à New York

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Gérard De Villiers

Magie noire à New York

CHAPITRE PREMIER

Deux yeux noirs fixes et brillants dans un visage dur et raviné fixaient Malko dans la demi-pénombre de la chambre grise.

Il referma les yeux pour dissiper le fantasme et envoya son bras droit à la recherche du corps de Sabrina. Le parfum léger de la jeune femme imprégnait encore son torse nu, mêlé à la senteur plus acre de leur étreinte. Son dos le brûlait, déchiré par les griffes de Sabrina.

La veille, ils avaient été danser au Cheetah, une immense discothèque démente de la 53 eRue. Sabrina portait une étonnante tunique toute en or, pour laquelle le fabricant avait visiblement obéi aux ordres du président Johnson d’économiser le précieux métal. Si courte qu’elle semblait nue sous son minivison mauve. Avec sa silhouette svelte et racée, son visage de madone encadré de longs cheveux auburn et son air distant, elle avait pulvérisé les minettes déguisées en garçons. Bien qu’elle jerke d’une façon aussi enragée qu’elles.

Et qu’elle fasse l’amour avec une furie qui ne devait rien aux sages conseils des bonnes sœurs du collège de Mary Mount, d’où elle sortait.

Malko sourit dans son demi-sommeil. Avec Sabrina, il avait trouvé le rêve impossible du célibataire : une maîtresse jeune, belle, indépendante, ardente, et, de surcroît, milliardaire. Elle lui avait promis une Rolls-Royce pour son anniversaire… En plaisantant bien sûr, mais il n’y avait rien d’impossible avec Sabrina.

Ils s’étaient rencontrés d’une façon bizarre, sur Park Avenue, presque en face du Waldorf Astoria.

Elle avait jailli d’un taxi, un caniche nain mauve assorti à son mini-vison dans les bras et avait violemment bousculé Malko. Dans le choc une immense paire de lunettes aux verres mauves, eux aussi, étaient tombés, et avaient volé en éclats.

Sabrina avait poussé un cri perçant et expliqué ensuite dans un délicieux américain teinté d’accent qu’elle était myope comme un chaufferette et condamnée à errer dans Manhattan jusqu’à ce qu’elle tombe d’inanition.

Le sang bleu de Malko n’avait fait qu’un tour. Une Altesse Sérénissime qui se respecte ne laisse pas une femme en péril. Surtout s’il est indirectement responsable de sa détresse. Il s’était galamment offert à la raccompagner chez elle pour qu’elle y prenne une autre paire de lunettes.

Dans le taxi qui descendait Park Avenue, ils avaient fait connaissance. Sabrina avait un père propriétaire d’une chaîne de télévision au Canada et vivait à New York, où elle s’ennuyait. Elle habitait 30, fifth avenue, au seizième étage d’un immeuble de briques rouges, sans portier. Juste à trois blocs de Washington square et de son arc de triomphe gris. De l’autre côté c’était Greenwich Village, qui dormait à tout le quartier une touche de bohème, rare à New York.

Malko avait été séduit par le petit penthouse à la luxueuse moquette gris clair, d’où on apercevait en se penchant les arbres de Washington square et les boutiques d’antiquaires de la 8 eRue.

Sabrina avait chaussé une autre paire de lunettes. Ils avaient bu un seven-up [1] Sorte de limonade. et Malko l’avait invitée à dîner pour le soir.

Dans le cadre chaud, intime et rouge sombre du restaurant italien Orsini, Sabrina s’était épanouie comme une orchidée. Plusieurs fois, Malko l’avait surprise, le regard perdu dans ses yeux dorés. C’est elle qui avait proposé d’aller vider une bouteille de champagne chez elle.

Ils l’avaient bue jusqu’à la dernière goutte, en regardant The last, last show sur le canal 8. Puis Sabrina avait éteint le poste, fait glisser la fermeture éclair de sa robe noire, stricte, façon Balenciaga et demandé poliment à Malko s’il préférait faire l’amour sur le grand canapé bas où ils se trouvaient, ou dans la chambre.

Toujours un peu vieux jeu, Malko avait choisi la chambre. Ce qui n’avait nullement nui aux performances de sa partenaire.

Depuis, c’était le grand amour. Après sa pénible mission à Bangkok [2] Voir L’Or de la Rivière Kwaï. , Malko s’était octroyé quelques semaines de congé. Avant de rencontrer Sabrina, il pensait les passer dans son château de Liezen, en Autriche. Il lui avait offert de l’emmener, mais elle avait refusé. Malko n’aimait pas New York. D’ailleurs c’était le seul point noir à son idylle avec Sabrina. Souvent, il se réveillait avec une épouvantable migraine, après un sommeil profond comme la mort.

Il commençait maintenant à se demander s’il n’était pas sérieusement amoureux. Peut-être était-ce le côté « oiseau des îles » de Sabrina qui l’attachait. Elle n’était pas mondaine, non plus. Au lieu de courir les parties comme les Américaines, elle préférait sortir en tête à tête avec Malko et dîner dans les petits restaurants du village.

Souvent même, elle préparait un repas froid chez elle, avec une bouteille de champagne.

Après, ils faisaient l’amour comme des fous et Malko s’endormait d’un sommeil de plomb. Sabrina se réveillait toujours la première. Quand Malko ouvrait l’œil, elle était déjà debout, maquillée, coiffée et parfois habillé.

Pure coquetterie féminine, car, même habillée, elle n’hésitait jamais à rejoindre Malko dans le lit.

Comme elle allait probablement le faire ce matin-là…

Sur cette pensée réconfortante, il rouvrit les yeux. Pour se heurter au même regard fixe et brillant posé sur lui.

Il n’eut pas le temps de se poser une question. Une main puissante l’arracha du lit, le projetant, nu, sur la moquette. Un violent coup de pied dans les côtes lui arracha un cri de douleur. Au moment où il se relevait, un autre homme le ceintura par-derrière. Le poing droit de l’homme aux yeux noirs s’abattit sur sa bouche.

Pendant cinq minutes, ce fut une mêlée confuse et silencieuse. Les deux inconnus frappaient lentement, scientifiquement, de toutes leurs forces. Tous deux étaient plus grands et plus lourds que Malko.

Au début, il tint tête, résista furieusement, sans comprendre. Puis, il faiblit. Un coup violent au foie le jeta à terre. Une dégelée de coups de pied l’acheva. Tout son corps était douloureux. À demi assommé, il sentit que ses adversaires le jetaient sur le lit. Sa bouche saignait et son arcade sourcilière gauche était fendue. Le sang coulait à flots sur sa joue.

Avant de perdre connaissance, il entendit vaguement un bruit de porte.

CHAPITRE II

Quand il rouvrit les yeux, l’homme aux yeux noirs était seul. Il portait la cinquantaine, avait un visage couperosé, le nez en bec d’aigle et des cheveux noirs et frisés rejetés en arrière. Mais il semblait flotter dans un costume gris quatre fois trop large pour lui, horriblement mal coupé, avec des pantalons aussi larges qu’en 1925.

Assis sur une chaise, en face du lit, il braquait sur Malko un pistolet automatique de gros calibre.

— Où est Sabrina ? demanda Malko.

Il ne savait que penser. Barbouze de luxe à la CIA depuis pas mal d’années, il était habitué au danger. Mais là, il ne comprenait vraiment pas ce que lui voulait cet inconnu, ce que signifiait la disparition de Sabrina. Il esquissa un geste pour se redresser. L’inconnu leva son pistolet.

— Ne cherchez pas à vous enfuir, Rudi Guern, dit-il d’une belle voix de basse, en allemand. Vous avez vu que nous ne plaisantions pas.

— Qu’est-ce que vous dites ?

Complètement réveillé cette fois, Malko regarda l’homme pour voir s’il ne plaisantait pas. Mais l’arme était dirigée fermement contre son ventre nu et le visage de l’inconnu, sévère et compassé.

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