Lex vit sa résolution de ne plus finir ses phrases s’envoler devant le silence qui s’étirait. C’était extrêmement gênant de le voir l’observer la tête légèrement inclinée alors qu’elle attendait bêtement.
– Salle des livres rares ? tenta-t-elle au hasard.
– Salle de pause, termina Montgomery. Il lui lança un regard suspicieux, puis se tourna pour poursuivre son ascension.
Lex réfléchit très sérieusement à la possibilité de s’enfuir par la porte d’entrée pendant qu’il avait le dos tourné. Maintenant, il devait croire qu’elle était ici pour un cambriolage ! Pourquoi avait-elle dit ça ? Elle ravala son humiliation et le suivit essayant de garder son calme. Elle adorait déjà cet endroit, les vieilles pièces, l’odeur des livres, la petite bourgade. Ça lui rappelait tellement son père et elle s’était déjà attachée au peu qu’elle avait vu.
La salle où Montgomery la conduisit se trouva être bien plus cosy qu’elle ne s’y attendait. Il y avait une petite cheminée qui était pour le moment inutile au vu des températures estivales, et quelques fauteuils moelleux aux imprimés floraux placés autour. Une table basse toute proche était remplie de feuilles et de carnet, des factures pour la plupart et la pièce était éclairée par une lampe antique dont la vraie flamme renvoyait des ombres sur les murs. De grosses poutres sombres contrastaient avec les murs en plâtre blanc et la fenêtre était recouverte de ce qui ressemblait à des tapis qui rappelaient celui posé au sol du rez-de-chaussée devant le comptoir. La fenêtre était presque entièrement obstruée, laissant la pièce assombrie avec pour seul éclairage la lumière jaune des lampes qui projetait d’étranges ombres.
Montgomery prit place dans l’un des fauteuils aux coussins usés tandis que Lex prit place dans l’autre. Ils étaient étonnamment confortables, au point de donner à Lex l’envie de faire un somme. C’était peut-être à cause de sa course pour arriver ici à l’heure, associée à la chaleur extérieure et l’ambiance cosy. Il y avait une théière fumante sur une petite table. Montgomery en servit deux tasses sans demander et en tendit une à Lex.
Il y avait une imposante porte de l’autre côté de la pièce, tellement grande qu’elle dominait l’espace. Lex ne pouvait s'empêcher d’être fascinée. La porte semblait entièrement faite en métal lourd et sa surface était marquée d’étranges symboles runiques longs et pointus. Que pouvait-il bien y avoir derrière ce genre de porte ?
– Alexis, c’est bien ça ?
Lex revint à la réalité, acquiesçant rapidement. Elle ne devait pas oublier qu’elle essayait de faire bonne impression.
– C’est ça.
Montgomery parcourut un petit carnet jusqu’à trouver une page vide. Il sortit un stylo de son gilet et en lécha la pointe avant de faire une pause. Il tenait le stylo au-dessus du papier en la regardant.
– Vous m’avez dit avoir de l’expérience dans l’édition ?
– Oui, répondit Lex passant en mode professionnel. J’ai travaillé aux éditions Enlivrez-Vous comme éditrice de documentaires. La seule éditrice de documentaires. J’ai démissionné, car ils ont fermé mon département.
– Et là-bas vous dialoguiez directement avec les auteurs ? Avec les magasins ? Montgomery l’observait attentivement, mais il n’avait encore rien noté.
– Oui, avec les deux, dit Lex. Je faisais la liaison avec les auteurs dès lors qu’ils nous soumettaient un manuscrit et jusqu’au produit final. Nous étudiions également les résultats des ventes pour décider de futures acquisitions.
Montgomery acquiesça pensivement.
– Avez-vous déjà eu à vous occuper d’une mystérieuse maladie ?
Lex cligna des yeux. Qu’entendait-il par là ?
– Eh bien… J’ai travaillé avec du personnel médical, dit-elle. Mon dernier titre est L’endocrine déchiffrée. Il est sur le point de sortir, d’ici la fin du mois.
Montgomery gribouilla quelques traits dans son carnet. C’était ça qu’il choisissait de noter ? Lex avait du mal à garder son sang-froid. Il n’avait pas du tout l’air impressionné par son expérience.
– Avez-vous déjà travaillé dans une librairie ? demanda-t-il.
– Oui ! répondit Lex contente qu’il aborde le sujet. Enfin non. Enfin… mon père était autrefois gérant d’une librairie un peu comme celle-ci. En grandissant, je l’aidais dans la boutique. Déballer les livres, les mettre sur les étagères, m’occuper des clients. Un peu de tout en fait.
Montgomery grogna.
– Je ne pense pas que son magasin rassemblait à celui-ci, dit-il. Lex dut boire une gorgée de son thé pour masquer son embarras. Le travail vous plaisait ?
– Oh oui, approuva Lex en essayant d’ignorer le goût étrange du thé.
Qu’est-ce que c’était ? Une sorte de mélange d’herbes ?
– Ça a fait naître en moi un amour profond pour les livres. C’est pour cela que ma carrière a pris ce chemin et c’est pour cela que je suis ici aujourd’hui, ajouta-t-elle.
Montgomery sourit légèrement, une étincelle s’allumant dans ses yeux.
– Diriez-vous que c’est votre intuition qui vous a guidée ici ?
Lex faillit laisser tomber sa tasse. Elle ne s’attendait pas à une question de ce type.
– Oh…, dit-elle, incertaine sur la façon de répondre et essayant de gagner du temps. Euh… Je ne sais pas si c’est de l’intuition. J’ai remarqué le numéro de rue du magasin, le trente-six… qui est le même que celui de l’ancien magasin de mon père.
– Diriez-vous que vous vous servez souvent de votre intuition ? demanda Montgomery le regard fixé sur elle.
– Je… ne sais pas, admit Lex.
Comment devait-elle répondre ? Attendait-il qu’elle dise oui pour la féliciter ou préférait-il quelqu’un de plus logique ? Elle n’arrivait pas à le déchiffrer.
– Hmm. Montgomery nota autre chose, cette fois avec des mouvements courts et secs sur son papier. Il est important que vous sachiez que le magasin a des clients très importants, des gens viennent de loin pour nous rendre visite. Nous sommes spécialisés dans les livres rares, parfois nous sommes en possession de la seule copie disponible au grand public. Nous recevons toutes sortes de clients : des collectionneurs, des chercheurs, des fans, oui, oui. Êtes-vous à l’aise avec le fait de servir des individus de différents milieux ?
– Bien sûr, approuva rapidement Lex. Ça ne me pose aucun problème.
– Et avez-vous de l’expérience pour gérer les clients qui ont…
Montgomery s’égara, mais grimaça de manière déplaisante. Lex tenta une proposition.
– Des plaintes ? suggéra-t-elle, considérant que c’était une question typique dans un entretien.
– Une autre façon de voir le monde, termina Montgomery.
Il lui lança un regard hautain et critique de derrière ses lunettes. Ça semblait être sa réaction dès qu’elle ne devinait pas la suite de sa phrase.
– Euh, répondit Lex essayant désespérément de comprendre ce qu’il entendait par là.
Elle décida qu’il devait parler de son cursus scolaire, qui était la seule chose qu’elle arrivait à lier à ses paroles.
– J’ai fait espagnol au lycée. Je dois toujours pouvoir tenir une conversation. Je peux gérer différentes cultures et si besoin m’adapter.
Montgomery rajouta quelques notes en pattes de mouche sur son carnet. Lex essaya de les déchiffrer, mais dans ce sens, elle ne pouvait même pas affirmer qu’il avait utilisé l’alphabet latin.
– Donc je suppose que vous ne savez pas lire les hiéroglyphes ?
– Non, répondit Lex, surprise. Je pensais que mon temps serait mieux utilisé dans l’apprentissage d’une langue qui n’était pas morte.
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