JEAN-FRANÇOIS PAROT
LE FANTÔME DE LA RUE ROYALE
Jean-François Parot est diplomate et historien de formation. Pour écrire les aventures de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet dans la France de Louix XV, il s’est appuyé sur sa solide connaissance du Paris du XVIII esiècle. Le Sang des farines (Jean-Claude Lattès, 2005) est le sixième volume de cette série au succès sans cesse grandissant.
Du même auteur aux Éditions 10/18
Les enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet
L’énigme des Blancs-Manteaux, n° 3260
L’homme au ventre de plomb, n° 3261
Le fantôme de la rue Royale, n° 3491
L’affaire Nicolas Le Floch, n° 3602
Le crime de l’hôtel Saint-Florentin, n° 3750
À l’intention du lecteur qui aborderait pour la première fois le récit des aventures de Nicolas Le Floch, l’auteur rappelle que dans le premier tome, L’Énigme des Blancs-Manteaux , le héros, enfant trouvé élevé par le chanoine Le Floch à Guérande, est éloigné de sa Bretagne natale par la volonté de son parrain le marquis de Ranreuil, inquiet du penchant de sa fille Isabelle pour le jeune homme.
À Paris, il est d’abord accueilli au couvent des Carmes déchaux par le père Grégoire et se trouve bientôt placé par la recommandation du marquis sous l’autorité de M. de Sartine, lieutenant général de police de la capitale du royaume. À son côté, il apprend son métier et découvre les arcanes de la haute police. Après une année d’apprentissage, il est chargé d’une mission confidentielle. Elle le conduira à rendre un signalé service à Louis XV et à la marquise de Pompadour.
Aidé par son adjoint et mentor, l’inspecteur Bourdeau, et après bien des périls, il dénoue le fil d’une intrigue compliquée. Reçu par le roi, il est récompensé par un office de commissaire de police au Châtelet et demeure, sous l’autorité directe de M. de Sartine, l’homme des enquêtes extraordinaires.
À Monique Constant
Nicolas Le Floch : commissaire de police au Châtelet
M. de Sartine : lieutenant général de police de Paris
M. de Saint-Florentin : ministre de la Maison du roi
Pierre Bourdeau : inspecteur de police
Père Marie : huissier au Châtelet
Tirepot : mouche
Rabouine : mouche
Aimé de Noblecourt : ancien procureur Marion : sa cuisinière Poitevin : son valet
Catherine Gauss : ancienne cantinière, servante de Nicolas Le Floch
Guillaume Semacgus : chirurgien de marine
Awa : sa cuisinière
Charles Henri Sanson : bourreau de Paris
La Paulet : tenancière de maison galante
Père Grégoire : apothicaire au couvent des Carmes
M. de La Borde : premier valet de chambre du roi
Christophe de Beaumont : archevêque de Paris
Père Guy Raccard : exorciste du diocèse
Jérôme Bignon : prévôt des marchands
Langlumé : major de la compagnie des gardes de la Ville
M. Bonamy : historiographe et bibliothécaire de la Ville
Charles Galaine : maître marchand pelletier, 43 ans
Émilie Galaine : sa seconde épouse, 30 ans
Jean Galaine : son fils d’un premier lit, 22 ans
Geneviève Galaine : sa fille du second lit, 7 ans
Charlotte Galaine : sa sœur aînée, 45 ans
Camille Galaine : sa sœur cadette, 40 ans
Élodie Galaine : sa nièce et pupille, 19 ans
Naganda : Indien Micmac, serviteur d’Élodie
Louis Dorsacq : commis, 24 ans
Marie Chaffoureau : cuisinière des Galaine, 63 ans
Ermeline Godeau, dite Miette : servante des Galaine, 17 ans
Mais, par ses soins, un jour de fête
Devient un triste jour de deuil.
La place où le plaisir s’apprête
N’est bientôt qu’un vaste cercueil.
Anonyme (1770)
Mercredi 30 mai 1770
Un visage ricanant coiffé d’un bonnet rouge surgit à la portière. Des mains aux ongles noirs se cramponnaient à la vitre baissée. Sous la crasse, Nicolas reconnut la face déjà flétrie d’un gamin. Cette soudaine apparition le reporta presque dix ans en arrière, par une nuit de carnaval, juste avant que M. de Sartine, lieutenant général de police, lui confie sa première enquête. Les masques qui avaient environné ses recherches demeureraient toujours pour lui les visages de la mort. Il chassa ces pensées qui ne faisaient qu’accentuer les effets d’une tristesse éprouvée depuis le matin. Il lança une poignée de billons [1] Monnaie divisionnaire en cuivre.
vers le ciel. L’apparition, ravie de l’aubaine, disparut ; elle avait pris appui sur le marchepied de la voiture et, après une culbute arrière, retomba sur ses pieds et se faufila dans la foule à la recherche des piécettes.
Nicolas s’ébroua comme une bête lasse et soupira pour tenter d’évacuer la tristesse qui le taraudait. Sans doute les deux semaines écoulées l’avaient-elles épuisé. Trop de nuits sans sommeil, une attention toujours en éveil et la crainte lancinante d’être surpris par l’incident imprévisible. Depuis l’attentat de Damiens, la sûreté avait été resserrée autour du roi et de sa famille. Certains événements ensevelis dans le secret des cabinets, auxquels le jeune commissaire au Châtelet avait été intimement mêlé et dont il avait éclairé les arcanes, le plaçaient, depuis près de dix ans, en première ligne dans ce combat et cette veille de tous les jours. M. de Sartine lui avait confié la surveillance rapprochée de la famille royale à l’occasion du mariage du dauphin et de Marie-Antoinette, archiduchesse d’Autriche. Jusqu’à M. de Saint-Florentin, ministre de la Maison du roi, qui l’avait pressé de donner le meilleur de lui-même, tout en rappelant, avec affabilité, ses succès passés.
Depuis la barrière de Vaugirard, la foule en rangs serrés envahissait la chaussée, interrompant par instants le flot chaotique des équipages. Le cocher de Nicolas ne cessait de hurler des mises en garde ponctuées des claquements secs de son fouet. Parfois la caisse, lors d’un arrêt brutal, basculait en avant et Nicolas devait tendre un bras protecteur pour éviter à son ami Semacgus de donner du nez contre la paroi. Il n’aurait su dire pourquoi, mais rien ne l’avait autant inquiété que cette grande multitude de peuple convergeant en désordre vers la place Louis-XV. Cette masse que l’impatience animait comme un frisson nerveux le flanc d’un cheval se précipitait vers la fête et le plaisir promis ; la Ville, en effet, offrait à l’occasion du mariage du dauphin le spectacle d’un grand feu d’artifice. Chacun y allait de sa rumeur et Nicolas prêtait l’oreille aux commentaires qui montaient jusqu’à lui. Le prévôt des marchands, dispensateur des festivités, avait assuré que le spectacle pyrotechnique serait suivi par l’illumination des boulevards. Comme s’il avait lu dans les pensées de son voisin, Semacgus s’éveilla après quelques éructations et, tendant la main vers la foule, hocha la tête.
— Les voilà bien confiants dans la munificence de leur prévôt ! Puissent-ils ne pas être déçus !
— En douteriez-vous, mon ami ? demanda Nicolas.
Après toutes ces journées d’inquiétude, il s’était fait une joie d’aller quérir le docteur Semacgus au fond de Vaugirard. Il le savait curieux de ces grandes occasions et lui avait proposé de l’accompagner place Louis-XV, afin d’assister à la fête depuis la colonnade des bâtiments nouvellement construits de part et d’autre de la rue Royale. Sartine souhaitait recevoir un rapport sur un événement auquel, par extraordinaire, la Ville n’avait pas associé sa police.
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