M. Bienassis fit encore un signe à l’un de ses agents afin de lui recommander d’avoir l’œil sur le prévenu dont l’évanouissement pouvait bien être simulé. Se tournant ensuite vers le serrurier, qui, debout près de lui, attendait ses ordres:
«Ouvrez-moi cette malle, dit-il, et dépêchons-nous.»
Le serrurier brisa, à coups de marteau, le cadenas qui fermait la caisse noire. M. Bienassis s’approcha alors, sa bougie à la main, et souleva le couvercle.
La malle était remplie d’habits grossiers et de linge de paysan; mais les habits étaient soigneusement brossés; le linge, d’une blancheur éblouissante, exhalait le parfum champêtre de la lavande. Tous ces pauvres objets étaient rangés avec un soin qui témoignait que la main d’une femme, d’une mère attentive et prévoyante, avait présidé à ces humbles apprêts.
Le malheureux Guérin était revenu de son évanouissement: on l’avait assis sur une chaise. Les yeux pleins de larmes, il suivait les mouvements des agents qui bouleversaient tout ce bel ordre, dépliaient les hardes du pauvre garçon, les secouaient, fouillaient les poches et palpaient les doublures.
«Tiens! un nœud de rubans!» fit tout à coup l’un des agents en tirant d’un coin de la malle un bouquet fané entouré de faveurs roses.
Il le jeta en riant à un de ses camarades.
«Prends-le, Gustave, dit-il, tu le donneras à ta prétendue.»
M. Bienassis lança un regard de colère à son agent. En entendant cette plaisanterie un peu cruelle, le prévenu s’était soulevé sur son siège et avait serré violemment l’une contre l’autre ses deux mains liées.
Maximilien Heller s’était levé, lui aussi, et considérait cette scène d’un air sombre.
«Monsieur le commissaire, dit le prévenu d’un air suppliant, voulez-vous me laisser ce nœud de rubans?
– Montrez-moi cela», dit M. Bienassis.
Il examina quelque temps le bouquet avec attention, le palpa, parut hésiter une seconde, puis enfin ordonna qu’on le remît au prévenu.
Cependant les agents continuaient leur perquisition sous l’œil attentif du commissaire; mais ils avaient beau tourner et retourner les vêtements, enfoncer leurs doigts dans tous les coins de la caisse, ils ne paraissaient pas trouver ce qu’ils cherchaient.
«Laissez cette caisse, dit enfin M. Bienassis, lorsqu’il vit le résultat infructueux des recherches… Visitez un peu cette paillasse… C’est peut-être là que nous trouverons l’argent.»
La paillasse fut retournée, défoncée, mais en vain.
Le commissaire ne se découragea pourtant pas; il fit inspecter par ses agents, avec un soin extrême, les carreaux qui pavaient la chambre; il fit briser le bois des chaises, qui aurait pu être creusé de façon à recéler de l’or; la table fut démontée, les murs sondés à coups de marteau; on fouilla les cendres de la cheminée.
Enfin, après s’être livrés pendant près d’une heure à ce minutieux travail, les agents s’arrêtèrent fatigués, et s’entre-regardèrent aussi penauds que des chasseurs qui ont battu la campagne toute la journée sans découvrir la moindre trace de gibier.
«C’est inconcevable! c’est inouï en vérité! murmurait M. Bienassis en tenant sa tête à deux mains. Qu’est-ce que cet argent a pu devenir? Cet homme n’avait pas de connaissances à Paris, pas de complices, c’est évident… Le crime est commis hier, nous l’arrêtons il y a une heure et il est impossible de mettre la main sur la somme volée!»
Le philosophe ne paraissait prêter aucune attention au monologue du commissaire de police; son regard s’était fixé sur Guérin, dont il considérait avec intérêt la physionomie bouleversée.
Après quelques minutes de réflexion, M. Bienassis parut se décider à tenter un nouvel effort auprès du prévenu.
«Le résultat de nos recherches paraît vous être favorable, lui dit-il; ne croyez pas cependant que la justice renonce à poursuivre ses investigations. Une somme considérable a été dérobée dans la nuit du meurtre; il faut qu’elle se retrouve; elle se retrouvera. Les plus graves soupçons pèsent sur vous, tout vous désigne comme l’assassin de M. Bréhat-Lenoir: les preuves sont palpables, évidentes. Il ne vous reste qu’un moyen de vous sauver: la franchise. Avouez votre crime, révélez l’endroit où vous avez caché l’argent volé, dites le nom de vos complices: la justice vous tiendra compte de votre sincérité et vous pourrez échapper à la peine capitale qui vous menace.»
Le prévenu murmura d’une voix brisée:
«Je suis innocent!
– Réfléchissez; demain, peut-être, il sera trop tard; la justice aura découvert ce que vous lui cachez; il ne vous restera plus d’aveux à faire.
– Je suis innocent!
– C’est bon; dès ce moment, je ne vous adresse plus la parole: le juge d’instruction saura ce qu’il devra faire.»
M. Bienassis se tournant alors vers Maximilien Heller:
«Je vous demande pardon, Monsieur, dit-il, de vous avoir fait assister à cette scène…; mais votre témoignage peut nous être précieux, et je vous prie de me dire tout ce que vous savez sur le prévenu. Il a passé huit jours dans cette chambre voisine de la vôtre avant de trouver une place. N’avez-vous jamais aperçu quelque chose de suspect dans sa conduite?
– Ah! c’est pour cela que vous m’avez fait venir?
– Sans doute; on ne demeure pas quelque temps à côté d’un homme sans remarquer ses habitudes, ses fréquentations. A-t-il reçu quelqu’un pendant le court séjour qu’il a fait ici?… N’avez-vous jamais entendu un bruit de voix?… Sortait-il pendant le jour ou dans la soirée?»
Le philosophe se leva sans répondre et s’approcha de Guérin, qu’il considéra quelque temps de son œil calme et profond.
«Vous deviez vous marier, n’est-ce pas? lui dit-il, à votre retour au pays?
– Oui, monsieur, répondit le prévenu en roulant de gros yeux effarés.
– Eh bien! vous pouvez commander votre habit de noce; et vous, continua-t-il de sa voix brève en s’adressant aux agents de police qui le contemplaient bouche béante, veillez bien sur cet homme, car avant deux mois d’ici il sera libre!»
Et se drapant dans sa longue houppelande brune, Maximilien Heller sortit de la chambre avec l’air hautain de don Quichotte défiant les moulins à vent. Je me retournai alors vers le commissaire, qui murmurait en rassemblant rapidement ses papiers:
«C’est étrange! tout cela est véritablement bien étrange…
– Veuillez excuser mon ami, monsieur, dis-je un peu embarrassé; il est souffrant et vous comprenez…
– Votre ami, monsieur, s’expliquera, je l’espère, devant le juge d’instruction, répliqua le commissaire d’un ton de léger dépit; pour moi, ma mission est terminée et je vais remettre mon rapport.»
En achevant ces mots, il sortit accompagné de son escouade d’agents qui entouraient le prévenu.
Le bruit de leurs pas s’éteignit peu à peu dans l’escalier, et tout rentra dans le silence.
Je me hâtai de rejoindre Maximilien Heller.
Je le trouvai assis dans son fauteuil, en train de tisonner, avec les pincettes, le feu qui mourait.
«Eh bien, lui dis-je, que pensez-vous de tout ceci?»
Il haussa les épaules.
«Lesurques et Calas vont avoir un compagnon dans le martyrologe [1]de la justice humaine, répondit-il tranquillement.
– Vous croyez que cet homme est innocent?
– Oui, je crois… mais, après tout, qu’importe?»
Il se renversa dans son fauteuil et ferma les yeux. Malgré cette indifférence apparente, il était facile de voir qu’il ressentait une singulière émotion. Ses mains, agitées par un tremblement continuel, glissaient et remontaient fiévreusement le long des bras du fauteuil.
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