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Pierre Lemaitre: Sacrifices

Здесь есть возможность читать онлайн «Pierre Lemaitre: Sacrifices» весь текст электронной книги совершенно бесплатно (целиком полную версию). В некоторых случаях присутствует краткое содержание. Город: Paris, год выпуска: 2012, ISBN: 978-2226244284, издательство: Éditions Albin Michel, категория: Полицейский детектив / Триллер / на французском языке. Описание произведения, (предисловие) а так же отзывы посетителей доступны на портале. Библиотека «Либ Кат» — LibCat.ru создана для любителей полистать хорошую книжку и предлагает широкий выбор жанров:

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Pierre Lemaitre Sacrifices

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« UN ÉVÉNEMENT EST CONSIDÉRÉ COMME DÉCISIF LORSQU’IL DÉSAXE COMPLÈTEMENT VOTRE VIE. PAR EXEMPLE, TROIS DÉCHARGES DE FUSIL À POMPE SUR LA FEMME QUE VOUS AIMEZ. » « Lemaitre hisse le genre noir à une hauteur rarissime chez les écrivains français : celle où se tient la littérature. » Jean-Claude Buisson, Atmosphère glaçante, écriture sèche, mécanique implacable : Pierre Lemaitre a imposé son style et son talent dans l’univers du thriller. Après il achève ici une trilogie autour du commandant Verhœven, initiée avec .

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— Sur elle, ça faisait comme de la neige…

10 h 40

Pas contents, les Turcs.

Pas contents du tout.

Le gros, avec son air buté, conduit prudemment mais il traverse la place de l’Étoile et descend l’avenue de la Grande-Armée en serrant les poings sur le volant. Il fronce les sourcils. Il se veut démonstratif. Ou alors c’est culturel de manifester ainsi ses émotions.

Le plus excité, c’est le petit frère. Un teigneux. Brun comme pas possible, un visage brutal, on sent le caractère ombrageux. Très communicatif lui aussi, il brandit l’index, menace, c’est assez fatigant. Je ne comprends rien à ce qu’il dit — moi, l’espagnol… — mais ça n’est pas difficile de deviner : on nous fait venir pour un braquage rapide et juteux et on se retrouve dans une fusillade à n’en plus finir. Il ouvre les mains grand et large : et si je ne t’avais pas retenu ? Un ange un peu lourdaud flotte dans l’habitacle. Il pose sa question avec une insistance visible, il demande certainement ce qui se serait passé si la fille était morte. Du coup, c’est plus fort que lui, la colère le reprend : on va sur un braquage, pas sur une tuerie, etc.

Vraiment fatigant. Heureusement que je suis un homme calme, si je m’énervais, l’affaire aurait vite fait de dégénérer.

Ça n’a aucune importance mais c’est pénible. Ce garçon s’épuise dans la récrimination, il ferait mieux de conserver des forces, il va avoir besoin de ses réflexes.

Tout ne s’est pas passé exactement comme prévu mais l’objectif global est atteint, voilà l’essentiel. Il y a deux gros sacs posés au sol. De quoi voir venir. Et ce n’est que le début parce que si tout va bien, je vais remonter le fil et des sacs, je vais en trouver d’autres. Le Turc les reluque aussi, les sacs, il parle à son frère, ils semblent se mettre d’accord, le conducteur fait des signes d’assentiment. Ils font leur petite cuisine en famille, comme s’ils étaient seuls, ils doivent évaluer le dédommagement qu’ils sont en droit d’exiger. D’ exiger … on croit rêver. De temps en temps, le petit s’interrompt pour s’adresser à moi, rageur. On comprend deux ou trois mots : « pognon », « partage ». C’est à se demander où il les a appris, ils sont en France depuis vingt-quatre heures… Les Turcs sont peut-être doués pour les langues, allez savoir. Peu importe d’ailleurs. Dans l’immédiat, il suffit de prendre un air embarrassé, de courber un peu l’échine, d’opiner du chef avec une grimace désolée, on est déjà à Saint-Ouen, quand ça roule bien, pas de problème.

La banlieue défile. Qu’est-ce qu’il peut gueuler, l’Ottoman, c’est pas croyable. À force de vociférer, quand on arrive devant le box, l’atmosphère dans la voiture est devenue irrespirable, on sent qu’on va vers la Grande Explication finale. Le plus petit hurle une question, plusieurs fois la même, il exige une réponse, et pour montrer à quel point il est offensif, il brandit son index et tapote sur son autre poing fermé. Le geste doit avoir une signification claire à Izmir, mais à Saint-Ouen, c’est plus problématique. On comprend tout de même l’intention globale, c’est revendicatif et menaçant, il faut faire oui de la tête, dire qu’on est d’accord. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un mensonge parce qu’on va se mettre d’accord très vite.

Pendant ce temps-là, le chauffeur est descendu de voiture mais il a beau s’escrimer sur la serrure du box, pas moyen d’ouvrir le rideau de fer. Il essaye de tourner la clé dans tous les sens, il est sidéré, il se retourne vers la voiture, on voit qu’il s’interroge, quand il l’a essayée, ça marchait du tonnerre, il transpire pendant que le moteur tourne. Pas de risque de se faire repérer, c’est une longue impasse au milieu de nulle part, mais je ne voudrais pas qu’on s’éternise trop.

Pour eux, c’est encore un contretemps, un de plus. Et un de trop. Cette fois, le petit est à la limite de l’apoplexie. Rien ne va comme prévu, il se sent floué, trahi, « Français de merde », il faut prendre un air intrigué, cette histoire de porte qui ne s’ouvre pas, on ne comprend pas, ça devrait marcher, hier on a même essayé ensemble. Je sors calmement de voiture, étonné et embarrassé.

Le Mossberg 500 est un fusil à sept coups. Au lieu de beugler comme des hyènes, les Incas, ils auraient mieux fait de compter les munitions. Ils vont apprendre que quand on est mauvais en serrurerie, il vaut mieux être bon en arithmétique parce qu’une fois debout, portière ouverte, il me suffit d’avancer jusqu’au rideau de fer, de pousser légèrement le chauffeur pour prendre sa place — laisse-moi essayer… — , et quand je me retourne, je suis dans la position idéale. Il reste juste ce qu’il faut dans le fusil pour aligner le chauffeur et le clouer d’une décharge en pleine poitrine contre le mur en béton. Et pour le petit, tourner légèrement le canon, c’est un vrai soulagement de lui éclater la tête à travers le pare-brise. Une gerbe fulgurante. Le pare-brise explose, les vitres latérales se couvrent de sang, on ne voit plus rien. Il faut s’approcher pour découvrir le résultat, la tête a volé en éclats, reste rien, juste le cou avec, en dessous, le corps qui se dandine, les poulets font ça aussi quand on les décapite, ils continuent à courir. Les Turcs, c’est un peu pareil.

Le Mossberg fait un peu de bruit mais après, quel calme !

Maintenant, ne pas traîner. Mettre les deux sacs de côté, sortir la bonne clé pour ouvrir le box, traîner le gros frère dans le garage, rentrer le véhicule avec le petit en deux morceaux à l’intérieur — je dois passer sur le corps de l’autre, pas grave, il n’a plus les moyens d’être rancunier —, fermer la porte et le tour est joué.

Il suffit alors de reprendre les sacs, d’aller au bout de l’impasse et de monter dans la voiture de location. En fait, tout n’est pas terminé. À bien regarder, on n’en est même qu’au début. Il faut solder. Sortir le téléphone portable, composer le numéro de l’appareil qui déclenche la bombe, la détonation se ressent jusqu’ici. Je suis pourtant assez loin mais la voiture de location tremble sous l’effet du souffle. À plus de quarante mètres. Ça c’est de l’explosion ! Pour les Turcs, c’est tout droit vers le Jardin des Délices. Ils vont pouvoir tripoter les vierges, ces cons-là. Une gerbe de fumée noire monte au-dessus des toits des ateliers, ils sont presque tous murés ici, la ville exproprie pour reconstruire. Somme toute, je viens de donner un coup de main à la collectivité. Comme quoi on peut être braqueur et avoir le sens du service public. Les pompiers vont se mettre en route dans les trente secondes. Ne pas perdre de temps.

Déposer les deux sacs de bijoux dans une consigne de la gare du Nord. C’est là que le receleur va envoyer quelqu’un pour ramasser le tout. La clé dans une boîte aux lettres du boulevard Magenta.

Et enfin, prendre la mesure des choses. Il paraît que les tueurs reviennent toujours sur les lieux de leurs crimes.

Respectons les traditions.

11 h 45

Deux heures avant de se rendre à l’enterrement d’Armand, au téléphone, on demande à Camille s’il connaît une certaine Anne Forestier. Son numéro, qui figure en tête du répertoire, est le dernier qu’elle a composé. L’appel lui fait froid dans le dos : c’est de cette manière qu’on apprend la mort des gens.

Mais Anne n’est pas morte. « Victime d’une agression, elle vient d’être hospitalisée. » À la voix de la préposée, Camille comprend tout de suite qu’elle est dans un sale état.

En fait, Anne est dans un très sale état. Trop faible même pour qu’on l’interroge. Les policiers chargés de l’enquête ont dit qu’ils appelleraient, ils viendront la rencontrer dès que ce sera possible. Il a fallu plusieurs minutes de négociation avec l’infirmière de l’étage, une femme d’une trentaine d’années, avec des lèvres trop remplies et un tic à l’œil droit, pour que Camille obtienne le droit d’entrer dans sa chambre. À la condition de ne pas rester longtemps.

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