– Pas de Latin, d’Énochien ou de Malachim ? Nous conservons quelques reproductions de textes d’anciennes civilisations, ajouta Montgomery. Il secoua la tête devant son regard ébahi et prit de nouvelles notes. Très bien, très bien. Une dernière chose. Avez-vous des compétences particulières à apporter à ce poste ?
– J’ai une grande compréhension de la classification Dewey, dit Lex, cherchant ce qu’elle avait appris dans son passé qui pourrait lui resservir ici. Je connais aussi beaucoup de statistiques pour fixer le prix des livres, les comportements des acheteurs et les stratégies de ventes.
Montgomery acquiesça, mais ne nota rien dans son carnet. Il replaça son nœud papillon d’un drôle de petit geste puis se redressa en rangeant son calepin.
– Mademoiselle Blair, dit-il. Je vais être honnête. Notre établissement a une certaine réputation que nous devons honorer. Vous êtes très logique et pragmatique.
Lex sentit son cœur s’envoler dans sa poitrine, battant à cent à l’heure devant ses compliments.
– Cela jouerait en votre faveur autre part, mais ici nous avons besoin d’une personne ouverte d’esprit. Je vous remercie du temps que vous avez pris pour venir me rencontrer, mais j’ai bien peur de ne pas pouvoir vous proposer ce poste.
Lex avait maintenant le cœur lourd, elle était nauséeuse et déçue.
– Je vois, dit-elle, difficilement.
Ce n’était pas normal. N’avait-il pas remarqué que ce poste était fait pour elle ? Elle avait besoin de cet argent et de cette expérience. Ici, ces deux choses étaient parfaitement rassemblées, qui plus est dans un magasin qui l’attirait. Elle s’imagina son père, sa déception s’il avait été là pour voir son échec. Puis sa mère, qui attendait impatiemment de ses nouvelles et qui s’attendait à ce qu’elle revienne la supplier de l’aider. Elle ne pouvait pas abandonner aussi facilement.
– Je ne peux vraiment rien faire pour vous faire changer d’avis ? demanda-t-elle espérant avoir une autre chance.
– Non, j’en ai bien peur, répondit Montgomery. Il avait les mains posées sur ses genoux, droites et guindées. J’ai entendu ce dont j’avais besoin. Je suis vraiment désolé. Vous ne correspondez pas.
Lex se dit qu’elle ne pouvait pas tomber plus bas qu’en cet instant. Ses pieds étaient de plomb et son cœur si lourd qu’il était sur le point de tomber à travers la chaise. Ses yeux clignaient obstinément pour retenir la moindre larme qui trahirait à quel point elle était déçue. Retour à la case départ. Elle allait devoir trouver un autre moyen de suivre son rêve.
La décision était tellement absolue qu’elle n’avait rien d’autre à faire que de partir. Soudain, Lex fut envahie par l’urgence de s’en aller. Elle ne pouvait penser à rien d’autre que de s’éjecter de cette chaise, se précipiter hors du magasin et retourner à sa voiture pour rentrer chez elle.
Mais alors qu’elle était sur le point de partir, quelque chose sortit de l’obscurité derrière le fauteuil où elle était assise. Cette chose atterrit sur ses genoux provoquant une décharge de peur qui lui parcourut tout le corps.
Lex fut tellement surprise qu’elle en oublia de crier. Après le choc initial et la dose d’adrénaline qui avait fait bondir son cœur, elle retrouva assez ses esprits. Pour découvrir que la chose qui lui avait sauté dessus était noire, poilue et en train de lui… lécher la main ?
Elle frissonna de soulagement en comprenant que la créature mystérieuse et effrayante n’était autre qu’un chat noir. Il lui lécha la main en silence puis chercha la position la plus confortable sur ses genoux avant de se coucher, sa queue parfaitement enroulée autour de lui.
Lex se figea, incertaine sur la marche à suivre. Elle était quelques instants plus tôt déterminée à se lever et partir immédiatement, mais maintenant qu’il y avait une boule de poils bien chaude sur ses genoux, elle ne savait plus quoi faire. Ce serait sûrement très mal vu de se lever et de poser le chat par terre.
Montgomery la chasserait sans doute du magasin, sans parler du fait qu’elle ne connaissait pas ce chat, et ne savait pas s’il aimait utiliser ses griffes.
Alors elle ne fit rien, hésitant tandis que le chat posait sa tête sur ses pattes avec un ronronnement de satisfaction.
– Elle vous aime bien, dit Montgomery d’un ton surpris.
Lex s’efforça de trouver quelque chose à dire.
– C’est… euh, votre chat ? demanda-t-elle.
Elle réalisa trop tard que c’était une question stupide. Quelle autre raison aurait ce chat d’être dans les pièces privées au-dessus de la boutique ?
– Elle vit ici, répondit Montgomery.
Ce n’était pas vraiment une réponse. Il observait le chat complètement abasourdi, et lorsqu’il reprit suffisamment ses esprits pour croiser le regard de Lex, quelque chose dans son expression avait changé.
– Eh bien, je suppose que c’est un signe de bon augure. Je crois que je vais vous donner une chance.
– Pardon ? s’écria Lex qui n’était pas sûre d’avoir bien compris.
– Je vous offre le poste, si vous le voulez, dit Montgomery.
Il hésita avant d’ajouter :
– À l’essai bien entendu.
Le regard de Lex passa de lui au chat endormi. Il lui offrait le poste juste parce qu’un chat l’appréciait ? Ça paraissait complètement irrationnel, mais elle n’allait pas faire la fine bouche. Son esprit était en ébullition après ces montagnes russes émotionnelles. Elle était passée de nerveuse à confiante, avant d’être anéantie, pour finir dans la joie. Elle avait le poste.
– J’accepte, dit-elle immédiatement. Elle n’envisageait pas d’autre option. Merci !
– Disons donc que vous commencez dans deux jours ? demanda Montgomery.
Lex acquiesça avec joie.
– C’est parfait. Merci, dit-elle de nouveau, puis elle hésita.
Le chat dormait toujours profondément sur ses genoux et elle avait toujours le même problème : elle ne voulait pas le déranger.
– Euh… Concernant le…
Montgomery suivit son regard et se dépêcha de l’aider en comprenant son message.
– Oh, oui, oui ! Je vais la prendre, ne vous inquiétez pas. Viens là…
Il s’approcha et récupéra habilement le chat d’un seul mouvement, puis se rassit pour déposer le félin ronronnant sur ses propres genoux.
Lex regarda son pantalon qui était maintenant recouvert de petits poils noirs. Elle essaya de les balayer aussi discrètement que possible en se relevant. Elle tendit sa main à Montgomery.
– Alors, on se voit dans deux jours, dit-elle contente d’avoir retrouvé sa liberté de mouvement.
– Oui, oui, approuva Montgomery. Je devrais peut-être vous faire visiter le reste du magasin maintenant, en préparation ?
– Bien sûr, dit Lex avec une pointe d’excitation.
C’était bien réel. Elle avait hâte de découvrir le reste de cet endroit, adorant déjà le peu qu’elle avait vu.
– Alors, vous avez déjà vu le comptoir avec notre sélection de livres locaux et les tendances, dit Montgomery en la guidant en bas des escaliers. De l’autre côté, c’est la pièce de Navigation. C’est là que nous gardons nos, euh…
– Guide maritime ? devina Lex.
Montgomery lui lança un regard confus.
– Les classiques mal-aimés, dit-il. Les volumes les moins chers, car ils ont eu une vie plus difficile, bénis soient-ils. Vous devez y faire particulièrement attention. Il y en a certains que je vous recommande de ne pas lire du tout.
Lex acquiesça prétendant comprendre cette logique, et essaya de sourire comme si c’était une plaisanterie. Elle se sermonna d’arrêter de vouloir finir ses phrases, du moins jusqu’à ce qu’elle le cerne un peu mieux.
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