CHAPITRE II L’ARRESTATION
J’allais me retirer en me promettant bien de revenir sous peu de jours faire une seconde visite à cet intéressant malade, lorsque j’entendis un pas lourd qui gravissait lentement l’escalier: je prêtai l’oreille. Les pas approchaient. Était-ce une illusion? Il me sembla même entendre un bruit de sanglots.
Enfin un coup sec ébranla la porte, et une voix rude cria:
«Ouvrez, au nom de la loi!»
Le chat fit un soubresaut de colère, Maximilien ouvrit péniblement les yeux. Son premier regard tomba sur moi:
«Ah! bon!… Je me rappelle…, fit-il d’une voix éteinte. Mais pourquoi m’avez-vous réveillé, Monsieur, en frappant si…»
Un second coup résonna contre les ais vermoulus.
«Qu’est-ce que cela signifie? dit Maximilien en fronçant les sourcils. Veuillez ouvrir, docteur…»
J’ouvris la porte.
Un gros monsieur ceint d’une écharpe tricolore apparut sur le seuil. Quelques personnages de sombre mine se montraient dans le fond.
«Excusez-moi, Monsieur, fit le nouveau venu en s’inclinant devant moi à plusieurs reprises… ma visite est un peu tardive… Mais vous savez: le devoir… Impossible de remettre la chose à demain. Vous êtes bien M. Maximilien Heller?»
Maximilien s’était levé et regardait avec son œil calme l’homme à l’écharpe.
«Non, Monsieur! répondit-il en avançant d’un pas, Maximilien Heller c’est moi.
– Ah! mille pardons, Monsieur, je ne vous apercevais pas. C’est qu’il fait un peu sombre chez vous, jeune homme. Je dois commencer par vous rassurer et vous dire que la vue de mon écharpe ne doit vous inspirer aucune crainte.
– Monsieur, dit le philosophe d’un ton rude, je suis fort souffrant. Je vous prie donc de m’exposer brièvement le motif de votre visite, et de me laisser ensuite le repos qui m’est nécessaire.»
L’écharpe tricolore dont la rotondité de l’inconnu était ornée indiquait suffisamment sa qualité. C’était un respectable commissaire de police dans l’exercice de ses fonctions. Je craignis un instant que la brusquerie de Maximilien ne lui attirât quelque verte réponse de la part de ce magistrat.
Mais, heureusement, le commissaire paraissait posséder ces qualités de douceur, de patience et de politesse que donne la longue habitude des hommes. Accoutumé, par l’exercice de sa profession, à se heurter aux caractères les plus abrupts, les plus indisciplinés, le magistrat finit par acquérir sur lui-même un surprenant pouvoir. Son cœur doit être insensible et mort à tous sentiments humains qui pourraient détruire cette invariable sérénité d’âme que la justice, comme la religion, exige de ceux qui veulent la servir.
«Ayez l’obligeance de me suivre, Monsieur, répondit courtoisement le commissaire. Nous vous retiendrons le moins longtemps qu’il nous sera possible; mais votre témoignage nous est nécessaire.» Maximilien se leva de nouveau de son siège. Il était si faible, que je demandai au magistrat la permission d’accompagner le malade pour lui prêter le secours de mon bras.
M. Bienassis – ainsi s’appelait le digne représentant de l’autorité – y consentit sans peine.
Nous traversâmes le long et sombre corridor, et arrivâmes à une porte qu’on distinguait à peine dans l’obscurité.
Un agent prit la lampe et l’approcha de la serrure qu’un ouvrier, amené par le commissaire, fit sauter en un tour de main.
Une bouffée d’air glacé vint frapper nos visages.
«Hum! grommela un agent derrière moi, il aurait bien dû fermer sa fenêtre avant de partir!
– Gustave! fit M. Bienassis en se tournant vers un des hommes qui le suivaient, allez nous allumer une bougie, et fermez cette lucarne.»
L’agent fit ce qui lui était ordonné. Nous entrâmes dans une mansarde plus petite encore que celle occupée par Maximilien. Pour tout mobilier, une table, deux chaises et un lit, sur lequel gisait une mauvaise paillasse.
Dans un coin de la chambre, on distinguait une caisse noire fermée par un cadenas.
Le commissaire s’assit près de la table, étala devant lui plusieurs papiers contenus dans un grand portefeuille; et après avoir invité Maximilien à prendre place sur une chaise, à côté de lui, il fit un signe à un agent qui s’approcha aussitôt de la porte et dit à voix haute:
«Faites entrer le prévenu.»
Je me tenais debout derrière M. Heller.
Un bruit de pas retentit dans le corridor; un instant après, on vit apparaître à la porte de la mansarde un homme livide, aux cheveux ébouriffés, aux yeux hagards, marchant avec peine entre deux agents qui le soutenaient sous le bras.
«Approchez!…» dit M. Bienassis qui contemplait attentivement le nouveau venu par-dessus ses lunettes d’or.
L’homme, assisté de ses deux acolytes, fit quelques pas dans la chambre.
«Vous vous nommez Jean-Louis Guérin?» demanda M. Bienassis.
Le malheureux regarda le commissaire d’un œil hébété et ne répondit pas.
«Vous étiez, depuis huit jours, au service de M. Bréhat-Lenoir?»
Pas de réponse. Le commissaire poursuivit avec calme:
«Savez-vous de quel crime vous êtes accusé? On vous soupçonne d’avoir empoisonné votre maître. Qu’avez-vous à répondre?»
Un tremblement convulsif s’empara du prévenu. Il ouvrit deux ou trois fois la bouche pour parler, mais la terreur l’étreignait à la gorge, et il ne fit entendre que des sons inintelligibles.
«Voyons, Guérin, reprit le commissaire en détachant un moment ses regards du visage du prévenu pour les reporter sur les papiers placés devant lui, qu’il feignit de classer, nous ne sommes ni des juges ni des bourreaux, et nous ne voulons vous faire aucun mal: parlez sans crainte; dites ce que vous voudrez, mais parlez. Il peut se faire que vous soyez innocent, bien que les charges qui pèsent sur vous soient graves et sérieuses. Je vous ferai remarquer que votre silence, votre trouble peuvent être mal interprétés et servir de preuves contre vous. Avouez-vous avoir acheté de l’arsenic avant-hier chez l’herboriste Legras?»
Le prévenu fit un violent effort pour se dégager des mains de ceux qui le serraient; mais ce fut en vain. Il vit que ses tentatives seraient inutiles, que la fuite était impossible. Alors des larmes jaillirent de ses yeux, et d’une voix entrecoupée par les sanglots:
«Laissez-moi! s’écria-t-il, laissez-moi!… Je suis innocent! oh! Messieurs, je suis un honnête homme, je vous le jure! J’arrive de mon pays et vous pouvez demander là-bas… je suis un honnête homme!… J’ai une pauvre vieille mère…, j’étais venu à Paris pour gagner un peu d’argent, car elle est infirme et ne peut travailler… Moi! un assassin!… Oh! mon Dieu!… mon Dieu!…» Il joignit ses mains chargées de menottes et fit un effort pour les lever vers le ciel… puis soudain les forces parurent l’abandonner. Il poussa un profond soupir; si les agents ne l’avaient soutenu, il serait tombé la face contre terre, sur le carreau de la mansarde.
«Portez-le sur le lit», fit M. Bienassis en désignant le grabat placé dans un coin de la petite pièce.
Maximilien posa sa longue main amaigrie sur l’épaule du commissaire et lui dit avec un sourire plein d’amertume:
«Vous dites, Monsieur, que cet homme est un assassin?»
M. Bienassis se retourna, un peu surpris, puis secouant la tête:
«Il a contre lui des charges accablantes, fit-il d’une voix si basse que seuls nous pûmes l’entendre. Il n’a pourtant pas l’air d’un criminel. Je dois m’y connaître, Monsieur, et je vous dis: De deux choses l’une: ou bien cet homme est parfaitement innocent, ou bien c’est un affreux scélérat et un grand comédien…»
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