— Drôle de blaze pour un cador.
— C'est une chienne.
— Avec ces oreilles en pointe, on ne s'en douterait pas.
— Je crois que si tu veux t'assurer du sexe d'un animal tu as intérêt à ne pas lui regarder les oreilles.
Je fonce jusqu'à la Malmaison. Il n'est pas loin de minuit lorsque je débarque, à quelques encablures de la propriété.
— Tiens Mademoiselle en laisse, enjoins-je au suiffeux. La partie devient very délicate.
En effet, à peine sommes-t-on à la grille que les deux dogs féroces se ruent sur icelle. Au moyen de mon célèbre sésame je délourde. Le jeu consiste à faire pénétrer Mademoiselle Julie dans la place (en anglais in the place ) avant que l'alarme soit donnée à l'intérieur. Le Mahousse auquel j'ai fait part de mon plan d'action murmure en montrant les deux fauves.
— Si jamais ils sont de la pédale, on est bonnards, San-A.
— Attention ! dis-je. Je vais entrouvrir, prépare-toi à leur catapulter Miss Julie avant qu'ils nous sautent sur les claouis.
Ce qui est dit est fait. Monseigneur Béru tient la jeune personne debout contre lui. J'écarte la grille et le Gros pousse la chienne dans la propriété.
— Ces dames au salon ! clame-t-il, égrillard.
Les molosses ne se le font pas dire deux fois. Faut voir la réception qu'ils offrent à Julie ! Le renifleur se met en marche vilain. La pauvre mignonne ne sait comment se tenir avec ces messieurs. Elle tourne en rond, donne des petits coups de dent par-ci, des coups de pattes par-là, mais on sent bien que le cœur n'y est pas. Elle n'est contre que par pudeur. Béru qui l'observe me pousse du coude.
— Les chiennes, fait-il, sont aussi p… que les femmes. Vise-moi cette petite salingue, elle en meurt d'envie, mais faut qu'elle leur joue vierge et martyre avant de leur donner leur ticket d'appel.
Nous attendons un bout de moment. Puis les trois chiens s'éloignent dans l'ombre du parc. C'est à nous de faire maintenant.
Nous marchons courbés en deux sur la pelouse afin de feutrer le bruit de nos pas. J'avais raison en estimant que la maison faisait clair de lune même le jour.
Dans la lumière blafarde de l'astre nocturne l'habitation du consul n'est guère plus sinistre que dans celle du soleil.
Une lumière brille derrière une seule fenêtre. Il s'agit de la croisée derrière laquelle se tenait tantôt la dame blonde.
J'ai idée qu'elle doit avoir des insomnies, cette personne.
Je fais signe au Mahousse de m'attendre et j'accomplis un tour complet de la demeure. Tout est banco.
— Amène-toi, glorieux policier.
Il me suit. J'ai repéré une petite porte basse qui doit servir à rentrer le charbon.
Elle est fermée à clé, mais vous savez comment je me comporte avec les serrures !
Nous descendons une demi-douzaine de marches. La gigantesque chaudière du chauffage central met une vague clarté rougeâtre dans le sous-sol. C'est insuffisant pour qu'on se repère. J'actionne ma petite lampe de poche. Ce genre d'endroit n'est jamais très folichon, mais celui-ci est carrément lugubre.
Je furette comme un chien de chasse.
— Tu cherches quoi z'au juste ? me demande Béru.
— Le sais-je !
Il hausse les épaules.
— C'est de la pêche à l'ombre, fait-il fort astucieusement.
Il s'arrête et pousse un petit cri de douleur.
— Qu'est-ce qui t'arrive ?
— Je m'ai planté une saloperie dans le pied, biscotte j'ai perdu une de mes savates dans le parc.
Je braque obligeamment le faisceau de la lampe sur ses radis. Ses chaussettes sont noires. Il en ôte une, et je m'aperçois qu'elle était pleine de trous ; seulement ça ne se voyait pas lorsqu'il l'avait, au pied. Un-petit truc brillant est planté dans son talon d'Achille. Il l'arrache.
— Une punaise ? diagnostiqué-je.
— Pas tout à fait, répond Bérurier en me montrant un bouton de col.
Je pousse une exclamation tellement sourde qu'elle devrait passer un examen auditif.
— C'est le bouton de col de Morpion !
— Tu es sûr !
— Il n'y a plus que lui qui porte des cols de celluloïd. Vois-tu ; Béru, quand je t'ai répondu que j'ignorais ce que je cherchais, je mentais. C'est le pauvre Morpion que je cherche. Je me doutais bien que ces crapules l'avaient amené ici.
— Pour lui faire le coup du père François ?
— Naturellement.
— Alors son cadavre ne doit pas être loin !
Nous nous mettons à chercher avec frénésie. A chaque instant je dois solliciter le silence car le Gros est aussi léger qu'une pelleteuse de travaux publics.
Nous sondons le charbon, nous fouillons dans le tas de choses démantelées qui occupent une partie du sous-sol, nous secouons les tonneaux : en vin (pardon, c'est à cause des tonneaux, je voulais dire : en vain).
— Conclusion : pas de chance, fait ma brave Guenille, ruisselant d'une belle sueur prolétarienne. S'ils ont tué ton Prof ils l'ont enterré depuis dans le jardin ; ou alors…
Et il me désigne la chaudière.
J'opine. J'adore. Il n'y a pas un type qui aime autant opiner que moi.
— On fait quoi maintenant ? s'inquiète Alexandre-Benoît.
Au lieu de répondre, je passe dans un petit appentis sorcier situé à la suite de la cave. C'est une buanderie. Il y a un bassin en pierre, une pompe, des fils d'étendage tout rouillés.
Je regarde dans le bassin. On y a mis de la farine, ou bien… Je touche : c'est de la chaux ! De la chaux de Pise, même : la meilleure !
Armé d'un bâton je la touille et je rencontre un volume compact. Alors, frénétique, j'écarte la chaux au moyen d'une pelle que j'avais prévue dans la construction de mon roman. Je finis par mettre à jour un cadavre déjà rongé jusqu'au trognon par la chaux vive.
— Eh ben, tu vois, murmure l'objectif Béru : tu l'as retrouvé, ton prof !
Avec une pièce à conviction pareille, le consul d'Alabanie risque d'avoir des ennuis.
— On appelle des renforts ? demande le gros. Moi, je te préviens que je ne suis pas chargé. Les mains dans les pockets je suis venu.
Il me faut un petit bout de temps pour reprendre mes esprits. Vouloir tenter une action à nous deux serait pure folie et risquerait de tout fiche en l'air. Et puis, parvenu à ce point de l'affaire j'ai le devoir d'en référer au Vieux.
— Filons d'ici ! tranché-je, à la satisfaction évidente de mon camarade d'équipée.
Je remets la chaux par-dessus le cadavre et on se taille par où on est venu. Notre visite n'a réveillé personne. Tout est calme : la lumière s'est éteinte chez la dame blonde.
— Et la chienne ? demande Béru lorsque nous atteignons le portail.
— On la récupèrera plus tard, laissons-la faire un coucher.
Le lendemain, qui tombe justement le surlendemain de la veille, il y a conférence au sommet chez le Tondu. Y participent, par ordre d'importance : lui et moi.
Je lui ai fait une relation succincte des faits dans leur ordre chronologique et dans le sens des aiguilles d'une montre.
Il a tout écouté, tout assimilé, tout envisagé.
— Décidément, conclut-il, nous nous trouvons devant une véritable association de malfaiteurs. Je ne m'explique pas comment un membre du Corps Diplomatique a pu devenir le chef d'une pareille entreprise.
— Les faits sont là, coupé-je. Les meurtres succèdent aux meurtres…
Il me coupe.
— J'ai eu la visite du légiste. La Jeune Yapaksa Danlhavvi est morte de mort naturelle. On n'a pas trouvé le moindre poison. Elle était atteinte d'une lésion cardiaque et le cœur a lâche tout seul.
— C'est assez incroyable, soupiré-je.
— Vous connaissez notre médecin légiste : il ne se prononce jamais à la légère, s'il affirme que cette fille est morte naturellement, nous pouvons le croire.
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